Les AESH, toujours en lutte pour la reconnaissance

par Maïa Courtois, Valentina Camu

Elles sont un rouage essentiel de l’Éducation nationale pour l’égalité à l’école. Pourtant, les accompagnantes d’élèves en situation de handicap restent maintenues dans la précarité, mais continuent à se mobiliser pour être considérées.

Lorenzo entre dans la salle de classe et s’écroule immédiatement dans un fauteuil gris calé dans un coin, près des dictionnaires rangés dans l’étagère. Il revient d’un cours de sport, dans lequel il a pour habitude d’enfiler un chasuble et d’assister le professeur. Ce matin-là de juin, ça sent la fin de l’année.

Les plus grands élèves du groupe, des 3e, présentent à l’oral leur rapport de stage d’observation, powerpoint à l’appui. En face d’eux, souriante et énergique, Roumana Nguyen, accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH), les encourage et échangent avec les élèves sur ce qu’ils imaginent pour l’avenir.

Roumana Nguyen debout est penchée derrière deux élèves assises qui font un devoir.
Roumana Nguyen, accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH), dans une classe du dispositif “unité localisée pour l’inclusion scolaire”, au collège Chantereine de Sarcelles.
©Valentina Camu

Roumana est affectée depuis 11 ans sur cette « unité localisée pour l’inclusion scolaire » (Ulis), un dispositif pour la scolarisation des élèves en situation de handicap, du collège de Chantereine, à Sarcelles (Val d’Oise). L’AESH accompagne ici au maximum 13 élèves, toutes classes confondues. Les plus jeunes « sont souvent non scripteurs [en difficulté avec l’écriture], non lecteurs », précise-t-elle. D’autres sont à l’inverse très autonome.

Dans la semaine, Roumana jongle entre différentes salles et professeurs : « D’une heure à l’autre, je peux passer d’une classe à l’autre », explique-t-elle. L’un des élèves qu’elle a cette année lui téléphone parfois le soir, en dehors de ses heures de travail. Cela arrive même à d’autres jeunes qu’elle n’accompagne plus. Elle avoue décrocher volontiers. « J’appelle ça le service après-vente », glisse-t-elle.

1150 euros nets

Après plus de dix ans d’expérience dans le métier, Roumana, qui exerce à 85 % d’un temps plein, touche seulement 1150 euros net par mois. Le métier d’AESH, peu reconnu, demeure maintenu dans la précarité. « Le nombre de collègues qui vivent sur des crédits, des découverts… cette rémunération, ça pose un nombre de problèmes pas possible. On est aussi nombreux à toucher la prime d’activité », souligne Jérôme*, AESH dans le premier degré en région parisienne.

Entre collègues, « il y a sans cesse ces discussions entre nous : “qu’est-ce que je vais faire ? comment je me projette ?”, parce qu’on manque de perspective d’évolution. En plus de cela les autres personnels ou même notre entourage nous demandent : “mais tu vas faire quoi après ?”. Comme si AESH, ce n’était pas un vrai métier, mais seulement une étape dans notre vie », soupire Jérôme.

Pour lui, pas question de réduire son métier à ce maigre salaire. « On nous considère souvent avec misérabilisme, parce que l’on parle de nous uniquement sous le prisme de la précarité. Il faut sortir de cela. Affirmer que nous sommes bel et bien des professionnels de l’école inclusive. Cette affirmation passe par les dynamiques d’organisation collective », soutient-il.

Sortir de la précarité

Depuis trois ans, les AESH imposent régulièrement leur agenda dans le mouvement social. Le tournant s’est fait début 2021, au sortir de la crise sanitaire, avec une série de grèves nationales organisées en intersyndicale. Du jamais vu. Cette année-là, les AESH sont « sorties de leur cachette », aime à dire Roumana.

« Personne ne s’attendait à une mobilisation aussi forte, massive. Au ministère, ils ont dû être surpris ! retrace Jérôme. À ce moment-là, beaucoup d’AESH se sont syndiqués. On s’est aussi imposés dans les syndicats. » Depuis lors, rares sont les mobilisations des enseignants, locales ou nationales, qui laissent de côté les collègues AESH et assistantes d’éducation (AED) dans les revendications ou les caisses de grèves.

Surtout, au fil de ces trois années de mobilisation, les AESH ont obtenu plusieurs mesures. Entre autres : la CDisation suite au premier CDD de trois ans, grâce à une loi votée fin 2022. « Cela a été vécu comme un soulagement : plein de collègues ont pu accéder au CDI grâce à cette mesure.

Portrait de Roumana Nguyen dans un couloir du collège.
Après plus de dix ans d’expérience dans le métier d’AESH, Roumana Nguyen touche 1150 euros net par mois.
©Valentina Camu

Même si l’arbitraire hiérarchique se pose toujours au moment du passage en CDI » indique Jérôme. La grille indiciaire a été revalorisée, bien que la majorité des AESH se situent dans les premiers échelons les moins rehaussés.

Les revenus ont pu augmenter un peu aussi grâce à l’obtention d’une indemnité de fonction et d’une prime REP, pour celles et ceux travaillant dans les établissements classés "réseau d’éducation prioritaire". « Tout cela met un peu de beurre dans les épinards. Le problème, c’est qu’au premier arrêt maladie, ça saute. Ou même en congé maternité ! Car ces indemnités sont conditionnées au temps de présence sur l’établissement. On nous a jeté des miettes », estime Virgnie Schmitt, AESH dans l’académie de Nancy-Metz, co-animatrice du pôle AESH de la CGT Éduc’action, né en 2018.

Le ministère de l’Éducation ne reconnaît toujours pas, comme le demandent les syndicats, que les 24 heures de travail hebdomadaires (temps de travail majoritairement exercées par les AESH) équivalent à un temps plein. « En moyenne, on est sur des rémunérations à entre 900 et 1100 euros brut pour une AESH à 24 heures, décrit Jérôme. Les salaires ont certes un peu évolué, puisqu’il y a dix ans on gagnait plutôt entre 600 et 700 euros. »

Alors pour lui, « on ne peut pas dire qu’on a obtenu des miettes. On a obtenu des choses qui, concrètement, font évoluer notre métier dans le bon sens. On est très loin de ce que l’on revendique, mais ça contribue à faire évoluer le regard porté sur nous par d’autres professionnels de l’Éducation nationale. »

Pour un véritable statut

Dans son état des lieux de la recherche paru en 2023, Marie Toullec, professeure des universités en sciences de l’éducation et de la formation, rappelle que la littérature scientifique caractérise le métier d’AESH par « un déficit de formation », une « faible rémunération » et des « rôles peu clarifiés » au sein de la classe. « Tant qu’il s’agit d’un personnel interchangeable, peu rémunéré, peu formé, on se retrouve avec quelqu’un à qui l’on demande beaucoup, tout en le sous-considérant », explicite-t-elle auprès de Basta!.

Roumana Nguyen debout au côté d'un élève assis. Les deux sont souraients et regardent vers le tableau.
©Valentina Camu

Plusieurs syndicats exigent la création d’un véritable statut, celui d’éducateur scolaire spécialisé, pour être mis sur un pied d’égalité avec les autres professionnels de l’Éducation nationale. En attendant, le sentiment de vivre des petites injustices au quotidien perdure. Un exemple : si les AESH ont obtenu la prime REP, celle-ci est inférieure à celle touchée par les enseignants. « On est à près de 200 euros annuels en dessous, alors qu’on a les mêmes profils d’élèves », s’indigne Roumana.

Dès ses premières années au collège, « j’ai dû m’imposer, montrer que je n’étais pas la dernière roue du carrosse et que je faisais partie de la communauté pédagogique, se souvient l’AESH. Rien que s’insérer dans une salle des profs, c’était énorme. Se poser, boire un café, communiquer comme tout le monde, c’était déjà un combat à mener pour nous. »

Au fil du temps, les enseignants sont venus lui demander des conseils pour s’adapter aux élèves en situation de handicap. « Je me sentais considérée parce qu’on venait me solliciter. » Aujourd’hui, après 11 ans dans le même établissement, Roumana se sent « très bien » et parfaitement à l’aise avec les collègues enseignants.

C’est loin d’être le cas de toutes les AESH aujourd’hui. 26% d’entre elles n’échangent pas au moins une fois par jour sur les activités à mener en classe et 40% n’ont jamais de temps formalisé avec l’enseignant au sujet d’un élève, révèle une étude de 2021.

Roumana Nguyen debout dans la classe.
©Valentina Camu

« Un des paradoxe de l’école inclusive, c’est que l’institution dit “il faut coopérer pour scolariser les élèves à besoins éducatifs particuliers”… Sans qu’il y ait de temps dédié à cette coopération, expose la chercheuse Marie Toullec. Par conséquent, tout est assez implicite. Tout se discute entre deux portes. Souvent, l’AESH se retrouve à accompagner un enfant sans forcément comprendre les attentes de l’enseignant. »

Pour elle, la coopération entre enseignant et accompagnant est « le nœud de l’école inclusive ». Or, les enseignants n’ont pas de marge de manœuvre pour se dégager ce temps. « À l’école primaire notamment, ils sont dans une sur-urgence, ils mangent en travaillant, les récréations sont dédiées à la résolution de problèmes, les temps avant et après la classe à la rencontre de parents… Il existe des échanges AESH-enseignants sur ces temps-là, mais cela relève beaucoup de l’informel », développe-t-elle.

Une vocation

Il existe, dans les établissements, des équipes de suivi de scolarisation, qui exercent une fonction de veille sur le déroulement du parcours scolaire de l’élève handicapé. « On est conviés une fois par mois environ, pour faire le point sur les élèves », décrit Roumana. Mais en pratique, cette obligation légale d’organiser ces réunions « n’est pas respectée dans tous les établissements, surtout dans le premier degré », souligne l’AESH. Il existe aussi des formations en binôme où AESH et enseignant travaillent ensemble. « C’est positif. C’est cela qui fera avancer la reconnaissance », soutient l’AESH Virginie Schmitt, de la CGT Éduc’action.

Roumana Nguyen se sert une part de gâteau dans la salle des profs.
©Valentina Camu

Reste que la formation demeure lacunaire pour les AESH. La formation initiale, c’est « 60 heures de formation, très théorique, ensuite on vous laisse vous débrouiller », balaie Roumana. Des modules de formation continue sont proposés aux AESH, « mais on ne reçoit pas forcément les informations de l’Éducation nationale à ce sujet. Moi, en 11 ans d’expérience, j’en ai fait seulement une ou deux », indique-t-elle.

« On devrait au moins être formé quand on passe d’un degré à l’autre », juge Jérôme. Depuis le début de l’année, il exerce auprès de quatre élèves d’une école maternelle. Or, jusqu’ici, il travaillait dans des collèges. « Ça change l’organisation du travail. On se retrouve avec un seul enseignant dans la classe, et plus avec une multiplicité d’interlocuteurs », commente-t-il. Surtout, « les apprentissages ne sont pas les mêmes. Je suis allé lire les programmes de maternelle, pour comprendre les méthodes d’apprentissage. L’auto-formation a des aspects positifs… Mais cela révèle aussi un énorme manque de formation continue. »

Pour autant, Jérôme apprécie la souplesse exigée par son métier. « On expérimente, on apprend sur le tas. Cela reste très valorisant de travailler pour le service public de l’éducation. Malgré les conditions de travail, je l’aime, ce métier », conclut-il.

« On est bien d’accord que ce métier, on ne le fait pas pour l’argent. C’est une vocation, abonde Virginie Schmitt, elle aussi toujours passionnée après des années d’expérience. Mais il ne faudrait pas les pousser dans leur retranchement, les AESH, et leur refuser la reconnaissance à laquelle ils et elles ont droit. »

Maïa Courtois