Inégalités

A Toulouse, les étudiantes en médecine veulent en finir avec le harcèlement sexuel

Inégalités

par Nolwenn Weiler

« Ceci est du harcèlement sexuel, qu’en pensez-vous ? » La banderole a été posée par un collectif d’étudiantes (appelé "Jeudi 11") sur un tableau de la cantine de l’hôpital Purpan de Toulouse le 11 janvier dernier. Le tableau « représente les dirigeants de l’hôpital, dont certains exercent toujours, avec des habits de moine, dans une représentation de la sagesse, aux côtés de femmes qui sont, elles, nues et présentées uniquement comme des objets de fantasme, avec des lesbiennes, des positions sexuelles, etc. » retrace une interne, membre du collectif. Lassées de ce "spectacle", les étudiantes ont décidé de le dénoncer, espérant initier des discussions avec les autres médecins. Elles avaient prévu une "boîte à idées" pour que chacun.e puisse déposer ses réflexions, plaintes ou autres... Mais leur action suscité l’ire de la direction de l’internat.

Sanctionnées pour leur action ?

« On ne peut pas imposer ça , leur a signifié la secrétaire de l’internat, Bernadette Gorin, qui leur a demandé quasi immédiatement de décrocher la banderole. Il faut faire une demande d’autorisation pour ce type de manifestation. Je vais vous envoyer un mail vous rappelant vos droits et devoirs d’internes. Avec une action telle que celle-ci, on pourrait vous interdire l’accès à la cantine et vous envoyer au self du personnel. » Les membres du syndicats Sud se sont dit « indigné.e.s par la position de Madame Bernadette Gorin, qui menace d’exclure ces étudiantes alors que ces dernières (et d’autres aussi sans doute) subissent tous les jours les images dégradantes de cette fresque ». La CGT et la CFDT ont également pris position contre le tableau.

Sollicitée par Basta, la secrétaire de l’internat a refusé de répondre. Aux journalistes de la Dépêche, quotidien régional du Sud ouest, Bernadette Goron aurait glissé que « la fresque fait partie de la culture carabine, elle a marqué la fin de cette période, lorsque les bizutages ont été interdits. » C’est pourtant précisément cette culture carabine qu’entendent dénoncer les étudiantes. « La culture carabine, c’est cet espèce d’humour qui fait qu’on se moque à longueur de journées de blondes et des femmes, résume Julie Ferrua, secrétaire départementale de Sud santé sociaux. Il s’agit en fait de rabaisser et d’humilier. » C’est au nom de cette culture "carabine" que les fresques sexistes qui figurent dans diverses cantines d’hôpitaux publics, ou "salles de garde", sont ardemment défendues [1].

L’ambiance sexiste favorise les agressions

« Sous prétexte que c’est du patrimoine, rien ne doit changer, soupire Julie Ferrua. Nous ne sommes pas d’accord. Cette culture-là, qui rabaisse et humilie, fait le lit des agressions, ensuite. Cela doit cesser. Si ce tableau est vraiment une œuvre d’art, qu’on le mette dans un musée, ceux qui l’apprécient pourront alors faire le choix d’aller le voir. » « Pour nous, ce tableau symbolise vraiment le harcèlement sexuel à l’hôpital, précise une interne qui a participé à l’action. Elle fait partie de l’ambiance sexiste dans laquelle on vit, et qui est particulièrement prégnante pour les stagiaires, qui sont dans un lien de subordination hiérarchique. » Dans certains services, on appelle les internes « ma chérie », « ma chatte », ou encore « ma foufoune ». Ces comportements ne sont jamais questionnés, encore moins sanctionnés. « Il y a un vrai sentiment de toute puissance chez certains médecins, constate la syndicaliste Julie Ferrua. On les laisse faire sous prétexte qu’ils sont par ailleurs compétents... »

Dans une lettre ouverte adressée à la directrice générale du CHU de Toulouse, les étudiantes de "Jeudi 11" rappellent que le harcèlement sexuel « ne doit pas forcément s’entendre comme un agissement sexuel direct sur la victime mais s’étend à toute contrainte exercée sur une personne par un environnement professionnel dans lequel se répètent des comportements déplacés à connotation sexuelle et dégradant les conditions de travail de la personne qui ne souhaite plus les subir ». En février 2017, la Cour d’appel d’Orléans a sanctionné un employeur pour « harcèlement environnemental » (sexiste). En cause : des blagues grivoises fondées sur le sexe, des insultes, la circulation de vidéos suggestives... [2].

« Nous demandons le retrait de toutes les fresques à connotation sexuelle ayant un caractère dégradant et humiliant des internats des hôpitaux, nous demandons également que des actions de sensibilisation sur le harcèlement sexuel soient menées auprès du personnel de hôpital. » Une lettre d’explication sur les raisons ayant mené au retrait des fresques, un rappel de la définition du harcèlement sexuel, des informations sur les droits des victimes et les personnes ressources : les étudiantes proposent diverses solutions pour tâcher d’avancer. Pour le moment, la direction n’a pas donné suite.