Pour célébrer ses 15 ans, Basta! organisait une soirée de débats sur les médias indépendants vendredi 14 juin à Paris. La première table-ronde interrogeait leur rôle à la veille des élections législatives du 30 juin et 7 juillet, et à l’aune de l’élection présidentielle de 2027, avec Nassira El Moaddem, journaliste et chroniqueuse chez Arrêt sur images, Pablo Pillaud-Vivien, rédacteur en chef de Regards, Loup Espargilière, rédacteur en chef et fondateur du média Vert, et les journalistes de Basta! Sophie Chapelle et Emma Bougerol.
Responsabilité des médias
Alors que Macron a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin, que le RN a recueilli plus de 31% des voix aux élections européennes et pourrait peut-être sortir aussi vainqueur des législatives anticipées, Loup Espargilière est revenu sur le débat entre Gabriel Attal et Jordan Bardella, diffusé le 23 mai sur France2. « Avec cette mise en scène complètement folle, entre la tête de liste du RN et le Premier ministre, le gouvernement a désigné son successeur et a fait de Jordan Bardella un potentiel futur candidat ! », réagit le fondateur de Vert.
Pour nos trois invités, les médias traditionnels ont une responsabilité majeure dans la diffusion massive des idées d’extrême droite et dans la dédiabolisation du RN. Pour peser sur le débat, Pablo Pillaud-Vivien pense qu’il faut investir les médias mainstream et être présent sur les plateaux de télévision. « Dans nos médias, on arrive à s’adresser à des gens, mais jamais au-delà de nos petits groupes agrégés. On vit dans des bulles algorithmiques. Il faut donc utiliser les espaces de flux, comme la télé. C’est aussi hyper important de ne pas laisser les plateformes sans nous », explique-t-il.
« Le cadre médiatique d’autrefois n’est plus une réalité aujourd’hui, appuie d’une voix énergique Nassira El Moaddem. Il faut faire un travail en commun avec les journalistes à l’intérieur des chaînes, avec les sociétés de rédacteurs. » C’est aussi l’avis de Loup Espargilière. Le changement culturel passe surtout par les médias, il en est convaincu : « On travaille beaucoup avec des médias installés, Konbini par exemple. On a aussi formé des centaines de journalistes dans différents médias à la question climatique, au Parisien notamment. »
Vers des rédactions féministes
La deuxième table ronde, animée par Nolwenn Weiler, portait sur la place du féminisme dans les médias indépendants. « On a longtemps considéré qu’il ne s’agissait pas d’un sujet d’expertise, de compétences. Les rédactions n’investissaient pas d’argent pour travailler sur ces questions », raconte Lénaïg Bredoux, responsable éditoriale sur les questions de genre à Mediapart. « C’est extrêmement récent de ne plus avoir à se battre pour prononcer le mot genre ou féminicide - tellement récent que ça m’interpelle toujours » note Nora Bouazzouni, journaliste indépendante.
« Si les sujets liés au genre ont plus de place dans les médias aujourd’hui, ça n’avance pas beaucoup. On a parfois l’impression d’écoper la mer avec une petite cuillère », a témoigné Marie Barbier, cofondatrice de la revue La Déferlante.« J’hésite toujours entre le désespoir et le fait qu’en dix ans, les choses ont radicalement changé. Mais même si on est plus nombreux et nombreuses à documenter ces sujets, ça reste compliqué », ajoute Lénaïg Bredoux.
En cause, le « backlash », ou retour de bâton, qui désigne une réaction hostile et violente d’une partie de la société face au progrès des droits des minorités. « Lorsqu’elles prennent la parole, les victimes sont les premières à s’en prendre plein la figure. Il y a un risque qu’elles finissent par se dire qu’elles prennent trop de risques et qu’elles s’auto-censurent », constate Nora Bouazzouni. S’ajoute à cela la difficulté de recevoir la parole de ces victimes. « On n’est pas des psys, on n’est pas formé pour ça. Je suis très étonnée et admirative de la résilience des journalistes qui enquêtent sur les violences sexistes et sexuelle », relève l’autrice du livre Faiminisme : Quand le sexisme passe à table.
« On ne peut pas non plus avoir un traitement médiatique adéquat de ces questions s’il n’y a pas les personnes concernées dans les rédactions », poursuit-elle. Une opinion partagée par la corédactrice en chef de La Déferlante, qui cherche à avoir une approche intersectionnelle des luttes féministes. « Il faut documenter la question du genre plus précisément. On voit qu’il y a de plus en plus d’articles là-dessus. Mais il faut aller plus loin, toujours plus loin. S’interroger sur qui travaille, que nos rédactions ne soient pas que blanches et bourgeoises. Ça nous pousse à faire encore mieux notre travail », relève Marie Barbier.
Faire encore mieux notre travail, c’est ce que l’équipe de Basta! s’attèle à réaliser au quotidien depuis 15 ans. Car « au lieu de tomber dans le gouffre, poussée par Bolloré et ses complices, notre société peut se ressaisir, peut concilier ambitions sociales et écologiques, peut permettre à chacune et chacun d’exercer son esprit critique et assouvir sa soif de liberté. Et si par malheur, le RN gagnait, nous savons déjà que nous continuerons à nous inspirer de l’histoire en entrant immédiatement dans le camp de la résistance », a conclu Jean-Marie Fardeau aux côtés de Sabrina Caron, coprésident et coprésidente de l’association Alter-médias, éditrice de Basta!.
Daphné Brionne
Photo de Une : une partie de l’équipe de Basta! à la soirée des 15 ans du journal à la REcyclerie, le vendredi 14 juin, à Paris / © Anne Paq