Police

Espagne : « Ils veulent revenir au temps de Franco »

Police

par Nathalie Pédestarres

Suppressions de droits syndicaux, quotas d’arrestations illégales à respecter, protocoles et uniformes inspirés de l’armée… Le premier syndicat de policiers espagnols – le Syndicat unifié de la police – dénonce une tentative de militarisation des missions des policiers et de leur corporation. Son secrétaire général exprime également son soutien au mouvement des Indignés.

« Ils veulent revenir au temps de Franco. Et ça, on ne va jamais l’accepter. […] La réforme de la Loi du personnel de la police nous ôte maintenant des droits que nous avions jusque-là. » José Manuel Sánchez Fornet est le secrétaire général du premier syndicat de policiers en Espagne (Sindicato Unificado de la Policía, SUP), il est connu pour son franc-parler. Ce qui le rend furieux, ce sont les derniers amendements de deux lois en discussion à l’Assemblée, concernant la police [1]

« Attirail nazi »

D’abord, l’entrée en vigueur de nouvelles règles protocolaires. Elles sont selon lui inspirées de l’armée et de la Guardia Civil (à statut militaire) : obligation des policiers de défiler au pas, de chanter l’hymne militaire « La muerte no es el final » (La mort n’est pas la fin), l’obligation pour les femmes policiers enceintes d’obtenir une prescription médicale pour pouvoir porter des vêtements civils avant les trois premiers mois de grossesse, imposition d’une longueur règlementaire pour les coupes de cheveux féminines… Le SUP qualifie même le nouvel uniforme – bâton de commandement, casquettes, gabardine – « d’attirail nazi » ! Et dénonce une militarisation esthétique de leur uniforme.

Mais c’est surtout la suppression, dans la « Loi du personnel de la police », de tout un chapitre consacré au droit d’information et de négociation collective qui a déclenché la sonnette d’alarme. Et pas seulement au sein du SUP, mais aussi d’autres syndicats comme la Confédération espagnole de la police (CEP), deuxième syndicat de policiers, traditionnellement en faveur des décisions prises par l’actuel gouvernement de droite.

Violations de droits civiques

José Manuel Sánchez Fornet évoque même pour son syndicat la possibilité de « retourner dans la clandestinité ». Fondé en 1978, alors que débute la transition démocratique après la fin de la dictature franquiste, le SUP a été « hors la loi » jusqu’en 1984 à cause de son activité syndicale au sein d’une police militarisée et très politique. « Nous défendions la démocratisation, la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Constitution espagnole… Enfin : une police civile au service des citoyens et respectueuse de leurs droits. »

Pendant le gouvernement socialiste de José Luis Zapatero, le SUP a combattu la politique du chiffre, cause de nombreuses violations des droits civiques. En 2010, la police espagnole a comptabilisé 10 millions de contrôles d’identité, dont un million d’immigrés et 8 millions de jeunes, effectués de façon arbitraire et abusive. Le SUP a récemment porté plainte contre une inspectrice et un agent de police de Benidorm qui avaient fait le pari de contrôler l’identité du plus grand nombre de personnes en une nuit, se postant aux gares ferroviaire et routière… Un syndicat de policiers portant plainte contre des policiers au nom de la déontologie, ce n’est pas de ce côté des Pyrénées que cela se produirait !

Des policiers soutiennent les « Indignés »

D’après José Manuel, ces violations des droits et abus d’autorité expliquent aussi l’émergence du mouvement des Indignés (appelé 15M) : « Si, dans un pays qui compte 5 millions de chômeurs [dont 40 % sont des jeunes, ndlr], la police contrôle systématiquement l’identité des jeunes et distribue des amendes de 300 euros chaque fois qu’elle en interpelle un ou plusieurs avec une boulette de hachisch, tout ce qu’elle réussi à faire, c’est alimenter un sentiment d’animosité envers la police. » En mai dernier, une circulaire de la Direction générale de la police remontait jusqu’au ministre de l’Intérieur pour dénoncer « une restriction illicite des droits et libertés des immigrés » et demander que soient interdits les quotas de contrôles d’identité ou les détentions d’étrangers « fondées uniquement sur des critères ethniques ». Un débat qui fait écho en France… Et devrait intéresser Manuel Valls.

En septembre 2011, Javier Roca Sierra, un policier de Madrid, était sanctionné avec cinq jours de « mise à pied » assortie d’une suspension de salaire pour avoir exprimé publiquement son soutien au mouvement du 15M. « Eh bien, moi, je suis d’accord avec lui et avec ce mouvement social, lance José Manuel Sánchez Fornet, qui s’est fendu d’un de ses fameux communiqués pour manifester l’accord d’une partie du collectif policier avec les principes du mouvement social. « Il est bien, [le mouvement du 15-M] ,il est légal, il défend plus d’honnêteté, plus de décence, plus de droits pour tous. Il faut donc le soutenir. »

Entre maintien de l’ordre et contestation

Des images et des vidéos montrant des violences policières à l’encontre de manifestants et de journalistes ont pourtant été largement diffusées sur les réseaux sociaux… Le dirigeant syndical, également prompt à défendre sa corporation, évoque une manipulation médiatique de la part des « Indignés ». En mai dernier, des policiers madrilènes accusés d’agressions par les manifestants de la Puerta del Sol ont ainsi exigé des sanctions contre les « Indignés » pour « fausses dénonciations ».

José Manuel Sánchez Fornet reconnaît cependant qu’il y a aussi une minorité de policiers fauteurs de troubles : « Si c’est le cas, ils seront sanctionnés comme tout policier qui commet un délit. Parce que provoquer la violence est un délit. Et je le dénoncerai comme j’ai déjà dénoncé l’abus des contrôles d’identité, n’en déplaise à certains… » Assurer le maintien de l’ordre tout en partageant les valeurs d’un mouvement social que l’on a ordre de réprimer, un difficile exercice d’équilibriste.

Nathalie Pédestarres

Photo : © EFE/Fernando Villar

Notes

[1Loi de l’uniforme et Loi du personnel de la police.