« C’est le plus beau métier du monde. » Auxiliaire de vie depuis vingt ans, Louisa est une des héroïnes du film Au boulot !, réalisé par Gilles Perret et François Ruffin, qui sort en salles le 6 novembre. Le projet de cette comédie documentaire : mettre à l’honneur les travailleuses et travailleurs qui tiennent le pays debout, mais vivent mal de leur travail. Et leur donner un droit de réponse face aux attaques régulières dont ils font l’objet sur les plateaux de télévision – notamment quand il est question de réforme des retraites ou d’arrêts maladie.
« J’écoutais la radio dans la voiture quand Sarah Saldmann [chroniqueuse et avocate] a dit qu’il n’y avait pas à se plaindre avec 1300 euros par mois, que c’était déjà pas mal », se souvient Louisa. « Ça m’a choquée. Alors, quand François [Ruffin] m’a proposé de participer au film, j’ai accepté parce que beaucoup ne connaissent pas notre métier et ce qu’on apporte aux gens. » Avec cet espoir « que notre métier soit enfin reconnu et valorisé ».
« Certains n’ont que nous »
Aux côtés de Louisa, elles sont toute une équipe d’auxiliaires de vie à m’accueillir dans le local de leur employeur associatif, dans la Loire, pour raconter leur quotidien. Sur les 24 salariés de l’association, on compte un seul homme. Un chiffre qui vient attester des statistiques nationales : le secteur est à 97 % féminin.
Comment définir ce métier ? « On aide les gens à rester chez eux, car ils veulent rester chez eux et mourir chez eux », explique Louisa. « Pour ça, on les aide à faire ce qu’ils ne peuvent plus faire : repas, repassage, accompagner aux toilettes, le courrier, l’administratif, énumère sa collègue Vanessa qui a également participé au film. Sans nous, beaucoup ne pourraient pas rester à domicile. »
« On fait à la fois un travail d’aide-soignante, de psychologue, d’assistante sociale », appuie Véronique qui a auparavant travaillé 27 ans comme femme de ménage. « On n’est pas là pour faire le ménage, mais pour entretenir le domicile, c’est très différent », précise-t-elle. « On n’est pas non plus là pour se faire engueuler sinon je rends mon tablier », assume-t-elle. Véronique fait beaucoup de « compagnie ». Elle discute avec les personnes, sort se promener avec elles, les aide à trouver un dentiste. Cette après-midi-là par exemple, elle a successivement emmené une dame faire les courses, puis à La Poste, avant un passage par le cimetière.
Ce sont souvent ces femmes qui passent le plus de temps avec les personnes âgées bénéficiaires de cette aide, pour certaines très isolées. « Certaines d’entre elles n’ont que nous », confirme Véronique. Il lui est ainsi arrivé de retrouver une femme de 93 ans chez elle, au sol, trois jours après qu’elle était tombée de son lit, sans que personne ne soit passé entre temps. « On l’a sauvée », dit-elle, émue.
Ce sont ces mêmes auxiliaires de vie qui alertent quand le bénéficiaire devient dangereux pour lui-même, en cas d’Alzheimer par exemple. Ces femmes sont de véritables vigies. « Quand j’ai commencé, je disais qu’on était des couteaux suisses, mais c’est bien plus que ça », observe Louisa.
« Je veux rester chez moi »
Chaque jour, Louisa, Vanessa, Véronique et Marie se rendent successivement chez plusieurs bénéficiaires. Elles interviennent au minimum une heure chez chaque personne, et trois heures au maximum, afin d’offrir à l’aidant (quand il y en a un) un temps de répit. L’essentiel des interventions est réalisé auprès de personnes âgées. Mais les auxiliaires de vie s’occupent également de personnes plus jeunes, parfois malades ou tétraplégiques.
« On a des pathologies de plus en plus lourdes, car les personnes veulent rester de plus en plus longtemps chez elles, explique Vanessa. Aller en maison de retraite pour elles, ça veut dire ne plus marcher du tout. Nous on les stimule, on fait de l’aide à la marche, parfois avec un déambulateur dans l’appartement. »
Dans une scène émouvante du film, on suit Louisa en train d’intervenir auprès d’un vieil homme, Claude. « Ces dames, c’est comme une famille, témoigne-t-il dans une lettre. Voilà plusieurs années qu’elles passent chacune à leur tour. J’ai besoin d’elles à tous les niveaux. Je les attends. Manger, faire sa toilette, faire les soins... Mes petites dames, je suis heureux quand elles arrivent. Elles sont indispensables pour moi, car je veux rester chez moi. »
« Le faible salaire va me faire partir »
Ce travail indispensable ne permet pourtant pas à celles qui l’exercent d’en vivre. Le salaire moyen d’une auxiliaire de vie est de 950 euros nets. Il faut quinze ans pour atteindre l’équivalent du Smic mensuel. « On perd un temps énorme en trajets et on est mal payées », confirme Marie. Une fois les frais de voiture retirés, elle vit avec 1000 euros pour 110 heures de travail par mois.
Le constat est le même pour chacune : elles ne sont pas assez payées pour ce qu’elles font et doivent compter sur leur conjoint pour vivre. Elles bataillent pour que le temps passé sur la route soit rémunéré comme du temps de travail réel. « J’adore ce métier, mais c’est le salaire qui va me faire partir », regrette Marie, qui est en train de faire une validation des acquis de l’expérience (VAE) pour devenir aide-soignante.
Auxiliaire de vie est aussi un métier où les risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles sont importants. « On fait des changes, on transfère seule des personnes de leur lit vers le fauteuil, on aide à la douche des bénéficiaires qui pèsent plus que nous, on met les bas de contention, illustre Vanessa. La coiffe [l’épaule] subit, le dos aussi... »
Rien que dans leur association, quatre collègues, toutes âgées d’une cinquantaine d’années, sont en arrêt maladie. L’une a fait une chute lors d’une intervention et s’est fait une entorse. Chacune parle de douleurs au genou, de tendinites, de problèmes aux épaules. « C’est compliqué de se faire reconnaître en accident du travail, déplore Louisa. On vous dit : ’’c’est l’usure de l’âge", jamais que c’est l’usure du métier. » Alors, quand on évoque de la retraite à 64 ans, Vanessa assène aussi sec : « On va travailler en déambulateur ? »
« Comment voulez-vous commencer une vie avec 1000 euros ? »
Difficile dans ces conditions de susciter des vocations. « On dit que les jeunes ne viennent pas dans ce métier. La réalité est qu’ils essaient. Certains viennent et partent au bout de quelques jours, note Louisa. Comment voulez-vous que quelqu’un commence sa vie avec 1000 euros ? »
Dans leur association, elles étaient 40 auxiliaires de vie avant le Covid, contre 24 aujourd’hui. Face aux difficultés de recrutement, elles savent qu’elles vont devoir assurer les remplacements. « Concrètement, si on ne remplace pas nos collègues, des bénéficiaires ne mangeront pas », faute de personnel pour les y aider, tranche Vanessa.
La crise sanitaire a clairement marqué un tournant. « Il faut voir comment on a été traitées ! On nous a envoyées sur le front sans rien, juste des gants et une petite bouteille de gel, s’emporte Louisa. On a mis en danger nos bénéficiaires, mais nous aussi, ainsi que nos familles. Comment voulez-vous qu’après, les gens aient envie de rester ? Les personnes en CDD ne sont pas revenues. »
Durant la pandémie, un décret a fini par considérer les auxiliaires de vie comme du personnel soignant, afin qu’elles aient accès aux masques. « Pour l’État, on est des soignants quand ça l’arrange, dénonce Louisa. Parce que si c’était le cas, ça voudrait dire une meilleure rémunération. Nous, nous n’avons pas eu de ’’Ségur’’. On est des oubliées. » La Loire est l’un des seuls départements, avec le Jura, qui n’a pas versé de prime Covid aux auxiliaires de vie.
« Qu’on parle de notre métier ! »
Louisa a découvert le film Au boulot ! lors de l’avant-première, fin septembre, à Saint-Étienne. « Une émotion joyeuse » l’a gagnée en découvrant les images. Dans le cadre de la tournée du documentaire, elle entend défendre l’obtention d’un véritable statut pour les auxiliaires de vie.
La fatigue physique n’entame en rien la détermination de Louisa. « On est un des maillons essentiels de la santé à domicile. Mais il faut que ça change sérieusement sinon ce métier se perdra. Pour l’instant, la seule reconnaissance qu’on ait, c’est celles de nos bénéficiaires qui nous disent ’’merci’’, ’’merci d’être là’’. »
Il est bientôt 19 heures et Marie doit partir. Elle retourne voir une bénéficiaire. « Je vais l’aider à faire une petite toilette, mettre une protection, se mettre en chemise de nuit, nettoyer le dentier... J’aime le faire », glisse-t-elle avant de filer. Sa journée ne se terminera pas avant 20 heures.
Sophie Chapelle
Photo de Une : Louisa, auxiliaire de vie, dans le film Au boulot !, face à la chroniqueuse Sarah Saldmann/© Les 400 Clous