Droits fondamentaux

Un prêtre au tribunal pour apologie du droit d’asile

Droits fondamentaux

par Sophie Chapelle

Prêter assistance à des personnes sans-abri est-il un délit ? La Cour d’appel de Lyon doit rendre ce 27 janvier sa décision concernant le prêtre Gérard Riffard. Ce dernier est poursuivi pour avoir hébergé des dizaines de demandeurs d’asile dans son église de Montreynaud, à Saint-Étienne. En première instance, le juge a reconnu l’« état de nécessité » : « Il est paradoxal que l’État poursuive aujourd’hui le père Riffard pour avoir fait ce qu’il aurait dû faire lui-même », détaille le jugement. Alors que le parquet a fait appel, Gérard Riffard persiste : il n’a fait que son devoir. Rencontre.

Saint-Étienne, quartier de Montreynaud, terminus de la ligne de bus. « C’est là que vous trouverez le Père Riffard », m’indique le chauffeur, en me montrant l’église Sainte Claire. Sur la porte en bois, une affiche précise les horaires de permanence de l’association Anticyclone. Sa mission : l’accompagnement des demandeurs d’asile. Dans le bureau de Gérard Riffard, président de l’association, des centaines de dossiers s’empilent. « Il y a de la souffrance dans chacun de ces dossiers », lâche-t-il en feuilletant les pages. « À peine 20 % de ceux qui viennent demander l’asile en France obtiennent le statut de réfugié. Les autres sont rejetés. Il n’y a pourtant pas 80 % de menteurs ni 80 % de gens qui viennent pour "profiter" de la société française ! Beaucoup n’ont pas été entendus, simplement parce que l’on a peur de trop accueillir en France. »

Le 27 janvier, le père Riffard sera jugé en appel. Le délit ? Avoir enfreint un arrêté municipal lui interdisant d’héberger des demandeurs d’asile dans la salle paroissiale de l’église de Montreynaud (notre précédent article). Ces locaux ne sont pas des lieux d’hébergement, reconnaît Gérard Riffard. Qui interroge cependant : « Pourquoi ces gens sont-ils là ? Peut-on faire vivre des gens dehors ? L’hébergement n’est-il pas une liberté fondamentale ? » En première instance, le juge a reconnu « l’état de nécessité », en se fondant sur une décision du Conseil d’État, qui érige le droit à l’hébergement d’urgence au rang de liberté fondamentale. Le parquet a immédiatement fait appel. La peine encourue est symbolique – une amende de 1195 euros – mais l’enjeu est de taille.

Des histoires, des rêves, des attentes

Le combat de Gérard Riffard en faveur des migrants a commencé il y a une quinzaine d’années, peu après sa nomination à Montreynaud, situé en zone d’urbanisation prioritaire. « Montreynaud est un quartier comme les autres mais qui traine une mauvaise réputation, explique-t-il. Beaucoup de monde en parle sans être jamais venu. On ne passe pas par Montreynaud, il faut venir exprès. » Peu à peu, des demandeurs d’asile vivant en centres d’accueil dans le quartier viennent le voir, parfois pour un baptême ou pour des conseils administratifs. « C’est d’abord la communauté chrétienne de Montreynaud qui les a accueillis », souligne le prêtre. Les gestes de solidarité dans le quartier viennent aussi de la communauté musulmane. « Beaucoup de demandeurs d’asile arrivent de Guinée, du Mali, de Côte d’Ivoire... Qu’ils soient chrétiens ou pas, on les accueille. Les religions, ce n’est pas fait pour séparer, mais pour unir les gens. »

La venue de ces migrants aux célébrations du dimanche ont d’abord suscité l’étonnement, voire la méfiance. Mais au fil des rencontres et des échanges, les demandeurs d’asile révèlent des noms, des histoires, des rêves, des attentes. « La communauté chrétienne du coin a finalement été très accueillante à l’égard de cette population, et on travaille toujours aujourd’hui pour qu’elle ait pleinement sa place ». Soutenu par le diocèse de Saint-Étienne, Gérard Riffard crée l’association Anticyclone, pour accompagner ces demandeurs d’asile. « Notre association a aussi un souci d’accompagnement spirituel. On dit toujours : ce n’est pas parce que vous êtes en difficultés que vous devez renoncer à votre dignité humaine et à vous battre. »

« Ce que fait l’État ne suffit pas »

L’hébergement d’urgence n’a jamais fait partie des objectifs de l’association, qui ne dispose pas des équipements nécessaires. Mais il y a environ huit ans, des mineurs étrangers isolés viennent frapper à la porte de l’église. « Trois Angolais devaient être accueillis par le Conseil général mais ils avaient été mis dehors sous prétexte qu’ils n’étaient pas mineurs », se souvient Gérard Riffard. « On s’est débrouillés pour mettre des matelas dans la salle attenante à l’église. » Six mois sont nécessaires pour les faire reconnaître comme mineurs par le tribunal. Dans les semaines qui suivent, des familles, qui n’ont pas de place en centre d’accueil, arrivent avec de jeunes enfants. « À mesure que l’hébergement a été plus difficile à obtenir, de plus en plus de gens sont venus frapper ici ». En cette fin janvier 2014, l’église accueille une cinquantaine d’adultes et une douzaine d’enfants.

Gérard Riffard pointe le terrible manque de places en Cada, les centres d’accueil pour les demandeurs d’asile. « Il y a deux ans, tous ces gens étaient accueillis par l’État en hôtel au titre de l’hébergement d’urgence, ils ont été mis dehors parce que ça coûtait trop cher. L’État est pourtant contraint par la loi à les accueillir », observe t-il. « La préfecture a peut-être réglé en partie ses problèmes financiers mais n’a pas réglé la question de ces personnes. Chacun essaie de faire avec ce qu’il a, mais ce que fait l’État ne suffit pas. » (lire notre reportage sur la saturation de l’accueil d’urgence dans la Loire)

Dans l’église ou à la rue ?

Si des aménagements ont été réalisés dans les locaux de la paroisse, les conditions de vie restent très précaires. Gérard Riffard ne cesse de rappeler que cette église n’est pas un lieu d’hébergement, mais un abri, le temps de trouver un toit aux personnes en difficultés. « Lors de la visite de la commission municipale de sécurité en 2012, ils ont découvert notre grande salle avec des matelas partout. Ils ont dit qu’en cas de panique ou d’incendie, nous mettions les gens en danger », se souvient-il. « On a été sommés de mettre dehors tous ces gens qui dormaient ici. Mais les faire sortir d’ici pour les mettre où ? C’était automatiquement le trottoir... Nous avons essayé d’expliquer, de négocier, fait des recours qui n’ont jamais abouti, jusqu’au premier décret de fermeture, puis du deuxième... » Avant que ne tombe la convocation au Tribunal de police pour Gérard Riffard.

Le prêtre a bataillé contre le représentant du parquet, qui l’accuse de « cré(er) un appel d’air en faveur du puits sans fond qu’est l’immigration ». Gérard Riffard redoute que les attentats des 7 et 9 janvier à Paris ne soient l’occasion de nouveaux amalgames, défavorables aux immigrés. Parmi les mineurs qui sont accueillis dans l’église Sainte Claire, quatre jeunes, venant de pays différents, s’appellent Coulibaly. « Aujourd’hui, c’est un nom lourd à porter mais je leur dis qu’ils doivent garder la tête haute, qu’ils n’y sont pour rien. Il ne faut pas que ces événements soient encore une occasion de nous enfermer davantage, pour soi-disant nous protéger. » Quelle que soit la décision du tribunal ce 27 janvier, Gérard Riffard l’assure : « Tant qu’une solution humaine et digne ne sera pas proposée à ces gens, je ne vois pas comment on peut les mettre dehors. »

[Mise à jour le 27 janvier à 10h30] La cour d’appel de Lyon se déclare incompétente. Selon le juge, Gérard Riffard aurait du être poursuivi pour un délit, donc en correctionnelle, et non pour une contravention. Le dossier doit désormais revenir au parquet de Saint-Etienne, qui pourra décider soit d’arrêter les poursuites, soit de reciter le père Riffard devant le tribunal correctionnel [1]. « Il faut tout recommencer à zéro. On m’a toujours dit que je n’étais pas un délinquant mais un contrevenant, et là il (le juge, ndlr) a plutôt l’air de dire que je suis plus un délinquant, donc c’est très agréable... Je m’attendais à un jugement sur le fond, alors que la cour s’est basée sur un argument juridique », a déploré Gérard Riffard à l’issue de la brève audience.

Sophie Chapelle
@Sophie_Chapelle sur twitter

Photo : ©DR et Sophie Chapelle

Pour aller plus loin, notre dossier : Garantir l’accès au logement