Amnésie

Cadeaux fiscaux ou « zones franches financières » : comment la France cherche à attirer les traders de la City

Amnésie

par Olivier Petitjean

Il y a dix ans, les gouvernements des pays riches, affolés par la crise des subprimes, affichaient une ferme volonté de réguler la finance. Dix ans plus tard, en France, le lobbying constant des grandes banques et l’élection d’Emmanuel Macron ont définitivement remisé au placard les velléités de régulation plus stricte. Avec le Brexit et la sortie du Royaume Uni de l’Union européenne, les autorités françaises ont désormais une autre priorité : attirer les institutions financières de Londres, avec leurs traders, leurs produits dérivés et leurs avocats d’affaires, vers Paris grâce à des cadeaux fiscaux et réglementaires.

Les temps changent. En 2012, François Hollande avait été élu à la présidence de la République après un discours très remarqué désignant la finance comme son principal « adversaire ». Cinq ans plus tard, les responsables politiques français rivalisent de cajoleries à l’égard des grandes banques et du secteur financier international. Revirement ? En réalité, François Hollande et les gouvernements qu’il a désignés ont toujours fait preuve de beaucoup de timidité sur ce dossier. Mais le virage à 180 degrés a été accentué par le vote des citoyens britanniques, en juin 2016, lors du référendum sur leur appartenance à l’Union européenne. Le Brexit a immédiatement été vu par le milieu financier et une partie des dirigeants politiques français comme une opportunité d’attirer à Paris une bonne partie des activités financières de la City, suite à la perte programmée du « passeport financier » vers l’Union européenne dont bénéficiaient les établissements londoniens.

Les lobbys de la place de Paris et les responsables politiques ont donc lancé une opération de charme outre-Manche, visant principalement le secteur financier états-unien qui s’y était installé. Le gouvernement a multiplié les annonces destinées à attirer les traders basés à Londres, avec l’ouverture de trois nouveaux lycées internationaux, et surtout une série de gestes fiscaux, comme la suppression de la tranche supérieure de la taxe sur les hauts salaires. Et pour rassurer leurs employeurs, les bonus des traders – qui peuvent constituer la moitié de leur rémunération – seront exclus du calcul des indemnités en cas de licenciement, selon un amendement adopté en novembre 2017 dans le cadre de la loi travail.

Des « zones franches financières » à la frontière avec le Luxembourg ?

Enfin, la loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) en préparation devrait définir un cadre juridique pour que des produits dérivés financiers puissent être créés en France. Les produis dérivés du secteur financier européen relevaient avant de la loi britannique, ce qui ne peut plus être le cas avec le Brexit. Ces produits dérivés sont considérés par certains financiers comme « une arme de destruction massive » : ce sont ceux-là même qui avaient provoqué l’effondrement financier puis économique de 2008.

 Voir ici : Spéculation, évasion fiscale, bonus des traders : observez en direct la démesure des banques et marchés financiers

De manière moins visible, les autorités françaises ont également entrepris de geler, voire de revenir sur certaines régulations financières. En plus de l’abandon de la taxe sur les transactions financières, elles ont annoncé qu’elles procéderaient à une révision de toutes les directives européennes relatives au secteur financier pour vérifier qu’elles n’ont pas été « surtransposées » — autrement dit pour revenir sur leurs dispositions les plus contraignantes. Certains lobbys ont fait des propositions encore plus audacieuses, comme la création de « zones franches financières » à Paris et... à la frontière avec le Luxembourg.

Au final, ce seraient plusieurs milliers, voire dizaines de milliers d’emplois financiers qui pourraient, selon nos dirigeants, arriver dans la capitale française. Mais l’incertitude règne sur le nombre exact de relocalisations d’établissements depuis la City vers l’Europe continentale, surtout tant que l’on ne connaîtra pas la teneur exacte de l’accord de sortie entre la Grande- Bretagne et l’Union européenne.

D’autres villes du continent ont également pris des mesures pour attirer les traders londoniens chez elles, à commencer par Francfort. Le tout pour le plus grand bonheur des dirigeants de Goldman Sachs, de JP Morgan ou du fonds d’investissement BlackRock – l’un des plus puissants du monde avec 6000 milliards de dollars d’encours (plus de deux fois le PIB de la France) – qui parcourent les capitales du vieux continent en promettant des emplois et en encourageant les gouvernements européens à améliorer leur « attractivité ».

Un tribunal français en anglais pour attirer les avocats d’affaires

La volonté de rivaliser avec la City — depuis longtemps objet de jalousie des élites économiques parisiennes — ne s’arrête pas au secteur financier, puisqu’il est également question de faire venir à Paris une partie du vaste secteur des avocats d’affaires qui ont aussi fait la fortune de Londres. Une nouvelle chambre spéciale destinée à traiter les litiges du commerce inter- national a été instituée à Paris, où les affaires pourront être débattues en anglais. C’est la première fois depuis le XVIe siècle qu’un tribunal en France est autorisé à utiliser une autre langue que le français.

Les dirigeants français ne semblent pas se poser de question sur les bénéfices économiques réels qu’apporterait — s’il se matérialise — un afflux de traders et d’avocats d’affaires venus de Londres. De l’autre côté de la Manche, le boom de la City a provoqué de graves déséquilibres dans l’économie britannique, qui n’ont bénéficié qu’à une minorité, au point que certains n’hésitent pas à parler de « malédiction de la finance ».

Olivier Petitjean

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