Espagne

Après les élections, une situation digne de Game of thrones en Catalogne

Espagne

par Stéphane Fernandez

Les Catalans votaient ce 21 décembre lors d’élections anticipées. Le parlement de Catalogne issu des précédentes élections de 2015 avait été dissous par le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, fin octobre. Le gouvernement de Madrid a ainsi tenté d’enrayer le processus d’indépendance, espérant que les indépendantistes perdraient la majorité, tout en mettant sous tutelle la province autonome et en emprisonnant plusieurs leaders indépendantistes accusés de sédition.

Lors de ce scrutin, Ciudadanos, mouvement de centre-droit et anti-indépendance, est arrivé premier lors d’une élection à la mobilisation historique. 25 % et 37 sièges sur les 175 du Parlement de Catalogne. Les partis indépendantistes ont de leur côté totalisé 47,7 % – comme en 2015 – et plus de 2 millions de votes. Ils conservent la majorité absolue au Parlement avec 70 sièges répartis entre le parti libéral de Puigdemont (34 sièges), la Gauche républicaine (32 sièges), alliée aux écologistes au Parlement européen, et la gauche radicale anticapitaliste (4 sièges).

Le Parti socialiste espagnol stagne avec 17 sièges, le Parti populaire (conservateur), au pouvoir en Espagne et entaché par de nombreuses affaires de corruption, est laminé (3 sièges). Les alliés locaux de Podemos payent leur position équidistante – ni indépendantiste, ni constitutionnaliste – et n’emportent que 8 sièges. Dialogue de sourd et blocage risquent bien de perdurer.

2,5 millions d’euros dépensés par Ciudadanos

Il y a plusieurs manières de lire les résultats selon d’où l’on parle. C’était une longue soirée électorale où presque tout le monde pouvait déclarer qu’il avait gagné. Même le Parti populaire (PP), avec ses trois députés et à peine 4 % de votes. Car le président du gouvernement Mariano Rajoy et le PP ne cherchaient pas la victoire en Catalogne. La répression de l’État et l’intransigeance de Rajoy lui a sans doute coûté des voix dans la province autonome où les tenants de l’unité de l’Espagne ont considéré que Ciudadanos incarnait le vote utile.

Mais Mariano Rajoy vise d’autres objectifs qu’une victoire ou une défaite de son parti en Catalogne. En Espagne, sa stratégie de tension lui a déjà permis de faire oublier les affaires de corruption qui minent son parti. Il peut encore espérer en tirer des bénéfices électoraux en se vantant d’avoir tenu les rênes de l’État dans un moment difficile et maintenu l’unité de l’Espagne.

Du côté de Ciudadanos, la victoire a un goût amer. Sa leader, Inès Arrimadas, ne devrait pas être en mesure d’accéder à la présidence de la région. Le parti a dépensé sans compter pendant la compagne électorale – plus de 2,5 millions d’euros ! Il a bénéficié de l’appui des grandes banques et des entreprises de l’IBEX 35 (le CAC 40 espagnol), et de la presse espagnole. Même le mouvement d’extrême-droite la Phalange avait appelé à voter pour lui. Ciudadanos bénéficie sans aucun doute de son image de parti jeune, n’ayant jamais gouverné. Il ne traîne pas une multitude de casseroles liées à la corruption. Son positionnement ultra-libéral ne l’empêche pas de faire le plein de voix dans la ceinture rouge de Barcelone.

Les indépendantistes renforcés mais la gauche affaiblie

C’est le grand paradoxe de ces élections, et une des raisons de la déroute de l’alliance de gauche « Catalogne en Commun » avec Podemos. Des villes qui, historiquement, ont toujours voté pour le parti communiste ou le parti socialiste [1] sont tombées dans l’escarcelle de Ciudadanos. Le parti de centre-droit y réalise souvent des scores supérieurs à 30 %. Son discours ultra-nationaliste espagnol et ultra-libéral y a fait mouche. Que feront ses dirigeants de cette victoire ? A Madrid, le Parti populaire ne gouverne que grâce à l’appui de cet encombrant partenaire, et grâce à l’abstention du Parti socialiste. C’est aussi cet équilibre qui se jouait lors de ces élections.

Les autres grands vainqueurs sont bien sûr les partis indépendantistes catalans. Malgré la répression féroce, malgré une campagne déséquilibrée où les deux principaux chefs de file n’ont pas pu être matériellement présents – Carles Puigdemont est toujours en exil en Belgique et Oriol Junqueras en prison à Madrid –, malgré la présence de deux listes concurrentes – alors qu’elles étaient unies en 2015 –, Junts per Catalunya (Ensemble pour Catalogne) et ERC (Gauche républicaine) remportent à eux deux 66 sièges.

Des élus en exil ou en prison

Mieux, ils voient le nombre de voix progresser de 240 000 voix par rapport à 2015, quand le total du PP et de Ciudadanos n’a augmenté que de 200 000 voix. Pour gouverner et atteindre la majorité, il leur faudra encore une fois compter avec l’appui des quatre députés de la CUP (gauche radicale). Mais, fait nouveau par rapport à 2015, ils n’auraient besoin que de l’abstention de la CUP. C’est une autre satisfaction pour Mariano Rajoy : la gauche radicale indépendantiste a été victime du vote utile et sentimental en faveur de Puigdemont. Elle perd six députés et sera moins à même d’imposer un agenda indépendantiste unilatéral comme lors de la précédente législature.

Au-delà des discours de fin de soirée électorale, la menace de la poursuite de la répression est plus que jamais présente. La Garde civile a transmis hier un rapport au procureur général mettant en cause les principaux organisateurs des manifestations de la Diada (11 septembre, fête nationale catalane). L’élection à la présidence du Parlement de Catalogne devrait être également problématique, puisque au moins huit des nouveaux élus sont aujourd’hui dans l’incapacité physique de siéger, étant en prison ou en exil. En Catalogne, plus que jamais, winter is coming

Photo : CC Antonin Ménagé

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Notes

[1Comme L’Hospitalet de Llobregat, Sabadell, Cornellà, Badalona, Mataró ou Tarrasa.