Quatorze morts, une personne portée disparue et 74 blessés. C’est le lourd bilan humain dressé par la préfecture de l’Aude, suite aux inondations ayant frappé le département dans la nuit du 14 au 15 octobre [1]. En l’espace de quelques heures, les pluies diluviennes ont déversé entre 200 et 300 mm d’eau, selon Météo France. C’est l’équivalent de 200 à 300 bouteilles d’eau d’un litre déversées sur un mètre carré ! D’après les météorologues, ces pluies torrentielles correspondent à « un épisode méditerranéen », c’est à dire des remontées d’air chaud, humide et instable en provenance de Méditerranée qui peuvent générer des orages violents parfois stationnaires.
Or, les pluies extrêmes vont être amenées à s’intensifier dans les années à venir sur le pourtour méditerranéen avec le réchauffement climatique, selon une étude publiée dans la revue Climatic Change le 25 septembre [2]. Plus l’air est chaud, plus il emmagasine de l’humidité. Par exemple, un degré Celsius supplémentaire se traduit par 7 % d’humidité supplémentaires. « Dans le sud de la France - notamment dans le bassin du Rhône -, le nord de l’Italie, le nord de la Grèce et sur les côtes adriatiques, l’augmentation de volume de ces pluies intenses pourrait dépasser 20 % à l’horizon 2100 », chiffre l’hydrologue Yves Tramblay, co-auteur de l’étude.
Quels enseignements tirés depuis les inondations de 1999 ?
Ce n’est pas la première fois que des inondations catastrophiques touchent le département de l’Aude. Les 12 et 13 novembre 1999, un épisode orageux diluvien s’abat sur l’ouest du Languedoc. Dans l’Aude, 25 personnes trouvent la mort, une personne est portée disparue et 200 000 personnes sont touchées par ces très fortes pluies. Les images d’archives collectées par Keraunos, l’Observatoire français des tornades et orages violents, ressemblent à celles diffusées en boucle ces derniers jours sur les chaines d’information.
« Suite à la catastrophe de 1999, l’Aude a pris un certain nombre de décisions », relève Maryse Arditi, présidente de l’association Eccla (Ecologie du Carcassonnais, des Corbières et du Littoral Audois). Elle salue la création en 2002 par le département d’un Syndicat mixte des milieux aquatiques et des rivières (SMARR), qui travaille notamment à la régulation des cours d’eaux. « Auparavant, il y avait 17 syndicats de rivières, désormais un seul organisme coordonne le tout », note t-elle. « Le deuxième enseignement, c’est que l’État s’est mis en mouvement par rapport au plan de prévention des risques inondation. » Ce plan, dit « PPRI », est destiné à évaluer les zones pouvant subir des inondations et propose des remèdes techniques, juridiques et humains pour y faire face. Des plans de prévention des risques littoraux (PPRL) ont également été pris depuis 2016 dans cinq communes de l’Aude, ajoute Maryse Arditi [3].
« Une forte volonté d’urbaniser, même en zone inondable ! »
Mais sur le terrain, ces plans de prévention des risques, qui freinent les constructions, se voient attaqués par des élus. « Il y a une forte volonté d’urbaniser, même en zone inondable. C’est insupportable ! », dénonce Maryse Arditi. Des infrastructures publiques comme l’hôpital de Carcassonne, construit en zone inondable, s’est ainsi retrouvé sous les eaux en début de semaine [4]. « Aujourd’hui nous sommes dans une situation où beaucoup de maisons se trouvent en zones inondables et l’on ne peut pas toutes les démolir. Pour tenter de corriger les erreurs du passé, on construit des digues. Et l’on a ensuite des élus qui proposent de refaire de nouvelles maisons derrière ces digues ! Il faut donc se battre en permanence pour que de nouvelles maisons ne soient pas à nouveau construites sur ces zones. »
La présidente de l’Eccla observe plus globalement « une volonté permanente des élus de développer leurs communes et d’avoir un maximum d’habitants ». Ces constructions se traduisent par une imperméabilisation des sols qui aggrave les phénomènes d’inondations. « Plus les surfaces consacrées aux villes, aux routes, aux zones commerciales et autres infrastructures augmentent, plus la proportion des pluies qui ruissellent au lieu d’être absorbées augmente à son tour », rappelle l’agronome Jacques Caplat [5].
Supermarchés partout, prévention nulle part
Géologue à la retraite, Michel Yvroux habite Carcassonne. Cette ville, durement frappée par les inondations, est aussi réputée pour avoir « plus de supermarchés par habitant que nulle part ailleurs en France ». Avec plus de 100 000 m2 dédiés aux grandes surfaces pour 48 000 habitants, la ville a une densité commerciale environ trois fois supérieure à la moyenne nationale [6]. « Quand je suis arrivé en 1981, il y avait un seul supermarché en venant de Narbonne. Imaginez tout ce qui a été construit !, souligne Michel Yvroux. Si vous prenez une carte géologique, vous verrez que toutes les zones marquées en alluvions sont inondées en ce moment. Ce sont des zones où la rivière coulait autrefois. Avant, ces plaines étaient des jardins, il n’y avait pas de construction. Beaucoup de vieux villages sont d’ailleurs bâtis sur les hauteurs. Il faut arrêter de construire dans toutes ces zones de plaines. »
La comparaison des photos aériennes de Trèbes (ci-dessus), entre 1950 et aujourd’hui, témoigne de l’urbanisation galopante au détriment des terres agricoles, des haies et talus qui contribuaient à réguler l’écoulement. « Les inondations qui nous touchent aujourd’hui donnent l’impression que, quoi que l’on fasse, au-delà d’une certaine limite, les fleuves et les rivières reprennent leur lit habituel et s’étendent au maximum dans la plaine. Malgré les travaux menés sur les bassins versants, le nettoyage des berges, les coupes, l’endiguement, la nature, elle, continue son travail », commente Michel Yvroux.
Un sol agricole vivant joue un rôle d’amortisseur des pluies d’orage
L’appauvrissement des sols agricoles pourrait aussi contribuer à l’aggravation des inondations. « Un sol agricole digne de ce nom est censé être riche en matière organique et en organismes vivants, et être bien structuré grâce à un système racinaire dense et varié. Sa richesse en matière organique lui permet de fonctionner comme une éponge, c’est-à-dire d’absorber directement de considérables volumes d’eau et de les retenir en son sein », explique Jacques Caplat. Selon le Rodale Institute, un sol biologique riche en matière organique peut absorber 20 % d’eau supplémentaire par rapport à un sol appauvri par les produits chimiques et le labour profond. Soit une différence de 200 000 litres par hectare !
« Cette capacité d’infiltration est particulièrement cruciale lors des pluies violentes. Un sol agricole vivant (en particulier riche en vers-de-terre) et bien structuré peut absorber entre 40 et 100 mm d’eau en une heure et joue donc un rôle d’amortisseur des pluies d’orage », illustre Jacques Caplat [7]. Or, la plupart des sols agricoles dégradés actuels n’absorbent qu’un à deux millimètres d’eau avant d’être immédiatement saturés en surface. Tout le reste ruisselle et provoque des débordements violents des cours d’eau. « Nous sommes aujourd’hui dépassés, on ne maitrise plus rien, commente Michel Yvroux. Il faudrait mettre en cause le mode d’urbanisme et d’agriculture qui imperméabilise les sols. L’équation est insoluble. » A moins qu’une insurrection des sociétés civiles nous permette d’éviter le pire ?
Sophie Chapelle
Photo de Une : Maude Chartrand / CC FlickR