Mal logement

Avoir vingt ans à Paris... et 80.000 euros de dette

Mal logement

par Sophie Chapelle

S’endetter lourdement sans devenir propriétaire. Tel est le sort réservé à huit jeunes mal logés, étudiants et travailleurs précaires. Leur odieux crime : avoir osé occuper un bâtiment laissé à l’abandon au cœur de Paris par sa riche propriétaire. Droit de propriété contre droit au logement : cette histoire met en exergue l’inégalité de traitement entre pauvres et riches et l’insuffisance du parc social. Et rappelle que la loi de réquisition n’est toujours pas appliquée.

Le 69 rue de Sèvres, c’est un bâtiment inoccupé depuis onze ans dans le 6e arrondissement de Paris. Alors qu’ils attendaient désespérément une place dans un logement social, huit étudiants pénètrent dans l’immeuble à l’abandon en mars 2008 et le rénovent.
Après trois mois d’occupation, la propriétaire, Clotilde Queru, porte plainte. Les occupants lui proposent pourtant de payer un loyer. La justice donne raison à la riche propriétaire en août 2008. Les huit jeunes sont condamnés à verser « une indemnité d’occupation » dont le montant s’élève à 80.000 euros ! A cette somme s’ajoute 6 000 euros d’astreinte chaque mois, dans le cas où ils continueraient à rester dans les locaux. Pour couronner le tout, leurs comptes en banque sont saisis. Même pour les millionnaires, il n’y a pas de petits profits.

Le 15 juin 2009, les huit jeunes habitants de l’immeuble passent devant le juge d’exécution des peines pour contester la saisie de leurs biens personnels. L’équipe de Basta! est allée à leur rencontre au Tribunal de grande instance de Paris.

Le 20 juillet 2009, la décision du juge d’exécution tombe : il ordonne la « main levée » sur une bonne partie des saisies. Ces dernières sont donc reconnues illégales. Pour autant, les huit jeunes ne récupèrent pas leur modeste pécule préalablement saisi.

Continuer la réquisition

Des précaires criminalisés d’un côté quand de l’autre, le parc social public est très insuffisant : 1,2 millions demandeurs de logement social sont recensés. Pourtant, bien des municipalités sont en deçà des 20 % exigés par la loi SRU (solidarité et renouvellement urbains). Quand d’autres utilisent des subterfuges - maisons de retraite, chambres d’étudiants, centres d’hébergement, résidences sociales, foyers - pour atteindre le seuil des 20 %.

« Ce sont les couches moyennes qui, en majorité, accèdent désormais au logement social », relève Annie Pourre, porte-parole de l’association Droit au logement (DAL). Paupérisées, les couches moyennes n’ont en effet plus la possibilité d’accéder à la propriété, et les populations les plus pauvres se retrouvent reléguées loin du centre ville ou... sans logement.

Pour le DAL comme pour Jeudi Noir, les solutions à court terme, en attendant la construction massive de logements sociaux, sont la réquisition de logements vides. Pour les jeunes du 69 rue de Sèvres, désormais à la rue, un immeuble public sera probablement prochainement investi. L’occasion de vérifier si le soutien affiché par la Mairie de Paris auprès de ces huit étudiants est bien réel.

Sophie Chapelle