À l’heure de la COP29, le devenir de la lutte mondiale contre le dérèglement climatique apparaît plus incertain que jamais. Alors que les crises se multiplient – économiques, géopolitiques, énergétiques, migratoires… – le soutien mondial aux engagements environnementaux semble s’amenuiser. Le retour de Donald Trump, climatosceptique notoire, à la présidence des États-Unis augure un plus que probable désengagement de la première économie mondiale de la scène climatique ; ce qui risque aussi, par effet domino, de dissuader un acteur majeur comme la Chine d’intensifier ses efforts face à l’absence de réciprocité.
Ce contexte troublé suscite de vives inquiétudes quant au risque d’effritement de la coopération internationale, pourtant indispensable pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris et décarboner l’économie.
Dans ce climat de doute, les pays du Sud, en première ligne face aux impacts du changement climatique, craignent que leurs besoins ne soient relégués au second plan. Parmi eux, l’Inde - acteur incontournable des négociations internationales et porte-drapeau des États du Sud, plaide pour une action climatique équitable. Depuis son engagement précoce dans la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique en 1992 jusqu’à son rôle central dans les négociations de l’Accord de Paris en 2015, la position de l’Inde a évolué d’une participation prudente à un leadership affirmé.
Évolution de la diplomatie climatique indienne
Initialement, l’Inde avait adopté une position plutôt défensive, considérant que la responsabilité de conduire les efforts de réduction des émissions revenait principalement aux pays industrialisés, historiquement responsables de la majorité des gaz à effet de serre. Cependant, face à l’urgence climatique et aux défis croissants, la stratégie indienne est devenue plus conciliatrice. Elle a construit des ponts entre les pays riches, historiquement responsables des émissions de gaz à effet de serre, et les pays du Sud, particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique. Lors de la COP21, l’Inde a ainsi soutenu l’Accord de Paris tout en mettant l’accent sur les besoins des pays vulnérables et le financement des transitions énergétiques.
En tant que cinquième puissance économique mondiale, l’Inde a progressivement assumé un rôle de leader dans la défense des intérêts des pays du Sud, et tenté d’équilibrer ses impératifs de développement économique avec ses objectifs climatiques. Dans cette perspective, elle plaide dans les négociations climatiques actuelles pour un financement accru en faveur de l’« adaptation » aux effets du changement climatique et pour la prise en compte des « pertes et préjudices » subis en raison des catastrophes climatiques – deux axes prioritaires de l’action climatique pour les pays en développement.
Développement massif des énergies renouvelables
Sur le plan intérieur, New Delhi a aussi entrepris des actions concrètes pour limiter ses propres émissions, notamment à travers ses Contributions déterminées au niveau national (CDN). Depuis 2015, le pays s’est engagé à réduire ses émissions de carbone et à promouvoir les énergies renouvelables, sous réserve toutefois de recevoir un soutien financier et technologique de la part des pays riches.
En 2024, l’Inde figure à la septième place du Climate Change Performance Index et a réalisé des avancées significatives : plus de 40% de sa capacité électrique installée provient désormais de sources non fossiles, grâce à une expansion rapide des énergies solaire et éolienne. Avec une capacité en énergies renouvelables dépassant les 175 GW, le pays se rapproche de son objectif ambitieux de 500 GW d’ici 2030.
Au-delà de ses engagements multilatéraux, l’Inde explore aussi des mécanismes alternatifs pour accélérer la décarbonation, se montrant prête à coopérer sur divers fronts - bilatéraux [1], minilatéraux [2], plurilatéraux - et à développer des initiatives telles que l’Alliance solaire internationale. Cette diversification des approches reflète un engagement stratégiquement étendu sur la scène internationale et souligne l’importance de la question climatique dans sa politique étrangère.
Les contradictions de la transition énergétique indienne
Cependant, en dépit des ambitions affichées en matière de neutralité carbone et de développement des énergies renouvelables, la transition énergétique de l’Inde est confrontée à des défis de taille. Pour satisfaire les besoins énergétiques d’une population en pleine expansion, le pays reste massivement dépendant du charbon, une ressource clé pour sa souveraineté énergétique ; mais aussi principale source de ses émissions de gaz à effet de serre et de graves pollutions de l’air, des eaux et des sols. Quatre-vingt-trois des cent villes les plus polluées de la planète sont indiennes (IQAir, 2023).
Par ailleurs, les processus de transition énergétique en Inde, qu’ils soient orientés vers « plus de charbon » ou vers les énergies renouvelables, sont marqués par de profondes inégalités. Ils ignorent les injustices liées à l’expropriation des terres, à la marginalisation et à l’appauvrissement des communautés locales, et s’accompagnent souvent de violences cautionnées par l’État. Les critiques contre les politiques énergétiques du gouvernement, notamment celles venant de militants écologiques, paysans, indigènes, sont fréquemment étouffées à travers un éventail de mesures répressives.
Si l’Inde ne s’attaque pas aux racines de l’injustice climatique, elle risque de reproduire les mêmes dynamiques de développement extractiviste, qu’il s’agisse de combustibles fossiles ou d’énergies vertes. À l’heure de la 29e COP, l’Inde se trouve à un tournant décisif où il devient urgent pour elle de transformer ces contradictions en opportunités, afin de concrétiser une transition véritablement durable et juste, ce qui renforcerait plus encore son rôle de leader sur la scène climatique internationale.
Aurélie Leroy
photo de Une : de jeunes activistes de Fridays for Future en Inde manifestent pour demander la justice climatique, 23 décembre 2020 / FlickR CC BY-NC-SA 2.0