La gouvernement a fait savoir lundi dernier, le 13 septembre 2021, qu’il suspendait la fusion entre le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) et l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam). « C’est une grande victoire saluée par l’ensemble du réseau international des victimes de l’amiante, avance Alain Bobbio, de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva). Si cela avait eu lieu, cela aurait été un recul historique et un outil puissant de démoralisation et d’invisibilisation des victimes. »
Informés depuis plusieurs mois que ce projet était dans les tuyaux, les administrateurs du Fiva ont finalement reçu fin juin un rapport de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) et de l’IGF (Inspection générale des finances) préconisant la fusion avec l’Oniam, cinq mois après que celui-ci ait été remis au gouvernement. Objectif affiché : donner aux deux structures « davantage de moyens et de visibilité renforçant ainsi leur efficacité » et « assurer à la politique publique de l’indemnisation une plus grande cohérence ». Anticipant que le passage par le conseil d’administration du Fiva ne serait qu’une formalité, le gouvernement avait envisagé d’inclure la fusion dans le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour une effectivité au 1er janvier 2023. Mais rien ne s’est passé comme prévu.
Le 31 août dernier le CA du Fiva a signalé sa « totale opposition au projet de fusion entre les deux établissements » estimant que cela porterait atteinte « aux droits et aux intérêts des victimes de l’amiante et ne permettrait pas de garantir la qualité de service à laquelle il est particulièrement attaché ». Quinze voix se sont exprimées contre la fusion : celles des associations de victimes (Andeva et Fnath), des organisations syndicales (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC), des organisations patronales (Medef, CPME, U2P) ainsi que celles de trois personnalités qualifiées ayant des connaissances particulières en matière d’amiante [1]. Les quatre représentants de l’État n’ont pas osé se prononcer. Ils se sont abstenus.
Le Fiva offre un haut niveau de satisfaction des victimes et des ayants droit et assure une instruction fiable des dossiers
Abondé par les employeurs via la branche accidents du travail-maladie professionnelles de la sécurité sociale et par l’État, le Fiva a indemnisé 100 000 victimes de l’amiante depuis 2002 (date de sa création) pour un montant total de six milliards d’euros. « Cet argent permet aux victimes et à leurs familles de ne pas ajouter la détresse financière aux épreuves de la maladie, et au chagrin », dit Alain Bobbio, qui se souvient de cet ouvrier malade affirmant à son épouse sur son lit de mort « j’ai fait mes calculs, tu sera obligée de vendre la maison ».
Unique en Europe, le Fiva ne permet pas aux employeurs des personnes indemnisées d’obtenir l’immunité en échange de leurs contributions. Ils peuvent être traduits au pénal (même s’il n’y a pas encore eu de procès pénal de l’amiante pour l’instant en France), et sont souvent poursuivis au civil, presque toujours avec succès. « En les poursuivant pour faute inexcusable devant le tribunal des affaires sociales, on leur fait porter la charge financière à eux, et non à la collectivité des employeurs qui ne sont pour beaucoup d’entre eux pas du tout liés à l’amiante », précise Alain Bobbio.
L’efficacité du Fiva a été saluée dans le rapport des hauts fonctionnaires préconisant sa fusion avec l’Oniam. « Le Fiva offre un haut niveau de satisfaction des victimes et des ayants droit et assure une instruction fiable des dossiers : les décisions sont contestées dans moins de 10 % de cas, et pour 80 % des dossiers le délai légal d’instruction de six mois est respecté (il est même souvent inférieur, autour de quatre mois, ndlr) et le paiement de l’indemnisation se fait dans le délai réglementaire de deux mois. »
On ne peut pas en dire autant de l’Oniam, créé par la loi Kouchner du 4 mars 2002 et censé indemniser les victimes d’accidents médicaux, comme les infections nosocomiales contractées à l’hôpital ou dans une clinique, ou les victimes du Mediator. L’Oniam a été épinglé par la Cour des comptes en 2017 en raison du taux élevé de rejet des dossiers, des délais très longs ainsi que des défaillances graves dans la gestion des fonds publics. « L’organisme est encore sous le coup d’un plan de redressement pour répondre à ces sévères critiques, relève le CA du Fiva. Au-delà des ses missions originelles d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux, il doit faire face aux nombreuses missions qui lui ont été progressivement confiées. La fusion envisagée ne peut que conduire à une perte d’efficacité pour la mission amiante. »
Chaque année, 1100 mésothéliomes sont encore déclarés, 23 ans après l’interdiction de l’amiante
Le CA du Fiva n’était pas le seul à penser que cette fusion porterait atteinte aux victimes de l’amiante. Brigitte Buguet-Degletagne, membre de l’Igas et sollicitée en tant que personne qualifiée pour donner son avis sur ce projet estimait ainsi que « les performances de gestion très contrastées des deux établissements, bien meilleures au Fiva, conduiraient nécessairement en cas de fusion à moyens globaux constants à minorer les moyens dédiés à l’indemnisation amiante. » L’ancienne ministre du Travail et cofondatrice du Fiva, Martine Aubry, s’est également inquiétée de ce projet.
L’un des arguments avancé pour défendre la fusion ? Le nombre de malades de l’amiante diminuerait, remarquait Brigitte Buguet-Degletagne. « Mais la recherche met à jour de nouveaux liens de causalité et révèle de ce fait de nouvelles victimes (cancers de l’ovaire et du larynx notamment), a-t-elle avancé. D’autre part les victimes non professionnelles ont été jusqu’à ce jour insuffisamment informées de leurs droits. » Si les maladies ont tendance à diminuer, la part des cancers broncho-pulmonaires et des mésothéliomes (cancer de la plèvre, membrane entourant les poumons, signature certaine d’une exposition à l’amiante) augmente.
Le rapport 2020 du Fiva souligne ainsi que pour la seconde année consécutive les victimes atteintes de pathologies graves sont majoritaires (53,3 %) parmi les nouvelles victimes de l’amiante. Chaque année, 1100 mésothéliomes sont encore déclarés en France, 23 ans après l’interdiction de l’amiante ! [2].