Le président brésilien Jair Bolsonaro et son gouvernement constituent une véritable calamité pour le Brésil, ses citoyens et la terre qu’ils habitent. C’est ce qui ressort de l’édition 2020 du « Baromètre d’alerte sur la situation des droits humains au Brésil » qui sera rendu public ce 19 janvier [1]. Les indicateurs collectés par une coalition d’organisations, qui s’étend de Act-Up au Secours catholique, en passant Attac, l’association Autres Brésils, le CCFD, ou France Libertés, sont alarmants, tant au niveau social qu’écologique.
Au rythme où s’est accélérée la déforestation, la fragilisation de l’écosystème amazonien pourrait bien atteindre son point de non-retour d’ici trois décennies seulement. D’août 2019 à juillet 2020, les incendies volontaires et l’extension des élevages ou des cultures de soja ont fait disparaître plus de 11 000 km² de forêt amazonienne, soit l’équivalent de la région Île-de-France, selon les relevés de l’Institut brésilien de recherches spatiales (INPE). La surface de forêt détruite a quasiment doublé comparé à la déforestation moyenne lors des dix dernières années 2009-2018.
« Une progression alarmante et généralisée de la violence à l’encontre des peuples autochtones »
L’expansion de l’agrobusiness se traduit aussi par l’intensification des pollutions. « L’importation et l’utilisation de produits phytosanitaires est en constante augmentation, faisant du Brésil le premier pays consommateur de pesticides par hectare au monde, note le baromètre. 674 nouveaux pesticides ont été approuvés sous le gouvernement Bolsonaro, un record. Approuvés sans débat ni consultation, 88 % de ces nouveaux produits sont pourtant considérés comme dangereux pour l’environnement (...), entraînant un appauvrissement des sols, une contamination des cours d’eau, la disparition de la biodiversité et des risques pour la santé des populations (empoisonnements, développement de maladies et malformations, etc.). »
Les communautés autochtones – plus de 300 sont recensées dans le pays – sont en première ligne face à ces injustices environnementales. Elles sont confrontées à une augmentation considérable des invasions de leurs terres et de l’exploitation illégale de ressources, souvent implicitement encouragées par le gouvernement. Les processus de démarcation de terres des communautés autochtones, qui permettent de rendre illégales toutes tentatives d’intrusion ou de privatisation par des entreprises, sont gelés ou remis en cause par le gouvernement. Le Conseil indigéniste missionnaire (Cimi, une organisation héritée de la théologie de la libération et œuvrant à l’émancipation des autochtones) constate « une progression alarmante et généralisée de la violence à l’encontre des peuples autochtones en 2019 ». Cette violence s’ajoute à une fragilité particulière de ces communautés face à l’épidémie de Covid, hors de contrôle au Brésil, du fait de l’absence de volonté gouvernementale. « Les peuples autochtones affrontent un des moments historiques les plus difficiles depuis l’invasion coloniale », constate ainsi le Cimi.
« 79% des personnes tuées en 2019 lors d’ interventions policières sont noires »
Cette « brutalisation » ne cible pas seulement la forêt amazonienne et ses habitants. Elle s’étend à toute la société brésilienne. Les violences policières y atteignent un niveau sidérant, révélateur du climat de violence et d’impunité qui règnent, alimenté aussi bien par la répression aveugle déployée par les forces de police, les exactions des milices urbaines (souvent composées d’anciens policiers) et les gangs de trafiquants qui prospèrent sur les inégalités abyssales. En 2019, 6375 personnes ont été tuées lors d’une intervention policière au Brésil. Rapporté à la population, c’est comme si la France comptait plus de 2000 personnes abattues par les forces de l’ordre chaque année, alors qu’une trentaine de personnes décèdent en France des suites à l’usage de la force, légitime ou non. Les forces de police brésiliennes ciblent spécifiquement les personnes noires : « 79,1 % des personnes tuées en 2019 lors d’interventions policières étaient noires », relève le baromètre. Les policiers noirs ont aussi plus de risque d’être assassinés. « Les différentes corporations de la police – militaires et civiles – sont parmi les rares institutions qui n’ont pas fait l’objet de réforme après la fin de la dictature militaire. L’héritage d’un modèle de “sécurité publique” basé sur la répression continue d’être transmis, avec la doctrine de sécurité nationale et l’idéologie de la guerre (contre les drogues) », analysent les auteurs du baromètre.
Les féminicides augmentent également. 1326 féminicides ont été recensés en 2019 : chaque jour, trois à quatre femmes brésiliennes sont tuées en tant que femmes, que ce soit dans un cadre « intime » (par un conjoint, ex-conjoint ou un membre de la famille) ou en dehors de ce cadre (suite à un viol ou des mutilations commis en dehors, dans le cadre de conflits ou de violences ciblées). Là encore, les deux-tiers des victimes sont des femmes noires. Les personnes homosexuelles et trans subissent également une aggravation des violences : « 329 personnes LGBTQI+ ont été victimes d’une mort violente au Brésil en 2019 (assassinats ou suicides). » Ce qui fait du pays le « champion du monde des crimes contre les minorités sexuelles », selon le baromètre. « L’État continue d’ignorer ces chiffres et n’a mis en place aucune mesure de protection pour les personnes LGBTQI+, même après la décision du Tribunal suprême fédéral en juin 2019 de reconnaître la LGBTphobie comme un crime au même titre que le racisme. »
Bolsonaro, grand admirateur de Trump
Ce terrible panorama ne doit pas masquer l’impressionnante résistance de la société civile brésilienne face à cette brutalisation. Malgré les discriminations dont elles font l’objet, 502 personnes LGBTQI+ ont ainsi été candidates aux élections municipales de novembre 2020 et 90 d’entre-elles ont été élues, dont un nombre record de personnes trans. Des manifestations féministes ou contre les violences policières se sont également déroulées partout dans le pays. Face à la crise sanitaire et à la résurgence de la faim – qui frappent 10 à 15 millions de personnes –, plusieurs mouvements sociaux, dont le Mouvement des sans terres, des organisations défendant les peuples autochtones ou des associations promouvant l’agroécologie se sont mobilisées en faveur d’une loi favorisant l’agriculture familiale. Approuvée au Congrès, celle-ci a été en partie censurée par le président Bolsonaro. Les communautés autochtones ont aussi réussi à faire plier le gouvernement pour faire adopter un plan d’urgence face à l’épidémie.
Reste une question : une perspective d’alternance politique à Jair Bolsonaro se construira-t-elle d’ici la prochaine élection présidentielle, qui aura lieu à l’automne 2022 (après l’élection présidentielle française) ? Et quelle sera l’attitude de Bolsonaro, de son gouvernement et de l’armée – sur 22 ministres, neuf sont des militaires ‑ en cas de défaite électorale, au regard de ce qui se produit aux États-Unis ? Le président brésilien demeure un grand admirateur de Donald Trump.
Ivan du Roy
Photo : une communauté quilombolas (constituées par des descendants d’esclaves) dans l’Etat du Minas Gerais, en octobre 2020 / CC Mídia Ninja