C’est une première en France. Le tribunal administratif de Paris reconnaît, dans un jugement rendu le 3 février, l’État français coupable d’« inaction climatique » [1]. Il souligne sa responsabilité dans la « carence partielle [...] à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ».
Les ONG Notre Affaire à tous, Greenpeace France, la Fondation Nicolas Hulot et Oxfam France sont à l’origine de la plainte. Qualifiée d’« affaire du siècle », elle a été déposée en 2018 et reprochait à l’État de ne pas respecter ses objectifs à court terme, pour notamment le développement des énergies renouvelables, l’amélioration de l’efficacité énergétique et la réduction des émissions polluantes. Une pétition soutenant la démarche avait été signée par plus de 2,3 millions de Français.
Comme le résume dans un tweet Arnaud Gossement, avocat spécialiste du droit de l’environnement, le tribunal administratif de Paris « condamne l’État à 1 euro symbolique en réparation du préjudice moral, rejette la demande de réparation du préjudice écologique, se donne deux mois de plus pour statuer sur l’aggravation du préjudice écologique ».
Le tribunal administratif de Paris s’inscrit ici dans la lignée de la décision du Conseil d’État concernant l’affaire de Grande-Synthe. Le maire de cette commune, particulièrement vulnérable aux changements climatiques, avait également porté plainte contre l’État pour « inaction climatique ». Le 19 novembre 2020, le Conseil d’État avait donné trois mois à l’État pour « justifier que la trajectoire de réduction à horizon 2030 pourra être respectée » [2].
« Les victimes directes des changements climatiques en France pourront désormais se tourner vers la justice »
À la suite de la décision du tribunal, les quatre ONG ainsi que certains des avocats qui les ont accompagnées se sont unanimement déclarées satisfaites lors d’une conférence de presse. Pour elles, la reconnaissance de la responsabilité de l’État, même si elle peut sembler aller de soi, est essentielle pour prendre ensuite des mesures plus concrètes. Les avocats présents ont indiqué que le tribunal s’était emparé de la question du réchauffement climatique comme une problématique scientifique. Il jugera donc les mesures mises en œuvre en fonction de leur efficacité réelle, et non du contexte politique dans lequel elles sont prises. Le gouvernement ne pourra ainsi plus se défendre en arguant qu’il fait mieux que tel ou tel pays, la question centrale étant celle de l’impact concret.
Cette première victoire en amènera-t-elle d’autres ? D’après Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, cette décision aura un impact réel sur la construction du droit international. Elle pourra également avoir des conséquences à l’échelle locale. « Avec cette reconnaissance de la faute de l’État, toutes les victimes directes des changements climatiques en France pourront désormais se tourner vers la justice et s’appuyer sur ce jugement pour demander réparation des préjudices qu’elles subissent », assurent les plaignants.
Nouvelle décision de justice attendue au printemps 2021
L’État français sera-t-il soumis à une « injonction à agir » pour réparer ce « préjudice écologique » ? Ce sera l’étape suivante. L’État dispose de deux mois pour préparer son argumentaire afin d’éviter cette injonction. Quelques voix dissonantes se sont faites entendre, reprochant un « jugement en demi-teinte ». C’est le cas de l’avocate et ancienne ministre de l’environnement Corinne Lepage qui déplore que le tribunal « refuse de réparer le préjudice écologique » et remette à plus tard les décisions à prendre.
Du côté des plaignants, les prochaines semaines seront consacrées à évaluer les politiques publiques et expliquer en quoi elles sont insuffisantes pour lutter contre le changement climatique. Les quatre ONG espèrent que la nouvelle décision du tribunal attendue au printemps se traduira par une condamnation de l’État « à prendre des mesures supplémentaires pour lutter concrètement et efficacement contre la crise climatique ».
Thalia Creac’h
photo de une : © Greenpeace