COP26

« On a encore la possibilité de contenir le réchauffement climatique dans des limites relativement vivables »

COP26

par Rachel Knaebel

Du 31 octobre au 12 novembre, Glasgow accueille la 26e Conférence internationale sur le climat. Les citoyens y seront aussi présents, pour le Sommet des peuples. Que peut cette Cop26 ? Réponses avec Nicolas Haeringer, du mouvement 350.org.

basta! : Qu’attendez vous de cette 26e Conférence internationale pour le climat, alors que cet été encore, le Groupe international d’experts sur le climat (Giec) a alerté sur le changement climatique dont les conséquences risquent de devenir catastrophiques ?

Nicolas Haeringer, porte-parole de l’ONG environnementale 350.org

Nicolas Haeringer [1] : Nous ne sommes plus ici dans des Cop très politiques et symboliques comme l’a été la Cop21 de Paris en 2015. Les Cop sont devenues beaucoup plus techniques, mais elles n’en sont pas moins importantes. De nombreux acteurs étatiques et de la société civile disent que la Cop de Glasgow est même plus importante que celle de Paris, dans la mesure où c’est précisément là que sera décidée la feuille de route pour la mise en œuvre de l’accord de Paris. Si on considère que l’accord de Paris est historique et qu’il est à même de changer les choses, alors la Cop de Glasgow est décisive.

Après, nous faisons face à de plus en plus d’incertitudes sur la mise en œuvre des engagements pris à Paris. Dans le même temps, des choses importantes sont en train de se passer, comme l’annonce de la Chine en septembre de ne plus financer de centrales à charbon hors de ses frontières. Peut-être est-on en train d’entrer dans une phase de décisions marquantes et concrètes sur le climat, mais qui sont difficiles à appréhender car elles sont prises par des États dont on n’attendait pas nécessairement qu’ils se saisissent du leadership sur le sujet.

Décider de la mise en œuvre concrète des engagements de Paris, cela pourrait être, par exemple, décider de la fin du financement du charbon ?

Ce type de décision n’est jamais sur la table officiellement dans les négociations des Cop, car la Convention cadre des Nations unies sur le climat ne mentionne pas l’énergie. La question de l’énergie et des combustibles fossiles ne fait pas partie du mandat des Cop. Dans l’Accord de Paris, le mot énergie n’apparaît qu’une seule fois, quand l’Agence internationale de l’énergie est mentionnée. Il n’y a aucune mention du charbon, ni de la question de l’exploitation du gaz ou du pétrole. Ceci étant, ce genre d’annonces peut se faire en marge de la Cop. Ce qui va se jouer à Glasgow, c’est notamment la question du financement, pas dans le sens « est-ce que la BNP va continuer à investir dans Total ou pas » mais : est-ce que les États-Unis vont abonder le Fonds vert pour le climat [créé en 2014 et destiné à financer des mesures d’atténuation et d’adaptation au réchauffement climatique,ndlr] ? L’Union européenne va-t-elle relever sa contribution ? Qu’est-ce qui sera mis sur la table en termes de transferts financiers aux pays les plus pauvres, pour l’adaptation au changement climatique et les réparations des dégâts subis ? Cette question sera très importante à Glasgow.

C’est aussi là qu’on va discuter de plusieurs mécanismes problématiques comme le marché carbone. L’article 6 de l’Accord de Paris ouvre la voie aux mécanismes de marché comme une des manières d’atteindre les 1,5 degré. C’est aussi dans cette Cop que sera discuté, même si cela ne sera pas forcément dans l’accord lui-même, l’abandon des contributions volontaires des États sur les réductions des émissions de gaz à effet de serre, qui seraient remplacées par les fameux engagements de neutralité carbone [continuer à brûler du pétrole ou du gaz tout en « compensant » ces émissions en finançant, par exemple, des actions environnementales, ndlr]. Ce type de discours permet par exemple aux Émirats arabes unis – gros producteur de pétrole – de dire « on va atteindre la neutralité carbone en 2050 », ou à Total de dire « on va être neutre en émissions d’ici à 2050 ».

Voulez-vous dire que les annonces sur la neutralité carbone ne sont que des plans sur la comète sans aucun engagement concret à court terme ?

Oui, et quand ces annonces ne sont pas seulement des plans sur la comète, alors on a deux options, toutes deux problématiques. La première, c’est d’avoir recours à des technologies dangereuses et hasardeuses, comme la séquestration de CO2 ou la géo-ingénierie. La deuxième, c’est un recours massif à des plantations forestières pour compenser les émissions. Ce qui peut apparaître comme une bonne idée au premier abord, mais qui ne l’est pas dans la réalité. La plupart du temps, il s’agit de plantations d’essences d’arbres très pauvres, pas du tout de la forêt primaire, ce qui serait plus intéressant en termes de captation CO2.

L’autre problème est que, par exemple, pour que Shell compense ses émissions de CO2, il faudrait planter des arbres sur l’équivalent de toute la surface de l’Inde. Donc, ce type de neutralité carbone va conduire à l’accaparement des terres. Tout cela va de pair avec l’idée que poursuivre la neutralité carbone permettrait de continuer à émettre des gaz à effet de serre au niveau actuel, voire d’augmenter les émissions. Un troisième problème est que le principe de la neutralité carbone repose sur des mécanismes de marché, de vente et et de revente de certificats carbone, donc sur de la spéculation.

Les délégations du mouvement climat qui seront présentes à Glasgow au Sommet des peuples, du 7 au 10 novembre, pourront-elles faire pression pour les obliger les États à prendre des engagements réels et à les mettre en œuvre ?

Les mobilisations des sociétés sur le climat sont certes importantes, mais sont quand même en perte de vitesse, aussi à cause du Covid.

Il y a un fossé qui s’agrandit entre l’ampleur des mobilisations et la réalité des impacts et des conséquences du changement climatique, qui frappent de plus en plus fréquemment et violemment, désormais aussi dans des régions qui se croyaient épargnées jusqu’ici, comme l’Allemagne. Ce hiatus va en grandissant et il est vraiment problématique, car il accrédite l’idée que c’est trop tard, qu’il n’y a rien à faire. Alors qu’on a encore la possibilité de contenir le réchauffement climatique dans des limites relativement vivables. 1,5 degré et 2 degrés de réchauffement global, ce n’est pas la même chose. De toute manière, chaque dixième de degré compte. On peut encore avoir un impact significatif sur le niveau de réchauffement et ses conséquences. C’est difficilement compréhensible de voir que, alors que les impacts du réchauffement sont de plus en plus visibles, le mouvement climatique n’est pas en train de fleurir et d’organiser des actions de plus en plus radicales. Il faut qu’on arrive à trouver des manières de remonter en intensité, en radicalité, et en nombre.

Ce qui va notamment être important au Sommet des peuples, c’est la question de l’énergie. Avec la crise globale actuelle de l’énergie, il faut arriver à contrer le discours des magnats des énergies fossiles qui vont utiliser cette crise pour dire qu’on a été trop vite dans la transition et qu’on ne peut pas se passer des fossiles. Cette crise signifie précisément l’inverse : elle est la preuve de la nécessité d’accélérer la transition, car moins on en fait aujourd’hui, plus ce seront les classes populaires qui paieront le prix de l’absence d’action.

En Afrique, en Asie, en Amérique latine, les mobilisations climatiques sont-elles faibles ?

Elles sont toujours relativement fortes, surtout quand il s’agit de lutter contre des projets d’infrastructures émetteurs de gaz à effet de serre. C’est là que le mouvement continue à engranger des succès. D’ailleurs, les récentes annonces chinoises sur l’abandon des centrales à charbon à l’étranger sont aussi le résultat des mobilisations. Il y a de de plus en plus de réticences contre les projets charbonniers que la Chine finance. Un mouvement contre ce type d’infrastructure serait une stratégie défendable si on avait beaucoup de temps devant nous. Ce n’est pas le cas, il faut donc passer à la vitesse supérieure. C’est l’enjeu des discussions à l’heure actuelle.

Dans le mouvement climat, quelle est la position sur le nucléaire et son rôle potentiel dans la transition énergétique ?

La question de la place du nucléaire dans la transition énergétique est une discussion 100 % française, ou presque. Ailleurs, la position est claire dans le mouvement climatique pour dire que le nucléaire est l’un des exemples les plus emblématiques de fausse solution. Car cela ne règle ni le problème de la dépendance énergétique, ni le problème des dangers associés à la ressource, ni le problème de la démocratie, car cette énergie n’est pas compatible avec un réseau de distribution énergétique décentralisé.

Maintenant il y a certes le fantasme des mini centrales nucléaires, mais vu le risque que représente le nucléaire à la fois en termes de catastrophe et de détournement par des groupes armés, cela ne semble pas une solution. À la rigueur, on peut dire que le nucléaire répond peu ou prou au problème climatique que posent les énergies fossiles. Mais il y a un consensus mondial, en dehors de la France, dans le mouvement pour le climat pour dire que le nucléaire n’est pas une solution.

Que pensez-vous de l’Assemblée mondiale de citoyens sur le climat mise en place sous l’égide de l’Onu, avec cent personnes tirées au sort – de nationalité chinoise, indienne, d’Afrique et d’Europe – qui vont délibérer en ligne sur l’équité et l’efficacité de l’action climatique, et présenter une première série de propositions à la COP26 ?

Malheureusement, c’est un gadget. Ce n’est pas là que les décisions vont se prendre. Ce n’est d’ailleurs pas non plus dans la plénière de la Cop. L’exemple de la Chine est à nouveau révélateur. La Chine a, en gros, annoncé avec l’arrêt du financement des centrales à l’étranger que l’ère du charbon est terminée. Pendant ce temps, la France, les États-Unis et l’Australie s’engueulent pour savoir qui va fabriquer les sous-marins qui auront pour objectif de contrecarrer l’influence chinoise dans le Pacifique.

Les négociations climatiques ont toujours été aussi un espace dans lequel se mettent en scène des rapports de force géopolitiques, aujourd’hui entre un monde, dont la France et les États-Unis, qui est encore dominé par les puissances pétrolières, et un monde d’autres États qui certes ont surutilisé les combustibles fossiles, mais vont peut-être proposer maintenant quelque chose d’alternatif. Ici se pose la question de la place de l’action démocratique dans l’action climatique, face à l’approche d’États autoritaires comme la Chine.

Recueilli par Rachel Knaebel

Photo : ©Gilles Potte

Notes

[1Nicolas Haeringer est porte-parole de 350.org, un mouvement international engagé pour la fin des énergies fossiles et une transition mondiale vers les énergies renouvelables. Il sera à la Cop26 et au Sommet des peuples.