Discriminations

Aide médicale d’Etat : la droite veut empêcher les personnes étrangères de se faire soigner

Discriminations

par Maïa Courtois

L’aide médicale d’État (AME) pour les personnes étrangères est à nouveau dans le viseur de la droite et de l’extrême droite parlementaires. Sur le terrain, les difficultés pour accéder à la protection sociale contredisent leurs arguments.

Avant l’annonce du report du projet de loi immigration au mois de juillet, le Sénat avait adopté, mi-mars, un amendement visant à supprimer l’aide médicale d’État (AME) pour la remplacer par une aide médicale d’urgence, plus restrictive. « Nous devons stopper la distribution d’aides incontrôlées, qui créent un “appel d’air” migratoire, que la France ne contrôle plus du tout », défend la sénatrice LR Françoise Dumont, à l’origine de l’amendement.

L’AME est une aide sociale de prise en charge des soins pour les personnes étrangères en situation administrative irrégulière. « Depuis sa mise en place en 2000, elle n’a cessé de subir des coups de boutoir du législateur », expose Matthias Thibeaud, chargé de projet santé pour La Cimade en Île-de-France. En 2011 puis en 2015, la prise en charge de la PMA, des cures thermales et des médicaments à faible remboursement a été supprimée du panier de soins.

En 2018, lors de la dernière loi immigration de Gérard Collomb, le Sénat avait déjà tenté de de supprimer l’AME - tentative mise en échec à l’Assemblée nationale. Puis, la loi de finances de 2019 a restreint encore le panier de soins lors des neuf premiers mois d’AME.

Pas droit aux soins pendant trois mois

Derrière cette chronologie se dessine une cohérence idéologique. « L’idée que tous les étrangers sont des fraudeurs, l’idée du tourisme médical, le prétendu appel d’air, décrypte Matthias Thibeaud. C’est insupportable de faire croire que ces personnes viennent pour “se la couler douce” alors qu’elles arrivent dans des états de santé dégradés à cause du parcours migratoire, et sont maintenues dans une situation administrative précaire fragilisant encore leur santé », ajoute-t-il.

Chez les bénéficiaires de l’AME, la santé n’arrive qu’en quatrième position des raisons déclarées de la migration (à 9,5 %), loin derrière les raisons économiques, politiques et de sécurité personnelle, indique l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES). Surtout, une personne sur deux souffrant de maladie chronique n’accède pas à l’AME alors qu’elle y a droit. « Ce qui caractérise l’AME, ce n’est pas la fraude, c’est le non-recours et la difficulté à faire valoir ses droits », insiste Matthias Thibeaud.

La réforme de 2019 exige trois mois de résidence sur le territoire avant de pouvoir accéder à l’AME. « Cela a un impact terrible, commente Olivier Lefebvre, médecin, coordinateur du pôle médical du Comité pour la santé des exilés (Comede). Certains viennent avec des cancers, sont dans des situations dramatiques, et rien n’est prévu, aucune assurance, aucune aide sociale, pendant cette durée. » Il existe bien la possibilité d’être pris en charge à l’hôpital, via le dispositif des soins urgents et vitaux (DSUV). Mais ce dispositif reste ponctuel, le temps de l’hospitalisation : il n’équivaut pas à une couverture maladie.

Charge des associations décuplée

Depuis la réforme de 2019, les demandeurs de l’AME sont aussi obligés de déposer leur dossier physiquement dans une agence de la Caisse primaire d’assurance maladie. Or, nombre d’agences de proximité ont fermé en sortie de confinement, ou n’accueillent plus ces demandeurs. En Seine-Saint-Denis, territoire de plus de 1,5 million d’habitants, seule l’agence CPAM de La Courneuve les reçoit. Et rappelons que les demandeurs de l’AME sont en situation irrégulière. Donc « traverser le département, c’est risquer une interpellation par la police », pointe Matthias Thibeaud.

Un rapport interassociatif paru le 20 avril révèle que 64 % des personnes interrogées ont rencontré des difficultés pour se soigner, faute de couverture santé. Parmi elles, sept sur dix ont renoncé aux soins. « Je ne comprends pas les nouvelles procédures. Je n’ai pas internet, et je n’ai pas les moyens de charger des crédits sur mon portable », témoigne une femme âgée dans le rapport.

Le dépôt du dossier se fait souvent sur rendez-vous. Un rendez-vous à prendre via le 3646, numéro – payant – de l’Assurance maladie. Or, plus d’un appel sur trois ne débouche pas, selon l’enquête. « Hier, des bénévoles ont appelé dans le 93 : il n’y avait plus de créneau de rendez-vous avant au moins un mois », témoigne Salimata Sidibé, chargée de projet chez Médecins du monde. « Sachant qu’ensuite, le temps de traitement du dossier est encore d’un mois, voire deux. Ces obstacles dissuadent », souligne-t-il.

Tout cela a aussi de quoi décupler la charge des associations. « Cela a augmenté notre travail quotidien pour faire les démarches en ligne, constituer les dossiers, prendre un rendez-vous, procurer des smartphones aux personnes et les aider à s’en servir », déroule Olivier Lefebvre, du Comede.

Pression sur l’hôpital public

« Ce qui nous inquiète, au-delà des personnes que l’on accompagne, ce sont toutes celles que l’on ne voit pas, ajoute Salimata Sidibé. Ce qui représente un enjeu de santé publique. Ces personnes arrivent aux urgences dans des états bien plus graves, auprès de soignants surchargés. »

L’argument se situe aussi sur le plan économique. « Les personnes qui ne vont pas se soigner finissent dans des prises en charge plus lourdes et coûteuses », complète Matthias Thibeaud. La crise du Covid-19 a mis en lumière les difficultés de l’hôpital public. « Supprimer l’AME, ce serait ajouter à la désorganisation des services des urgences », estime le chargé de projet pour la Cimade.

Le rêve de la droite et de l’extrême droite est une réalité sur un territoire français : Mayotte. Là-bas, l’AME n’a jamais existé. Régulièrement, la Défenseure des droits déplore cette absence qui « accentue de fait la pression pesant sur le centre hospitalier ».

Fusion de l’AME dans l’Assurance maladie

En contre-modèle, de nombreuses ONG défendent la fusion de l’AME dans l’Assurance maladie. « Il faut en finir avec cette couverture spécifique pour les personnes étrangères, ce système de santé à deux vitesses », résume Matthias Thibeaud. En demeurant une aide à part, l’AME constitue une cible de choix, attaquée « à chaque projet de loi de finances ou immigration ».

Olivier Lefebvre a vu défiler des rendez-vous à ce sujet au ministère de la Santé, sous Sarkozy, sous Hollande… La proposition a été à chaque fois mise sur la table. Certains décideurs y étaient plutôt favorables. Mais rien n’y fait. « Le sujet reste trop sensible », conclut-elle. Une phrase d’un directeur de cabinet reste gravée dans la mémoire du médecin. Il avait dit « d’accord, on va leur faire une carte vitale ; mais elle sera orange, pour différencier ».

La fusion de l’AME dans l’Assurance maladie n’est donc pas pour demain. D’ici là, en juillet, il est probable que la suppression de l’AME soit remise à l’ordre du jour par le Sénat. Même si la proposition a peu de chances d’être validée à l’Assemblée nationale. Olivier Véran, ex-ministre de la Santé et actuel porte-parole du gouvernement, avait lui-même défendu son maintien il y a deux ans.

Mais « il y a d’autres choses qui nous inquiètent presque plus dans le projet de loi amendé », alerte Olivier Lefebvre. Aujourd’hui, un titre de séjour « étranger malade » peut être délivré à toute personne qui ne bénéficie pas effectivement d’un traitement dans son pays d’origine, induisant de graves conséquences pour sa santé. Dans sa version de mars, le texte restreint cette délivrance à la non-existence du traitement dans le pays d’origine. Cette nuance fait toute la différence. En théorie, les traitements - par exemple contre le VIH ou le diabète - existent quasiment partout. En pratique, seuls les plus privilégiés y ont accès.

Au-delà même de ce projet de loi, se pose sur le terrain le problème de l’accès aux services pour bénéficier de l’AME. Les CPAM nouent de plus en plus de partenariats avec les maisons France Services qui remplacent les services publics de proximité en disparition. À l’intérieur ? « Un ou deux salariés, pas du tout spécialisés, s’inquiète Salimata Sidibé, dont l’équipe s’est rendue à celle de La Courneuve. La personne qui nous a reçus ne savait même pas ce qu’était l’AME. »

Maïa Courtois

Photo d’illustration : ©Valentina Camu