Oligarchie

Ces discrets sommets internationaux dont les médias ne vous parlent pas

Oligarchie

par Ivan du Roy

La conférence de Bilderberg, qui rassemble des PDG, des diplomates, des politiques et même des journalistes, vient de se terminer aux États-Unis, dans un silence général des médias nationaux. Pourtant, outre plusieurs personnalités françaises, étaient présents pas moins de trois commissaires européens. De quoi se poser quelques questions, au vu du contexte actuel, sur ce qui s’y est dit, voire décidé, dans la plus grande opacité.

Du 31 mai au 3 juin, s’est tenue à Chantilly, en Virginie (États-Unis), la conférence de Bilderberg. Cette rencontre était présidée par Henri de Castries, PDG d’Axa, numéro un de l’assurance dans le monde. Lancée dans les années 1950, le « groupe Bilderberg » rassemble traditionnellement des acteurs jugés influents du monde économique, politique, diplomatique ou médiatique, qui débattent des grands enjeux du moment. Or, on cherchera en vain le moindre article de la presse française sur la conférence qui vient de se terminer.

Parmi les 145 participants de la rencontre de Chantilly, figurent pourtant plusieurs français : outre Henri de Castries, ami personnel de François Hollande, on retrouve Pierre-André Chalendar, PDG de Saint-Gobain, Jean-Dominique Senard, PDG de Michelin, le sénateur UMP Christophe Béchu, Anousheh Karvar, secrétaire nationale de la CFDT, Thierry de Montbrial, de l’Institut français des relations internationales (Ifri), ainsi que deux journalistes : Erik Izraelewicz, directeur général du quotidien Le Monde, et Nicolas Baverez, éditorialiste au Point. Sans oublier Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et proche du PS [1].

La teneur des débats qui s’y déroulent est-elle si confidentielle, ou si futile, pour qu’aucun média français mainstream ne s’en fasse l’écho ? Alors que plusieurs quotidiens britanniques n’ont pas hésité à publier des articles sur la rencontre [2]. « Pourtant, les conséquences des discussions qui se tiennent actuellement à Chantilly risquent d’être lourdes pour l’Europe, pour la France et en particulier pour la recherche et l’éducation. Pourquoi un tel silence de journalistes et politiques ? La situation est différente aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Russie… où informer le public sur Bilderberg ne semble pas constituer un tabou », s’interroge Luis Gonzalez-Mestres, chercheur au CNRS qui tient plusieurs blogs [3].

Les rendez-vous de l’oligarchie

Pas moins de quatre responsables de la Commission européenne, dont son vice-président, Joaquín Almunia, étaient également invités à Chantilly. Coïncidence ? Le 31 mai, la veille de la rencontre, la Commission européenne publie ses « Recommandations pour la stabilité, la croissance et l’emploi ». On y lit notamment que les États membres « doivent redoubler d’efforts pour ouvrir de nouvelles perspectives commerciales et exploiter les possibilités de création d’emplois, notamment dans les secteurs des services, de l’énergie et du numérique ».

Les liens entre les commissaires européens et ces discrètes conférences où se retrouve l’oligarchie ne sont pas nouveaux. L’homme d’affaires belge Étienne Davignon, vice-président de la Commission européenne de 1977 à 1985, membre de la « Conférence de Bilderberg » et de la « Commission trilatérale » (une autre rencontre annuelle du même genre [4]), a largement influencé les choix européens en matière de dérégulations et de privatisations, notamment dans les secteurs de la sidérurgie et des télécommunications.

Un précédent historique de mauvais augure quand on sait que la dérégulation menée depuis trente ans au nom du triptyque « croissance, compétitivité, emploi » nous a menés dans l’impasse actuelle : régressions sociales, chômage, crise écologique (épuisement des ressources et dérèglement climatique). Les débats qui ont animé le groupe de Bilderberg vont-ils présider à de nouveaux choix de ce type ? Et dans l’opacité la plus totale ?

Là encore, face au silence de la presse dominante, soutenir l’existence de médias libres est essentiel.

Ivan du Roy