Droits humains

Trois prix Nobel appellent à la fin de l’impunité de Chevron et des autres multinationales

Droits humains

par Collectif

Ce 27 mai se tient l’assemblée générale annuelle du géant pétrolier américain Chevron. Humberto Piaguaije, représentant les communautés de l’Amazonie équatorienne victimes de la pollution pétrolière, y présente un appel signé par trois prix Nobel et d’autres personnalités d’envergure mondiale : ils demandent la fin de l’impunité de Chevron et des autres entreprises extractives en matière de pollutions et de violations des droits humains. Depuis plus de vingt ans, les victimes équatoriennes de ce qui a été qualifié de « Tchernobyl de l’Amazonie » essaient d’obtenir que Chevron reconnaisse sa responsabilité et verse les sommes nécessaires à la réhabilitation environnementale de la région. Basta! publie une version française de cet appel.

Considérant :

 Que le monde a été et est témoin des violations graves des droits humains des populations et des travailleurs par les activités extractives des entreprises multinationales ;

 Que souvent, les affecté(e)s sont des populations dans des conditions de vulnérabilité et qu’ainsi les activités extractives augmentent les risques de pauvreté, de maladie et de mort de ces communautés ;

 Que les lois nationales sont insuffisantes pour faire face à la structure de l’impunité nationale et internationale tissée en faveur des multinationales extractives et qui permettent la violation des droits ;

 Que cette question a fait l’objet d’une analyse approfondie et a abouti à des actions globales contre les activités extractives menées par les entreprises multinationales à travers le monde ; qui, en outre, ont donné lieu à leur tour à des initiatives de la part des organisations internationales à l’échelle mondiale dans le but de démanteler le pouvoir des entreprises multinationales et de les empêcher de continuer à commettre de nouvelles violations des droits humains.

Les soussignés, Prix Nobel de la paix, organisations et personnalités de défense des droits humains, de la nature, des peuples autochtones, des paysans, des travailleurs, nous appelons :

a. Les investisseurs des multinationales à exiger la transparence concernant les activités de ces entreprises. Nous vous exhortons à vous opposer aux violations des droits humains et de l’environnement commises par les entreprises où vous déposez votre capital. Ne pas le faire vous rend complices de crimes et d’abus.

b. Les gouvernements des pays où ces entreprises extractives opèrent, à les obliger à remplir, de manière ferme et déterminée, toutes les normes techniques et ordres judicaires de chaque pays, ainsi qu’à appliquer les préceptes fondamentaux des droits humains, à respecter les droits des populations sur leurs terres et à protéger les droits des générations futures.

c. Les gouvernements où siègent les entreprises extractives, à les obliger à assumer leur responsabilité sociale tant à l’intérieur comme à l’extérieur de leur territoire. Dans le cas contraire, offrir les conditions pour que l’administration de la justice opère librement sans ingérence ni pressions.

d. Les organismes internationaux ou régionaux, à assumer leur rôle de protection des populations et des travailleurs affectés par les multinationales extractives, afin de leur garantir le respect de leurs droits et l’accès à une procédure régulière, à la fois dans les États membres et à travers les mécanismes internationaux qui visent à démanteler l’impunité dont jouissent ces entreprises.

e. Les organisations de la société civile, à rester vigilantes et d’exiger le respect des droits humains des populations vivant où ces entreprises opèrent.

f. Les juges, procureurs et avocats à agir de manière à garantir le respect des droits humains et de l’environnement par les multinationales. En cas de dommages, comme c’est le cas de Chevron Corporation en Équateur, il convient de garantir une réparation adéquate.

g. Les juges, les procureurs, les avocats, les États, à garantir le droit des personnes affectées, afin d’empêcher les entreprises de criminaliser la protestation et la lutte sociale.

h. La communauté internationale à créer des instruments et des instances internationales pour juger les crimes environnementaux afin que les victimes aient accès à la justice sans discrimination, c’est à dire qu’elles puissent bénéficier des mêmes conditions que les corporations.

Étant donné que la demande des 30 000 paysans et des indigènes à l’encontre de Chevron en Equateur constitue un cas emblématique pour les populations sur le plan mondial, nous exprimons notre soutien à la demande de justice pour les victimes et exhortons :

Les investisseurs de Chevron, à exiger la justice pour les paysans et les peuples indigènes de l’Amazonie équatorienne qui ont démontré la culpabilité de la compagnie après 21 années de litiges. Que cette même compagnie, bien qu’ayant été condamnée à payer le coût des réparations pour les dommages causés, utilise tous les moyens pour ne pas le faire et retarde ad infinitum l’exécution de la sentence de 9,5 milliards de dollars pour la mise en œuvre de la réparation environnementale, alors que pendant ce temps, la contamination continue à générer la mort et la destruction.

Les systèmes de justice dans le monde, en particulier aux États-Unis, à ne pas permettre des actions en justice abusives et dilatoires favorisant la puissance des multinationales, à ne pas tolérer de telles actions pour réduire au silence les victimes, les personnes et les organisations qui les soutiennent, et à respecter la justice des autres pays et le droit des plaignants à une procédure régulière.

Les systèmes de justice des pays dans lesquels se déroulent des procédures d’homologation et d’exécution de la sentence, à agir conformément aux normes juridiques dans le cadre du respect des droits humains, sans obéir aux pressions exercées à tous les niveaux par Chevron.

Les organisations sociales à travers le monde, à rester attentives à la résolution de ce cas, qui a dévoilé la structure de l’impunité des multinationales leur permettant de violer des droits humains, tout en mettant également en évidence la possibilité pour les populations victimes d’exercer leurs droits face à l’une des plus grande multinationales du monde, ce qui peut représenter un précédent mondial pour les victimes des multinationales qui se battent pour obtenir justice .

De même, étant au fait de la conduite de Chevron dans les pays où elle opère, nous exhortons les gouvernements, les actionnaires de la multinationale, les organisations environnementales et des droits humains, à créer un système d’alerte pour contraindre la multinationale à assumer sa responsabilité sociale et à respecter les règles et les normes qui garantissent le respect des droits humains.

Parmi les signataires de cet appel :
Desmond Tutu, Alfredo Perez Esquivel et Jody Williams, prix Nobel de la Paix,
Susan George, Jean Ziegler, Vandana Shiva, Bill McKibben, Angela Davis, Kumi Naidoo, Nnimmo Bassey, Walden Bello, Frei Betto, Yash Tandon, ainsi que les artistes Ken Loach et Roger Waters.
Les organisations Amis de la Terre international, Transnational Institute, Marche mondiale des femmes, World Rainforest Movement, Réseau CADTM Mondial, Association internationale des juristes démocrates, et bien d’autres.

Lire les articles de Basta! et de l’Observatoire des multinationales sur le conflit entre Chevron et l’Équateur :
 Le pétrolier Chevron écope de la plus lourde amende de l’histoire, 10 janvier 2012.
 Des dirigeants d’entreprises pourront-ils bientôt être jugés pour crimes contre l’humanité ?, 18 décembre 2014.
 Injustice sans frontières ? Chevron contre l’Équateur, 27 mai 2015.