Economie sociale et solidaire

Et si les salariés disposaient d’un droit de préemption sur leur entreprise

Economie sociale et solidaire

par François Longérinas

Licenciements boursiers, faillites, délocalisations... Plutôt que de fermer des usines souvent rentables, si on encourageait les salariés à reprendre la main sur leur outil de production ? Grâce à un nouveau modèle de coopérative, à une réforme des marchés publics pour favoriser cette économie sociale, ou une politique publique d’investissement ambitieuse sur ces questions. Benoit Hamon, ministre de l’économie sociale et solidaire prépare une loi en la matière. Sera-t-elle à la hauteur de l’enjeu ?

Jamais depuis trente ans, les coopératives n’ont à ce point fait la une des journaux mainstream. Si je ne m’étonne pas de lire régulièrement des reportages et des analyses sur l’économie sociale et solidaire (ESS) dans Alternatives économiques, Basta! ou Politis, il est plus surprenant de voir Le Figaro L’Expansion et Les Echos faire le constat de la meilleure résistance des sociétés coopératives et participatives (Scop) face à la crise. Au-delà de l’effet de mode, le succès des États généraux de l’ESS à Paris en juin 2012, puis la création d’un ministère de l’Economie sociale et solidaire dans le gouvernement Ayrault, sont plutôt encourageants. C’est une première, qui a au moins le mérite de rendre le secteur visible.

Camarade ministre

Mais le ministre Benoît Hamon, qui fut leader de l’aile gauche du Parti socialiste, semble faire de la solidarité gouvernementale l’axe premier de son engagement politique actuel. Pas une seule fois nous n’avons pu l’entendre s’exprimer publiquement sur la politique sociale et économique mise en œuvre...

Bienveillant à l’égard de ce camarade ministre, je me suis dit qu’il allait concentrer tous ses efforts sur le secteur dont il a la délégation. Je compte sur lui pour soutenir les positions les plus alternatives, celles de ceux qui agissent dans une démarche de transformation sociale et écologique. Bref, pour qu’il s’appuie sur les courants qui assument l’idée d’en finir avec le capitalisme et le productivisme et non sur les partisans de l’entrepreneuriat social, qui relativisent l’importance du fonctionnement démocratique des entreprises de l’ESS.

Droit de préemption des salariés sur leur entreprise

Benoît Hamon a annoncé début septembre le dépôt d’une loi relative à l’économie sociale et solidaire. On y retrouve évidemment les propositions du candidat Hollande, en particulier l’instauration d’un « droit de préférence » pour les salariés souhaitant reprendre leur entreprise en coopérative. Et la création d’une nouvelle forme de coopérative pour faciliter ces reprises, en termes de financement. Ne boudons pas notre plaisir, il s’agit d’une véritable avancée pour le mouvement des Scop, qui peine à faire valoir les droits des salariés souhaitant gérer eux-mêmes leurs propres affaires.

Plus qu’un « droit de préférence », je préfère parler de droit de « préemption », plus net sur le plan juridique : cela fait notamment référence à la loi permettant aux communes d’acquérir un patrimoine, aux dépens de tout autre candidat à l’acquisition... Ou bien à celle permettant aux locataires d’être prioritaires au rachat de leur logement, en cas de congé-vente par leur bailleur. Mais au fond, « préemption » ou « préférence », peu importe le terme choisi, pourvu que ce soit la puissance publique qui ait le dernier mot, notamment pour déterminer le prix du rachat et la garantie de cession de tous les actifs de la société – les machines comme les marques (voir le débat actuel pour l’entreprise Fralib).

C’est le sens du projet de proposition de loi initié par l’association Agir pour une Économie équitable (AP2E), co-élaboré avec des élus, allant du PS au Front de Gauche, en passant par EELV et CAP21. Le débat risque d’être difficile à l’Assemblée nationale : certains parlementaires, sous l’influence des lobbies néo-libéraux qui existent au sein de l’ESS, redoutent l’intrusion de l’État dans des affaires considérées comme privées et réservées à la loi du marché.

Favoriser les coopératives sur les marchés publics

Benoît Hamon veut également encourager l’insertion de clauses sociales dans les appels d’offres émis par les collectivités, en s’attaquant à une révision de la directive européenne « marchés publics ». Il souhaite, en utilisant les marges de manœuvre offertes par la procédure européenne de codécision, obtenir de nouveaux progrès : en particulier que les acheteurs publics « puissent poser davantage d’exigences quant aux conditions de production des biens et services qu’ils achètent. »

On n’en attend pas moins de la part d’un gouvernement de gauche ! Mais c’est le principe même des appels d’offres, fondé sur la « concurrence libre et non faussée », qu’il faut remettre en cause. C’est aux collectivités territoriales et à l’État de décider des règles, en s’exonérant de la dictature du moins-disant pour assurer le respect de l’intérêt général. Faire travailler en priorité les entreprises de l’économie sociale et solidaire, ce n’est rien moins que revenir à l’esprit du programme du Conseil national de la Résistance ! Mais cela reviendrait aussi à enfreindre les directives européennes et risque de ne pas plaire à bon nombre de dirigeants socialistes...

Un nouveau modèle de coopérative

Afin de faciliter le financement des reprises d’entreprises en coopérative, Hamon entend créer un nouveau modèle de coopérative « où le pouvoir des salariés pourrait être majoritaire malgré un actionnariat salarié minoritaire ». Ce qui diminuerait la prise de risque initiale des salariés et permettrait le passage en Scop. Concrètement : « Les salariés pourraient posséder 65 % des droits de vote pendant plusieurs années sans pour autant être majoritaires, ce qui leur donnerait le temps de constituer progressivement les fonds propres nécessaires pour devenir majoritaires en capital »

Voilà une bonne idée, avancée depuis longtemps par Gérald Ryser, actuel président du conseil national de la Confédération générale des Scop (CGSCOP). A condition, comme le suggère le Front de gauche, que les fonds investis soient publics ou issus des organismes bancaires de l’économie sociale et de l’épargne salariale. Bref, que les prêteurs soient animés d’une démarche d’intérêt général et non par un retour financier sur investissement. Déjà, à une moindre échelle, plusieurs Régions – comme l’Ile-de-France ou Rhône-Alpes – prêtent de l’argent aux créateurs de Scop. Dans le cas de reprises industrielles, seul l’État, avec un pôle public financier partenaire des banques coopératives, serait à la hauteur des enjeux et des besoins.

Financer la transition industrielle écologique

Il s’agirait alors d’une véritable politique publique d’investissement, à la différence du projet de banque publique d’investissement (BPI) annoncé par le gouvernement Ayrault [1]. Avec seulement 3,5 milliards de fonds nouveaux, celle-ci ne pourra soutenir qu’une poignée d’entreprises rentables et « compétitives ». C’est-à-dire faire ce que les banques privées et les composantes actuelles de la BPI (Oséo, Fonds stratégique d’investissement, Caisse des Dépôts et Consignations) font déjà. La BPI restera en outre prisonnière des marchés financiers, puisqu’elle ne pourra pas se financer auprès de la Banque centrale européenne – ce qui est pourtant permis par les traités européens. 

Pendant que Benoît Hamon réfléchit et consulte sur son projet de loi, Arnaud Montebourg démontre son impuissance, gesticulant sans grand effet face à la crise et à l’avalanche de plans sociaux. Et pourtant les alternatives existent. C’est une question de volonté politique et de projet de société. Il est temps de mettre en œuvre une véritable transition sociale et écologique. C’est ce qu’ont compris les Fralib, porteurs d’un projet de reprise qui intègre, via le statut de « société coopérative d’intérêt collectif », une alliance avec les pouvoirs publics et la reconversion industrielle écologique de leur activité. Ils seront présents au congrès national des Scop, les 15 et 16 novembre à Marseille. Ils se sont par ailleurs rapprochés de chercheurs, d’universitaires et de militants du mouvement coopératif afin de réfléchir collectivement à la convergence des luttes sociales et des projets alternatifs.

François Longérinas, directeur d’une coopérative de formation et co-animateur du Front de Gauche de l’économie sociale et solidaire

Photo : Laurent Guizard

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