Mia [1], 38 ans, vient d’aider Manon à apprendre une poésie en commençant par la fin. C’est moins anxiogène pour la petite élève de CE1, qui souffre de troubles autistiques. Mia félicite Manon et lui indique la suite du programme sur un semainier avec photos, couleurs et pictogrammes qu’elle lui a fabriqué. Depuis 2012, Mia est « accompagnante des élèves en situation de handicap » – AESH selon l’acronyme dont l’Éducation nationale est friande, également nommé AVS (auxiliaire de vie scolaire). Une profession fortement féminisée, et qui connait un gros turnover. On y tient souvent un certain temps, avant de jeter l’éponge et d’être remplacé par quelqu’un d’autre.
Les auxiliaires de vie scolaire interviennent en maternelle, en primaire ou au collège. Elles sont 86 000, dont 28 000 dédiées à l’accompagnement des enfants handicapés à temps partiel [2]. « J’adapte les ateliers et le travail demandé par la maîtresse aux capacités de l’enfant, détaille Mia. Par exemple, s’il n’écrit pas, je lui propose de faire la dictée avec des lettres magnétiques. Mon rôle est aussi de rassurer l’enfant, pour qu’il puisse vaincre sa peur de la piscine, par exemple. » Mia a une formation d’aide médico-psychologique. Mais les horaires de travail en foyers pour personnes handicapées n’étaient plus compatibles avec sa vie de jeune mère célibataire. Elle s’est donc tournée vers le métier d’AVS : « L’accompagnement fonctionne quand on écoute les besoins de l’enfant : il se sent alors assez à l’aise pour donner du sens à sa scolarité. »
Grâce aux AVS, 80% de scolarisation en plus
Certaines « auxiliaires de vie » accompagnent spécifiquement un enfant, d’autres encadrent un groupe de manière collective. Toutes ont aussi un rôle de médiation dans les classes. « Ma mission est d’accompagner au mieux un enfant en situation de handicap pour qu’il devienne autonome. Je traduis en langue des signes, je fais du basket, de la cuisine ou de la guitare avec les enfants qui ont du mal à maintenir leur attention, pour qu’ils ne gênent pas les autres. Je mets en place tout ce qui peut les apaiser et leur faire passer la journée la plus sympa possible », explique Évelyne, 61 ans, AVS en Bretagne depuis 2011. Licenciée par une association de conteurs pour laquelle elle travaillait, elle a opté pour le métier après s’être formée à la langue des signes.
C’est une loi de 2005, affirmant le droit de tout enfant handicapé à une scolarité en milieu ordinaire, qui a propulsé le métier d’AVS. En dix ans, cette scolarisation a augmenté de 80% [3]. « Dans certains cas, l’inclusion ne fonctionne pas : quand l’enfant souffre de plusieurs troubles ou quand la scolarisation se fait à défaut de trouver une place dans une institution spécialisée », observe Évelyne. Selon Mia, les accompagnements se compliquent quand les parents nient l’ampleur du handicap de leur enfant : « Tout ce qu’on essaie de mettre en place pour le bien-être de l’enfant est refusé par des parents, qui martèlent que leur enfant n’est pas handicapé ».
« Le travail nécessaire pour devenir élève »
Ces cas restent minoritaires. Les AVS font surtout l’expérience, au jour le jour, de l’utilité de leur mission pour l’inclusion scolaire des élèves handicapés. « Les enfants progressent beaucoup : ils sont incités à s’adapter, à communiquer », note Evelyne. « Et les enfants sans handicap s’y familiarisent, avec bienveillance, ajoute Mia. Ils viennent spontanément dire à Manon : "tu fais des progrès !", "tu lis de mieux en mieux !" » Yasmine, la trentaine, AVS dans un collège de Lyon, le constate elle-aussi : « Les élèves dit "handicapés" sont acceptés par les autres. Ils nouent des relations. La plupart sont heureux de venir en cours car ils sentent qu’ils ont leur place parmi les autres, même avec leur différence. »
Évelyne aime son travail pour son caractère « utile » et pour son côté « riche et non-routinier » : « J’aime l’idée d’écouter les besoins et le rythme de l’enfant, selon ses capacités. Car j’ai découvert, depuis que je suis AVS, tout le travail nécessaire pour devenir élève. Dès petits, on leur en demande vraiment beaucoup. »
Les autres professionnels ont vécu la même prise de conscience : « On améliore le dialogue entre l’enfant et l’école, dit Mia. On cherche à mettre les enfants dans les meilleures conditions pour apprendre. Plus j’évolue dans les classes, plus je pense que chaque élève en aurait besoin. » C’est une conception de la réussite scolaire qui dépasse la problématique de l’inclusion du handicap. « Parce que le système scolaire considère que tout le monde doit entrer dans la même case, on voit de plus en plus d’enfants qui ont besoin d’aide, estime Yasmine. Notre travail montre qu’on peut obtenir des résultats avec des enfants qu’on a renvoyés à l’échec relationnel ou scolaire, alors qu’ils ont juste besoin d’être rassurés et revalorisés. »
« On fait des ménages pour joindre les deux bouts »
Mais la réalité du métier d’AVS est souvent difficile à vivre. Les AESH (sous contrat de droit public) et surtout les AVS (en contrat aidé) sont souvent embauchés en temps partiel subi, pour des contrats d’un an renouvelables six fois. Qui débouchent, ou non, sur un CDI. « Pour 24 heures mal réparties sur la semaine, je gagne 714 € par mois, détaille Evelyne. J’ai essayé de compléter avec un autre travail, mais je n’ai pas tenu. A cause des virus que j’attrape à l’école, je suis malade tout le temps. » Evelyne a donc réduit ses dépenses. Si la retraite ne s’approchait pas, elle chercherait un autre poste : « On nous dit que maintenant l’emploi c’est ça, qu’il n’y a plus de CDI. Mais comment pensent-ils qu’on peut tenir financièrement ? »
Yasmine, fière de son travail, aimerait porter son titre d’AESH avec allure. Mais c’est invivable d’être à découvert de 300 € tous les mois. « On travaille cinq jours par semaine pendant six ans, et on n’a aucune garantie de CDI. Alors on fait des ménages pour joindre les deux bouts, et on finit l’année à bout de fatigue, sans avoir de quoi partir en vacances. » Elle est membre, avec Delphine, d’un collectif d’AVS lyonnais qui réclame un meilleur statut, une formation et un salaire décent pour la profession. Mia voudrait continuer ce métier : « Je saurai dans six mois si je suis titularisée ou remerciée. Et on ne me gardera pas en fonction de mes compétences ni de la qualité de mes bilans écrits, mais selon les besoins dans le département, et surtout les budgets disponibles. »
Flouées par l’administration
Depuis que leur statut existe, les AVS demandent à être mieux formées, pour que leur métier soit davantage reconnu. Comme les autres, Évelyne a bénéficié d’une simple formation de 60 heures : « J’apprends sur le tas, en observant les enseignantes spécialisées. Je m’adapte. » Pour Mia, c’est une situation aberrante : « Non seulement aucune formation n’est exigée pour accompagner un enfant, mais celle qu’on nous dispense est basique. L’AVS peut vite se retrouver en échec. Sans parler de l’enfant... » Mia lit tous les livres qu’elle peut sur le handicap, utilise du matériel Montessori, regarde des vidéos sur Internet, ou encore organise des rendez-vous téléphonique avec le pédopsychiatre de l’enfant. Cette année, les parents de Manon lui ont payé un stage sur une méthode d’apprentissage particulière, qu’elle a réalisé sur son temps personnel.
Peu formées, mal payées, certaines AVS sont aussi flouées par l’administration. Pour des contrats payés 20 heures hebdomadaires, certains rectorats demandent aux AVS d’effectuer 24 heures, sous prétexte qu’elles bénéficient de congés payés supérieurs à la durée légale. Le ministère aurait donné des consignes pour que les rectorats mettent fin à cette annualisation abusive. Sans succès. « En Charente, nous avons lancé une procédure judiciaire avec quinze AVS », raconte Jean-Pierre Bellefaye, militant au syndicat Sud-Éducation. Il a étudié le dossier de près : Les prud’hommes, la cour d’appel et celle de cassation se sont tous prononcés contre l’annualisation : « D’après le code du travail, lorsqu’une entreprise ferme plus longtemps que les congés payés, l’employeur doit verser le salaire. Beaucoup d’AVS subissent néanmoins cette injustice, mais nous espérons qu’elles seront nombreuses à exercer des recours. Certaines AVS ont déjà perçu 3500 € en réparation. »
Manque de reconnaissance
Mia et Evelyne entretiennent des relations de confiance avec les enseignants. Elles participent aux réunions pédagogiques. Certaines de leurs collègues n’ont pas cette chance. « Des enseignants se sentent observés ou jugés par l’AVS ou n’acceptent pas qu’un enfant ait un régime spécial, explique Mia. Beaucoup ont des appréhensions. N’importe qui pouvant devenir AVS, ils craignent qu’il faille "une AVS pour l’AVS". » Au collège, Yasmine et Delphine sentent les auxiliaires de vie plutôt méprisées par l’équipe pédagogique : « Comme notre place est floue et nos profils très divers, certains profs nous parlent comme si on étaient demeurées. » Selon elles, le système de notation sur 20 empêche l’inclusion. « Beaucoup d’enseignants disent : "sans vous, l’enfant n’aurait pas ces notes. Vous voulez lui faire croire quoi, qu’il aura une vie normale ?" Eh bien oui ! » Elles militent pour qu’une animation pédagogique sur le travail avec un AESH soit proposée aux enseignants.
C’est aussi vis-à-vis de l’inspection académique que Mia cherche sa place : « Leurs directives indiquent qu’on n’a pas à échanger avec les parents. C’est le rôle du professeur des écoles. Pourtant, nous sommes les plus au fait de la progression de l’enfant. » Les parents de Manon se battent actuellement pour que Mia continue à l’accompagner. L’inspection académique préfère que l’accompagnant de l’enfant change tous les deux ans, ce que les familles et les AVS désapprouvent.
Un double discours du gouvernement ?
Les AVS, disent-elles, ne se sentiront pas bien dans leur métier tant que l’État ne consentira pas à créer une vraie profession d’accompagnant aux élèves handicapés, avec une sélection, une formation, un statut pérenne et un salaire décent. Pour Yasmine, « Il y a une abysse entre le discours politique sur l’inclusion du handicap et les moyens mis en œuvre pour y parvenir. Quelle est la priorité de l’état ? Recruter des AVS qui ne coûtent rien et font baisser les chiffres des chômeurs longue durée ou offrir un réel accompagnement aux élèves ? » Alors elle doute. Les temps d’accompagnements attribués aux élèves handicapés diminuent, de même que les budgets pour l’embauche des AVS. Résultat au collège, par exemple : une AVS accompagne de plus en plus d’enfants, les directeurs d’établissement jonglent pour prendre une heure d’accompagnement à un élève et l’attribuer à un autre. Certains élèves ont droit à un accompagnement, mais n’ont pas d’AVS.
En juillet, Sophie Cluzel, secrétaire d’État en charge du handicap affirmait que le nombre d’AVS serait suffisant à la rentrée. Et que les emplois seraient « modernisés, professionnalisés et pérennisés ». À peine un mois plus tard, le ministère du Travail annonce un coup de frein sur les contrats aidés. Ceux-là même qui concernent les AVS non-titularisées. Certes, le gouvernement a annoncé que l’Éducation nationale serait épargnée.
Bien que « sanctuarisée », selon une déclaration de Sophie Cluzel le 28 août, l’enveloppe « accompagnement des enfants handicapés » reste fixée à 50 000 contrats pour le second semestre 2017. Soit toujours 20 000 de moins qu’au second semestre 2016. Certaines AVS craignent donc le pire : la suspension de signature ou de renouvellement de leurs contrats. D’autres sont plus optimistes : cela pourrait être l’occasion d’accentuer les passages en CDI, d’investir dans la formation et la qualification de leur métier, un chantier théoriquement lancé sous François Hollande, mais peu suivi d’effets. Les AVS attendent pourtant cela depuis bien longtemps.
Audrey Guiller