En France, 896 000 personnes sont privées de logement personnel. Plus de 60 000 ménages prioritaires selon la loi « Droit au logement opposable » (Dalo) ne sont pas relogés. 100 000 individus vivent en camping ou mobil-home, expulsables sans préavis, soumis pour l’eau et l’électricité à des tarifs d’usuriers [1]. Notre pays compte 143 000 SDF qui vivent dans des cartons, des cages d’escalier, des entrées de parking ou dans le métro. Entre 2012 et 2016, 13 371 sans-logis sont morts dans la rue, invisibles, anonymes. Pas d’éditions spéciales de journaux télévisés. Aucune minute de silence. En centres d’hébergement, l’hiver dernier, 55 % des demandes n’ont pas abouti et 63 % l’été. À Paris, moins de 10 % des appels au 115 reçoivent une solution.
Se plaindre de la « crise » du logement n’a pas de sens, c’est le fonctionnement régulier du marché immobilier
Pourtant, les locaux et logements vides abondent. En 2011, l’INSEE dénombrait, 2,4 millions de logements ou locaux vacants en France, dont 500 000 rien qu’à Paris, Lyon, Marseille, Nice, Toulouse, Lille, Montpellier. Les deux tiers de ces habitations appartiennent à des personnes morales et un tiers à des particuliers. Avec un tel volume, difficile d’imaginer qu’un programme, même limité, de réquisitions ne puisse pas accueillir les 143 000 sans-abri et 60 000 « Dalo ». Se plaindre de la « crise » du logement n’a pas de sens. C’est le fonctionnement régulier du marché immobilier, et non sa pseudo-crise, qui génère des pénuries et les galères qui vont avec, en même temps que d’incroyables sur-profits.
De 1978 à 2009, le total des profits liés aux activités immobilières a été multiplié par 3,5 [2]. Alors que le PIB progressait de 14 %, la masse des profits de 17 %, les profits immobiliers engrangés par les entreprises ont gagné 90 % [3]. Énormément d’argent donc, amassé sur le dos des locataires et par spéculation, en laissant les plus fragilisés à la rue. Aujourd’hui, 4,2 millions de personnes consacrent plus de 40 % de leurs revenus pour se loger.
L’appel d’Emmanuel Macron aux propriétaires n’a « rien provoqué »
En 2017, pour l’hébergement d’urgence, le gouvernement a débloqué 212 millions d’euros. Peanuts : la somme ne couvre même pas les dépenses réellement consommées en 2016, et la dotation prévue pour 2018 est inférieure de plus de 40 millions à celle de 2017. Le secteur du logement semble avant tout pour Édouard Philippe, un filon pour effectuer des économies budgétaires. Et même pire. Au 1er octobre, les APL (dont bénéficient 6 millions de personnes en France) ont été réduites de 5 euros, soi- disant pour freiner la dégradation du budget de l’État. Mais la suppression de l’ISF a fait gagner à Bernard Arnault une fois et demi le montant des économies réalisées par cette baisse de 5 euros !
Cynisme rare, Emmanuel Macron appela les propriétaires à baisser leurs loyers de cinq euros, pour aider les locataires aux APL réduites. Selon le directeur du réseau d’agences immobilières ERA Immobilier, cet appel n’a « rien provoqué, le gouvernement ne fait pas entrer cette mesure dans la loi, les propriétaires n’ont donc aucune obligation ». Idem à l’Union nationale des propriétaires immobiliers. Le président de la chambre de Bordeaux indique qu’aucun propriétaire n’a bougé : « Ça m’aurait fait rire, les propriétaires n’ont aucune raison de faire cela » [4] Ces 5 euros en moins, précisa le gouvernement, face au tollé provoqué, ne concerneront pas les bénéficiaires des APL logés en HLM.
La privatisation du secteur public du logement déjà amorcée va ainsi s’accélérer au grand bonheur des « investisseurs »
Certes, mais un tiers seulement des bénéficiaires des aides au logement sont dans le parc public. Par ailleurs, le gouvernement, tordant le bras aux organismes HLM, leur a imposé de compenser cette baisse par une diminution équivalente de loyer. Résultat final : une perte de budget d’environ 1,5 milliard d’euros pour les organismes HLM. Ce qui aura des répercussions négatives sur les locataires. Car s’amoindrira immanquablement l’investissement des bailleurs sociaux pour construire de nouveaux logements très sociaux, et rénover ou entretenir les anciens, qui en ont fort besoin.
La politique gouvernementale est simple. Elle parie que le manque à gagner forcera les bailleurs sociaux à vendre plus de logements. Les organismes HLM en vendent environ 8000 par an. Le gouvernement les encourage à en rétrocéder entre 20 000 et 40 000 au privé. La privatisation du secteur public du logement déjà amorcée va ainsi s’accélérer au grand bonheur des « investisseurs ». Et puis, les prix pour se loger baisseront, assure Edouard Philippe, grâce au « choc de l’offre » qu’il va produire, et qui relancera comme jamais la construction. Sauf que cela ne fonctionnera pas. Même en triplant la construction, la production de logements neufs dépassera à peine 1 % à 2 % du stock de logements, ce qui reste très insuffisant pour peser sur le marché et les loyers. Historiquement, d’ailleurs, les pics de production de logements (plus de 400 000 en 2006, 2012 et 2017) n’ont jamais fait diminuer les loyers.
Last but not least, l’avant-projet de la loi sur le logement (prévue au printemps 2018) prévoit, pour tous les locataires de meublés, la création d’un « bail mobilité », d’une durée d’un à dix mois, révocable ensuite [5]. Les associations de locataires craignent évidemment une généralisation de ce bail, ajoutant de la précarité à la situation des locataires. L’Union nationale de la propriété immobilière, quant à elle, se frotte les mains, puisqu’elle plaide pour ce type de bail depuis longtemps.
Coordination de L’imposture Macron : Jean-Marie Harribey, Pierre Khalfa, Aurélie Trouvé.
Photo : Jeudi 8 mars, ouverture d’un nouveau lieu pour les personnes à la rue, à Nantes. Il s’agit d’une ancienne maison de retraite publique, équipée et fonctionnelle, vide depuis des mois / CC ValK
L’imposture Macron, Un business model au service des puissants, 192 p, 10 € (voir ici)