Education nationale

À Besançon, la police utilise des lacrymogènes contre des enfants

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par Linda Maziz

Le 6 avril, des manifestants rassemblés devant le rectorat de Besançon, pour protester contre des suppressions de postes d’enseignants, ont été arrosés de lacrymos. Enfants compris. Les policiers auraient perdu leur sang froid. Face à un rassemblement que divers témoins ont pourtant qualifié de très calme. Récit d’une manif citoyenne malmenée par les forces de l’ordre.

Photos : DR

« Comment justifier l’injustifiable ? » Blandine Turki, enseignante, a du mal à trouver les mots pour expliquer à ses deux enfants de neuf et dix ans pourquoi un agent de police a entrepris de faire usage de sa bombe lacrymogène contre eux. Mercredi 6 avril, ils se sont rendus en famille au rassemblement organisé devant le rectorat de Besançon, à l’appel de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) et du collectif « Ecole en danger 25 » [1]. Objectif : protester contre la carte scolaire et la suppression de 35 postes dans les établissements de la région. Après de nombreuses actions tournantes dans différents établissements, et devant « le mépris de l’administration » pour leurs revendications et les refus d’audience systématiques, le collectif s’est résolu à durcir (un peu) son mouvement.

Après une occupation pacifique de l’inspection académique, le lundi 4 avril, les manifestants se sont retrouvés, deux jours plus tard, place de la Révolution, avec l’intention d’aller faire du bruit devant le rectorat. « Pour qu’il nous entende à défaut de nous écouter », indique une maman membre du collectif. Près de 300 personnes, accompagnées d’une centaine de lycéens et d’autant d’enfants se sont retrouvées pour cette opération « Boucan d’enfer ». Au programme : concert de casseroles et de sifflets. « On était contents, il y avait une forte mobilisation. Mon fils de quatre ans, sur mes épaules, tambourinait sur une poêle avec sa cuillère en bois. C’était vraiment festif et bon enfant », décrit Chantal Dufaitre, passée en quelques minutes de la bonne humeur à la colère et l’incompréhension.

« Je n’ai jamais vu ça, il n’y a rien qui justifiait une telle réaction »

Qu’est-ce qui a pu conduire des agents de polices à faire usage de gaz et de matraques en présence d’enfants ? « C’est inadmissible et totalement injustifié », s’indigne Lionel Arnould, venu manifester contre la fermeture d’une classe dans l’école de son fils. Il n’a rien vu venir : « j’étais de l’autre côté de la rue, avec le petit de deux ans dans les bras et donnant la main à celui de quatre ans. Et puis, sans sommation, ils ont sorti la lacrymo. On était pile dans le sens du vent. J’ai vu mon fils se mettre à trembler et à pleurer. Ce n’était pas que de la peur ».

Les témoins sont unanimes : les forces de l’ordre les ont pris par surprise. « La réaction est d’autant plus violente qu’on ne s’y attendait pas, s’indigne Blandine Turki. Quand elle voit les policiers sortir un aérosol, elle se précipite sur son fils, asthmatique, pour l’évacuer au plus vite. « Il y a eu un mouvement de panique. Les gens reculaient en se protégeant le visage comme ils pouvaient. Tous ceux qui avaient des enfants et des poussettes tentaient de fuir ».

« C’est n’importe quoi, on n’est pas en Libye quand même ! »

Daniel Bordur est journaliste à l’Est républicain. Aux premières loges, il a suivi toute la scène. « Les gens étaient rassemblés devant le porche du rectorat. Il faudrait au moins un tracteur pour enfoncer la porte tellement elle est massive, mais il y avait tout de même un cordon de six policiers pour protéger l’entrée, décrit-il. A un moment, les gens se sont déplacés pour laisser passer un bus. La rue est très étroite et peu fréquentée. Cela a créé une légère bousculade. « Rien de bien méchant, mais comme le trottoir n’est vraiment pas large, les policiers se sont retrouvés au milieu des manifestants ».

« S’ils avaient été un peu patients, les choses se seraient décantées d’elles-mêmes », ajoute le journaliste. « Les gens auraient reculé, c’était l’affaire de quelques minutes ». Mais les policiers ont commencé à repousser les manifestants brutalement. « Quelques coups de matraques ont été distribués dans les pieds et l’un d’eux a sorti sa lacrymo ». « Ça fait 20 ans que je couvre des manifs, je n’ai jamais vu ça, indique Daniel Bordur. Il n’y a rien qui justifiait une telle réaction. C’était inutile et excessif. Devant eux, ils avaient des enseignants, des lycéens et des parents avec leurs enfants. Ils n’étaient pas menacés ».

« On vient pour demander le dialogue et on nous envoie les forces de l’ordre. On réclame des négociations, on nous répond par la violence, résume Blandine Turki. En tant que maman, je suis profondément choquée. Après ça, j’étais énervée, j’ai hurlé sur un policier, je voulais qu’on m’explique ». Comme à d’autres, on lui a répondu qu’elle n’avait pas se servir de ses enfants comme d’un bouclier. « C’est n’importe quoi, on n’est pas en Libye quand même ! » s’emporte Lionel Arnould. Le policier lui assène qu’ils n’avaient qu’à prévoir un groupe de sécurité pour « maîtriser le groupe d’autonomes » qui les accompagnait. « Mais ils étaient à peine dix ! J’étais à côté d’eux et ils n’ont rien fait !  ».

« Les enfants ont eu terriblement peur, ils ont cru mourir »

« On est venu apporter notre soutien à la mobilisation et aux revendications, on n’est pas venu pour en découdre avec les flics », assure Nicolas, un militant anarchiste, rodé aux situations d’affrontement avec les forces de l’ordre. La manifestation était joyeuse et pacifique, avec des parents et leurs enfants. « On sait quand même faire la part des choses. Je participe à des actions plus musclées donc je suis habitué à prendre de la lacrymo, mais là, sincèrement, on était très modérés et leur réaction était totalement déplacée », ajoute le militant.

Une version appuyée par le journaliste de l’Est Républicain, qui confirme que ce ne sont pas les manifestants qui ont commencé. « S’il y a eu un dérapage, il n’est pas venu de leur côté. C’était cool, bien plus calme que pendant les manifs pour les retraites », certifie Daniel Bordur. « Personne n’était là pour casser du policier, ça se voyait. Sinon, je ne serai pas restée avec les enfants », ajoute Chantal Dufaitre. « On est venu pacifiquement, en citoyens, pour défendre l’éducation de nos enfants, comme on le fait depuis janvier. S’il y avait eu le moindre risque, je ne serai pas venue avec mes filles de trois et six ans. Je n’ai pas envie de leur faire subir ça, de les éduquer à la violence.  », renchérit Isabelle Cauwet, administratrice départementale de la FCPE.

« Les enfants ont eu terriblement peur. Ils ont cru mourir. On essaie de leur donner quelques notions de règles sociales et cela, pour eux, c’est compliqué à comprendre. Normalement, les policiers ne doivent pas faire de mal. J’ai vraiment dû me faire l’avocat du diable pour leur expliquer qu’ils ont réagi comme ça, parce qu’ils ont certainement été pris de panique », raconte Blandine Turki.

Gaz lacrymogène vers des enfants ? Un « geste d’autodéfense »

Une explication qui est peut-être proche de vérité. La préfecture soutient les policiers impliqués. Elle explique que quatre d’entre eux ont été « légèrement blessés », évoquant une « coupure et une morsure ». Dans son communiqué, la préfecture de la région Franche-Comté va jusqu’à saluer « le sang-froid et le professionnalisme des policiers exposés chaque jour aux situations les plus variées, souvent risquées ». La version officielle concorde avec celle des manifestants sur le fait que le passage du bus est l’élément déclencheur : il a provoqué le déplacement de la foule au contact direct des forces de l’ordre. Pour le syndicat unité-SGP-police-FO, cité par L’Est Républicain, les policiers étaient « coincés face à des individus très excités venus pour en découdre avec les forces de l’ordre  » et ont « fait preuve de lucidité et sang-froid  ». SGP-FO « déplore le manque d’effectif qui ne permet plus de travailler en sécurité  ».

Mais les explications divergent ensuite sur la perception des événements. « Certains manifestants virulents ont alors refusé de reculer et ont comprimé le cordon de policiers contre le bâtiment administratif, blessant légèrement quatre fonctionnaires. Un des six policiers présents devant ces portes a été contraint de faire usage de son aérosol d’autodéfense à deux reprises pour se dégager et assurer sa propre sécurité  ». Pas un mot sur le fait qu’il ait pulvérisé vers des enfants.

« C’était un geste d’autodéfense, insiste Hervé Tourmente, directeur de cabinet du préfet. C’est la réaction la plus mesurée dont il pouvait faire preuve pour se sortir de cette pression ». Pour sa hiérarchie, la réaction de l’agent n’est pas disproportionnée. « Mais pourquoi, si pour eux la situation était aussi tendue, ne pas avoir demandé du renfort et sollicité l’intervention des CRS ? » interroge Lionel. Leurs fourgons étaient garés à 250 mètres de là. « Qu’on ne nous dise pas qu’il n’y avait pas d’autres alternatives. »

Linda Maziz

Notes

[1Suite à l’annonce en janvier du projet de suppression de postes dans les écoles du Doubs, un collectif « Ecole en danger 25 » s’est constitué à Besançon et dans les villes alentours. Un rassemblement inédit de parents et d’enseignants non adhérents d’une organisation, de parents d’élèves membres de la FCPE et d’enseignants syndiqués (SNUipp-FSU, SudEducation, sgen-CFDT…), qui a choisi, plutôt que défendre individuellement chaque établissement, de jouer la carte de la solidarité, pour promouvoir une école différente de celle proposée par le ministère