Malgré les interdictions, le barrage de Caussade dans le Lot-et-Garonne – un ouvrage de 378 mètres de large et 12,5 mètres de haut – a tout de même été creusé sous la pression de la chambre d’agriculture [1]. Ce 10 juillet, le tribunal correctionnel d’Agen a condamné les commanditaires de cet ouvrage illégal, le président de la chambre d’agriculture du département, Serge Bousquet-Cassagne, et son vice-président, Patrick Franken, à neuf mois de prison ferme et à la révocation d’un précédent sursis de quatre mois pour le premier ; à huit mois ferme et quatorze mois de sursis pour le second. Une peine assortie d’une amende de 7000 euros chacun. « C’est une très bonne décision qui sanctionne fermement la délinquance environnementale, en espérant qu’elle soit confirmée ultérieurement », a commenté Alice Terrasse, avocate de France nature environnement (FNE). Les prévenus ont fait appel du jugement.
« Opposition offensive de la profession agricole aux politiques et polices environnementale »
Il leur est reproché d’avoir exécuté des travaux nuisibles à l’eau et aux milieux aquatiques et de les avoir pollués au passage. La chambre d’agriculture, maître d’ouvrage dans cette réalisation, est sanctionnée de 40 000 euros d’amende, dont 20 000 euros avec sursis. Cependant la demande de remise en état du site, donc la destruction du barrage, n’a pas été suivie, tout comme les cinq ans d’inéligibilité.
L’affaire du barrage de Caussade remonte à 2015. Cette année là, un audit ministériel sur les politiques de l’eau et de la biodiversité fait état « des tensions fortes dans le département » en raison des besoins en irrigation. Ses auteurs s’inquiètent de « l’opposition offensive de la profession agricole aux politiques et polices environnementales, devenue agressive, voire anxiogène à l’endroit de ceux qui les portent ». En dépit des réserves émises par l’Agence française pour la biodiversité et le Conseil national de la protection de la nature, la préfecture publie en juin 2018 l’arrêté d’autorisation du lac de Caussade.
« Racket de l’eau »
Alors que deux associations, France nature environnement (FNE) et la Sepanso, contestent devant la justice l’arrêté préfectoral, l’ensemble de la zone est défriché et plus de 3000 m2 de zone humide sont détruits. Un courrier des ministres de l’Agriculture et de la Transition écologique estime le projet illégal car « pas compatible avec le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux », ce qui amène la préfète à retirer l’autorisation le 15 octobre 2018. Malgré la plainte déposée par la préfecture de région, la chambre d’agriculture dirigée par le syndicat « Coordination rurale » poursuit les travaux qu’elle finance entièrement, pour environ un million d’euros.
Le barrage de Caussade « ne répond en rien à la problématique locale, qui est de partager la ressource de la manière la plus juste, pour l’ensemble des habitants d’un territoire où l’eau manque régulièrement » dénonce FNE, qui voit là un « racket de l’eau ». Il y a « des départements où les règles de gestion de l’eau ne sont plus respectées depuis des années par les chambres d’agriculture. Des arrêtés sécheresse sont publiés mais il n’y a plus personne pour contrôler les prélèvements. Caussade est révélateur d’une situation dégradée dans un département », nous confiait la vice-présidente de l’association, Florence Denier-Pasquier, en 2019.
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Le combat continue pour la réhabilitation du site
Un arrêté préfectoral est bien publié en mai 2019, enjoignant la chambre d’agriculture locale à détruire sous trois mois la retenue d’eau, et à consigner dans un délai de dix jours « la somme de 1 082 000 euros correspondant aux travaux et opérations de suppression de l’ouvrage » [2]. Cet arrêté ne sera jamais suivi d’effet sur le terrain. Les tentatives de la préfecture, d’abord pour interrompre la construction en 2019 puis, en février 2020, pour faire vider la retenue dont la fiabilité est mise en doute par des expertises, sont toutes restées vaines.
Les élus locaux qui soutiennent vigoureusement l’ouvrage ont obtenu du gouvernement, en mars 2020, que l’eau de Caussade puisse être utilisée sur les cultures cet été. Elle servira ainsi à irriguer les champs d’une vingtaine d’exploitations agricoles. A la suite de la décision du tribunal correctionnel ce 10 juillet, des agriculteurs ont allumé des « feux de la colère » sur leurs exploitations. L’association France Nature Environnement entend, elle, continuer son combat pour obtenir la réhabilitation du site. La guerre de l’eau n’est pas prête de s’arrêter.
Sophie Chapelle
Photo : WikiMedia / NRCS Montana