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Français, Allemands ou Chinois... Ils ne croient plus dans les vertus du capitalisme

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par Ivan du Roy

Comment, dans chaque pays, les citoyens réagissent-ils face à l’augmentation des inégalités ? Sont-ils satisfaits de l’action de leurs gouvernements ? Quatre Français sur cinq estiment que le système économique favorise les riches. Un constat partagé en Italie, au Brésil ou en Russie. Et les citoyens n’ont pas suffisamment prise sur les décisions politiques, estiment les Allemands comme les Chinois. C’est ce que révèle un sondage proposé par la Confédération syndicale internationale (CSI) dans une quinzaine de pays. Pouvoir d’influence des entreprises, efficacité des gouvernements ou rôle des syndicats y sont passés au crible.

« La confiance envers le gouvernement est brisée. » Le constat de la Confédération syndicale internationale (CSI), qui regroupent plus de 300 syndicats dans le monde entier [1], ne s’applique malheureusement pas qu’à la France ou à l’Union européenne. Mais au monde entier, ou presque. La CSI, associé à l’institut d’enquête d’opinion TNS, a réalisé un sondage quasi mondial : plus d’un millier de personnes interrogées dans quatorze pays différents, de l’Allemagne à l’Afrique du Sud en passant par la France, le Brésil, la Chine ou l’Inde. Soit plus de 14 000 sondés, un échantillon représentant près de la moitié de la population mondiale [2]. Les questions portent sur le niveau de revenus, le chômage, la « confiance » dans l’avenir. Mais aussi sur l’équité du système économique, le pouvoir d’influence des entreprises, l’action des gouvernements ou le rôle des syndicats.

Résultat : l’insatisfaction face aux inégalités générées par le capitalisme grandit. La défiance envers les gouvernement et les corps intermédiaires atteint des sommets, en particulier en Italie et… en France. Économiquement, les personnes interrogées ont du mal à joindre les deux bouts. « Plus d’une famille de travailleurs sur deux dans 14 pays, ce qui représente la moitié de la population mondiale, ne parvient pas à suivre la hausse du coût de la vie », constate la CSI. Une poignée de pays s’en sortent un peu moins mal : les « émergents » – Brésil, Chine, Inde – au Sud, l’Allemagne, l’Australie et le Canada côté pays « riches ». Une majorité de sondés y jugent la situation économique plutôt bonne et les perspectives d’avenir pas trop sombres. A l’inverse, les plus pessimistes sont… les Français, les Italiens et les Sud-africains. « Les politiques d’austérité européennes et la faible croissance mondiale qui en résulte affectent désormais les économies émergentes. Les gens perdent espoir », estime Víctor Báez, secrétaire général de la CSA (Confédération syndicale des Amériques).

Démocratie : la France au niveau de la Chine

Malgré ces opinions contrastées, des consensus se dégagent. « Plus de trois quarts des personnes interrogées estiment que le système économique favorise les riches », pointe la CSI. Ce sentiment est partagé par 90% des Italiens, des Brésiliens et des Russes interviewés (79% des Français). Dans ce système capitaliste jugé de plus en plus inéquitable, 84% des sondés pensent que « les citoyens ordinaires » n’ont pas assez d’influence, y compris au sein des démocraties représentatives. Il est logique que 89% des Chinois et des Russes déclarent avoir peu de prise sur leur gouvernement. Problème : 90% des Italiens et des Français, 86% des Allemands et des États-uniens interrogés ressentent la même chose !

La défiance envers les gouvernants est très forte. En particulier en matière de lutte contre le chômage. « Dans tous les pays, la majorité des citoyens estime que les actions gouvernementales pour combattre le chômage ne sont pas à la hauteur », commente la CSI. 68% des personnes interrogées pensent ainsi que leur gouvernement fait « du mauvais travail ». La critique est la plus virulente en Italie et en Afrique du Sud (dans les deux cas, 88%).

Les dirigeants qui s’en sortent le moins mal sont le président chinois Xi Jinping, la présidente brésilienne Dilma Rousseff et la chancelière Angela Merkel. Aucun cependant n’obtient une approbation majoritaire – seulement 47% des Brésiliens et 44% des Allemands interrogés estiment que leur gouvernement « fait du bon travail ». De quoi impressionner quand même François Hollande et Manuel Valls, dont l’action contre le chômage recueille 82% d’opinions négatives. Seul réconfort : le ressenti de la pauvreté est l’un des plus faibles en France. 7% des sondés déclarent ne pas disposer d’ « assez d’argent pour les biens de premières nécessités », contre 10% en moyenne (et 16% en Italie). Pour combien de temps ?

60% estiment que les entreprises ont trop d’influence

Les sondés ne font pas forcément davantage confiance aux entreprises pour « respecter les droits des travailleurs tout au long de leur chaîne de production, quel que soit le produit fabriqué ». Là encore, seuls les Brésiliens (à 56%), les Chinois (à 65%) et les Indiens (à 64%) estiment « probable » que les entreprises tiennent leurs promesses en la matière. Mais c’est là aussi que les droits, comme le salaire minimum, et les normes sont les plus faibles. C’est en Europe, et en premier lieu en Allemagne (devant l’Italie et la Russie), que la méfiance envers les entreprises est la plus forte. Le champion européen de la « compétitivité » industrielle ne respecterait donc pas les droits des travailleurs ?

Plus que les Français, ce sont aussi les Allemands, aux côtés des anglo-saxons (Royaume-Uni, États-Unis, Canada, Australie), qui estiment que les entreprises ont « trop d’influence ». Un sentiment là encore globalement partagé par 60% des interviewés. « Le pouvoir des entreprises et la cupidité anéantissent les cultures démocratiques pour lesquelles nos peuples ont lutté, privent les populations autochtones de leurs droits fonciers et creusent les inégalités », commente Víctor Báez, secrétaire général de la CSA. Près des deux tiers des personnes interrogées, tout pays confondu, souhaitent que les gouvernement maîtrisent davantage le pouvoir des entreprises.

Les syndicats : une opinion très favorable, sauf en France et en Italie

Le syndicalisme est-il encore vecteur de progrès social ? Oui, presque partout. La présence d’un syndicat au sein d’une entreprise demeure synonyme de meilleurs salaires et conditions de travail pour 63% des personnes interrogées. « La très grande majorité des individus respectent le rôle des syndicats. Notre priorité est de nous organiser afin de permettre aux travailleurs de jouir d’une justice au travail et d’un pouvoir démocratique », conclut Sharan Burrow, secrétaire générale de la CSI. Reste que l’action syndicale semble diversement appréciée. Si les trois quarts des Allemands, des Canadiens ou des Japonais reconnaissent leur rôle, c’est loin d’être le cas en Italie et en France.

Ce sont les deux seuls pays où les syndicats souffrent d’une opinion plutôt négative : 59% des Italiens et 56% des Français estiment ainsi que la présence syndicale n’améliore pas forcément les conditions de travail ni le niveau des salaires. C’est aussi en France et en Italie, ainsi qu’aux États-Unis, que l’appréciation du rôle que jouent les syndicats en matière de justice sociale et de démocratie est la plus mitigée. Si gouvernement, directions d’entreprises et syndicats ne sont plus crédibles, vers qui se tourner ?

Et l’écologie, dans cette photographie de l’opinion mondiale ? « Une planète morte ne fournit pas d’emplois. Un accord mondial ambitieux et une transformation industrielle, accompagnés de mesures de transition justes, sont nécessaires pour plus de justice climatique », rappelle le secrétaire générale de la CSI, s’appuyant sur le sondage : les trois quarts des interviewés appellent aussi leur gouvernement à « faire plus » pour « limiter la pollution à l’origine du changement climatique ». Est-il vraiment sage d’attendre que les gouvernements s’y mettent ?

Ivan du Roy

Photo : ITUC

Voir les résultats détaillés du sondage

Lire aussi notre article : Une opinion publique mondiale en demande de démocratie économique et de contrôle des grandes entreprises

Notes

[1Dont la CGT, la CFDT ou FO en France, l’AFL-CIO aux États-Unis, la DGB en Allemagne, la CGIL en Italie, la CUT au Brésil…

[2Des adultes (d’au moins 18 ans) vivant en Afrique du Sud, en Allemagne, en Australie, en Belgique, au Brésil, au Canada, en Chine, aux États-Unis, en France, en Inde, en Italie, au Japon, au Royaume-Uni et en Russie ont été interrogés.