Conférence de Durban

Y a-t-il encore quelqu’un pour sauver le climat ?

Conférence de Durban

par Sophie Chapelle

Une nouvelle conférence sur le climat s’ouvre à Durban, en Afrique du Sud, dans l’indifférence quasi générale. Pourtant, cet énième sommet entre États risque d’enterrer pour de bon le protocole de Kyoto, seul accord multilatéral contraignant pour réduire les émissions de CO2. Sans nouveaux objectifs de réduction des pollutions, le thermomètre mondial augmentera de 3 °C à 6 °C d’ici à la fin du siècle. Un cadeau sympa pour les générations futures.

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Les plans d’austérité ont fait disparaître la question climatique de l’agenda politique. Diverses études confirment pourtant des records d’émissions de gaz à effet de serre en 2010 (+ 6 % par rapport à 2009  [1]). À ce rythme-là, le thermomètre mondial augmentera de 3 à 6 °C d’ici à la fin du siècle [2], bien au-dessus de la limite de 2 °C établie lors de la réunion de Cancún. Des inondations à répétition dans le sud-est de la France à la sécheresse en Éthiopie, la multiplication des évènements climatiques exceptionnels démontre que l’état de la planète ne peut plus attendre un hypothétique compromis.

À quoi est censée servir cette nouvelle conférence de Durban (Afrique du Sud), qui se tient jusqu’au 9 décembre ? Il s’agit de donner une suite au protocole de Kyoto, signé en 1997 par 37 États (les pays de l’Annexe 1). Ils s’étaient engagés à réduire de 5,2 % leurs émissions par rapport à leur niveau de 1990. Cette première période prend fin en décembre 2012. La réunion de Durban doit donc fixer une seconde étape et de nouveaux objectifs. Ce que n’avait pas réussi à faire la conférence de Copenhague il y a deux ans.

Le Canada, premier fossoyeur du protocole de Kyoto ?

Car, entre les 183 pays-membres de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique, les divisions sont profondes. Et les responsabilités difficilement comparables. Le fossé entre les niveaux d’engagements actuels et les objectifs nécessaires de réduction des émissions, pour ne pas laisser s’emballer le réchauffement, est énorme. D’après le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), même si tous les pays atteignent leurs objectifs les plus optimistes, et que les dérogations de toute sorte sont éliminées, 6 gigatonnes de CO2 en trop seront émises en 2020. Soit autant que les émissions des États-Unis.

« Kyoto, c’est le passé. » Ces mots de Peter Kent, ministre canadien de l’Environnement, marquent la volonté de certains de sortir du protocole. Et, à la place, d’installer des engagements volontaires, sans objectifs globaux. En clair : chacun déciderait dans son coin du niveau de pollution qu’il se permet, sans négocier avec les autres États. Pour Kent, « tous les pays doivent jouer leur rôle », visant par là la Chine, l’Inde et le Brésil, non-signataires du protocole de Kyoto.

Les États-Unis se moquent toujours du climat

Non seulement le Canada planifie son retrait de Kyoto, mais il aurait « activement incité d’autres à le faire », accuse Zola Skweyiya, la haute-commissaire d’Afrique du Sud. Le Canada est pourtant bien mal placé pour faire des recommandations au regard de son maigre objectif de réduction de 1 à 3 % d’ici à 2020 par rapport à 1990 [3], qu’il n’est même pas capable de tenir. Ses émissions ont en effet augmenté de 26 % en 2007 (par rapport à 1990), pour moitié en raison de l’exploitation des sables bitumineux.

Sans surprise, les États-Unis traînent aussi les pieds. Alors qu’ils ont refusé de ratifier le protocole de Kyoto en 2001, ils proposent de réduire leurs émissions de 17 % par rapport à 2000, soit 3 % par rapport à 1990. Bien que les États-Unis représentent la moitié des émissions des pays de l’Annexe 1, ils multiplient les exigences envers la Chine et les grands pays émergents. Aux côtés de l’Australie, du Japon et de la Russie, ils restent campés sur le refus de toute mesure de réduction contraignante des émissions de gaz à effet de serre.

Les demi-engagements des pays émergents

Dans les couloirs de la conférence de Durban, les regards se tournent vers l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud et la Chine. Les pays dits « développés », qui ont en grand majorité ratifié Kyoto, leur reprochent l’augmentation trop rapide de leurs émissions de gaz à effet de serre. Les émissions chinoises se rapprochent ainsi de celles de l’Union européenne. Cette comparaison n’a aucun sens pour la ministre indienne de l’Environnement et des forêts, Jayanthi Natarajan, qui rappelle que les taux d’émission par habitant de l’Inde et du Brésil sont parmi les plus faibles du monde.

Pour laisser la porte des négociations ouverte, le gouvernement indien propose de réduire de 25 à 30 % son intensité carbone d’ici à 2020. L’intensité carbone d’une économie se définit comme la quantité moyenne de carbone nécessaire pour produire un point de PIB  [4]. Même stratégie pour la Chine : ses émissions par habitant s’élèvent à 5,8 tonnes contre 10 tonnes pour les pays de l’OCDE. La Chine se dit donc prête à réduire de 40 à 45 % son intensité carbone. Tout cela, de manière uniquement volontaire. L’idée d’engagements contraignants est totalement écartée par ces pays, qui arguent de la responsabilité historique des pays « développés » dans les dérèglements climatiques.

Inertie de l’Union européenne

Quant à l’Union européenne, elle refuse de s’engager sur de nouveaux objectifs de réduction de ses émissions sans un engagement américain et chinois. L’Europe se pare de bien des vertus : il est vrai que le continent a presque atteint ses objectifs, réduisant ses émissions de 17,3 % (chiffre de 2009) par rapport à celles de 1990. Mais les nouvelles échéances qu’elle propose font déchanter : Connie Hedegaard, commissaire européenne du Climat, a déclaré que l’Union européenne prévoit la conclusion d’un accord en décembre 2015 pour une mise en œuvre… en 2020 ! Cela pour, officiellement, permettre à un maximum de pays d’y adhérer. Une première réunion pour discuter de cette feuille de route s’est tenue ce 1er décembre.

Mais cette stratégie a été jugée « irresponsable » par l’alliance des petits États insulaires. « Plusieurs de nos petites îles seront condamnées, au sens propre et au sens figuré », rappellent-ils. Le « G77 », qui représente 132 pays en développement, et la Chine s’agacent également de ces annonces. L’ancien président costaricain, José María Figueres, propose dans le Guardian « d’occuper Durban » avec « un sit-in des délégations des pays les plus touchés par les dérèglements climatiques ». Une chose est certaine : si le protocole de Kyoto risque d’être vidé de sa substance, la partie relative aux marchés carbone sera maintenue. Des marchés auxquels les grandes banques et firmes multinationales sont très attachées.

Face à une Conférence des parties qui s’achemine tout droit vers une Conférence des pollueurs libérée de tout cadre juridique contraignant, faut-il s’étonner que le Qatar, qui détient le triste record du maximum d’émissions de CO2 par habitant (53,4 tonnes, selon les données de l’ONU de 2008), ait été désigné pour accueillir la prochaine conférence sur les changements climatiques en 2012 ? Alors que les enjeux écologiques semblent décidément peser bien peu face aux pétrodollars, une grande journée d’actions est prévue le 3 décembre à Durban. Une ville, située au bord de l’océan Indien, où les impacts potentiels des dérèglements climatiques à moyen et à long termes – désertification, feux de brousse, réduction des nappes phréatiques, insécurité alimentaire – sont potentiellement catastrophiques

Sophie Chapelle

Notes

[2Lire à ce sujet les rapports de l’AIEA et du Pnue.

[3Si le Canada s’est engagé à réduire ses émissions de 17 % par rapport au niveau de 2005, cette astuce comptable masque le fait que cet objectif correspond à une cible se situant entre - 1 % et - 3 % par rapport à 1990, selon les sources.

[4À titre de comparaison, l’intensité carbone de l’économie chinoise (2,68 kgCO2/US$) est à peu près dix fois supérieure à celle de la France (0,26 kgCO2/US$) et cinq fois supérieure à celle des États-Unis (0,51 kgCO2/US$).