Aides scolaires

Chèque réussite, carte Imagin’R, Pass+ : les élèves d’Île-de-France inégaux face aux aides financières

Aides scolaires

par Maÿlis Dudouet

Les huit départements franciliens ont mis en place leur propres aides financières à la scolarité et à l’accès des collégiens aux transports en commun. Résultat : de fortes disparités et un manque de visibilité.

L’inflation progresse et pèse toujours plus sur les budgets au quotidien. Les prix ont encore augmenté de 6,2 % en octobre. Et les familles sont particulièrement touchées. « Les ménages sont déjà mis en difficulté par leurs dépenses d’énergie, de chauffage, de gaz, et de transport, et ils sont confrontés en plus à des augmentations des prix des dépenses scolaires, qui peuvent aggraver ces difficultés », analyse l’économiste Yannick L’Horty, professeur à l’université Gustave-Eiffel.

« Les familles sont dans une spirale, avec des problèmes de loyer et des choix à faire entre se nourrir, s’habiller et les activités des enfants. La pauvreté est grandissante », observe aussi sur le terrain Nageate Belahcen, présidente de la fédération des parents d’élèves (FCPE) dans le Val-de-Marne.

Pour compenser un peu les frais générés par la scolarité des enfants, il existe, en plus des allocations de rentrée scolaire, des aides financières spécifiques dans certains départements, dont les huit de la région parisienne. Il n’en existe malheureusement pas d’inventaire officiel.. Et certaines disparités et inégalités de traitement posent question, dans une agglomération parisienne où il suffit de ne pas habiter du bon côté de la rue pour ne pas avoir accès à tel ou tel dispositif.

Des aides aux fournitures pour défendre la « gratuité de l’école »

Parmi ces soutiens, on trouve notamment le « chèque réussite » en Seine-Saint-Denis : 200 euros pour les élèves entrant en sixième dans un collège du département, distribués sous forme de bons d’achat d’une valeur de 200 euros et utilisable pour acheter des fournitures scolaires (dont les livres et équipements numériques).« Lorsqu’on regardait les listes de fournitures scolaires qui étaient demandées aux familles, on constatait que ça les amenait parfois à dépenser beaucoup d’argent », explique Emmanuel Constant, directeur de collège dans le Val-de-Marne, et vice-président en charge de l’éducation au conseil départemental de Seine-Saint-Denis. La démarche de ce département répond à un principe de « gratuité de l’école », défend-il.

Mais l’initiative a un coût. « On ne le fait que pour les sixièmes, parce qu’avec 80 000 collégiens tous les ans, ça ne serait pas supportable financièrement. » Même ponctuelles, ces aides locales peuvent changer les choses pour les familles en difficulté. « Ces aides sont en général d’un montant faible, mais en se cumulant, elles constituent une ressource non négligeable pour les ménages pauvres », estime Yannick L’Horty.

Le problème, c’est que la situation économique devient intenable pour de plus en plus de familles. « Aujourd’hui, parce que la précarité a changé, les aides des départements ne concernent plus seulement les familles à revenus modestes. Elles concernent aussi des familles de classe moyenne qui se retrouvent en difficulté parce que le coût de la vie augmente », commente la parente d’élève Nageate Belahcen. Mais il est aussi de plus en plus difficile de s’y retrouver entre les différents dispositifs.

Dans une analyse pour l’Insee, l’économiste Yannick L’Horty a étudié les aides de 2020 sur un échantillon de 20 villes. Le chercheur a constaté que les barèmes des aides sont de moins en moins lisibles pour leurs bénéficiaires. Résultat : cela renforce le non-recours.

Accompagner les familles contre le non-recours

En 2021, 81 % des familles qui y avaient droit ont eu recours au dispositif du chèque réussite en Seine-Saint-Denis, selon Emmanuel Constant. Qu’en est-il des 19 % restants ? « Le fait de devoir passer par le numérique est parfois compliqué pour un certain nombre de familles, reconnaît l’élu. Il y a des collèges qui accompagnent les familles dans l’inscription et dans ces cas-là, elles ont accès au chèque réussite sans difficulté. Et puis vous avez des établissements qui le font moins. »

Face à ce phénomène, le gouvernement a mis en place un « plan d’action conjoint visant à lutter contre le non recours aux bourses de collège et de lycée ». « Lorsque les chefs d’établissement ont été réunis par le recteur de l’académie de Créteil à la fin du mois d’août, nous avons reçu des préconisations et des incitations extrêmement fermes pour que les familles aient recours aux aides », rapporte Emmanuel Constant. Il nous a été dit qu’il n’était “pas question qu’un gamin ou qu’une famille éligible à la bourse ne puisse pas en bénéficier” », ajoute le chef d’établissement.

Au-delà des bourses, les aides locales tentent aussi de pallier certaines inégalités sociales. Selon une étude de la FCPE, un quart des enfants de 6 à 18 ans n’ont par exemple pas accès à des activités périscolaires. Or, « on sait qu’à niveau de diplôme égal, ce qui fait la différence dans le recrutement professionnel, c’est ce qui ne s’apprend pas à l’école. C’est le rapport au théâtre, à la musique, le rapport à la culture d’une façon générale », observe Emmanuel Constant.

Des aides ciblées pour les activités culturelles et le sport

Dans les Yvelines et les Hauts-de-Seine, à l’ouest de Paris, où la moyenne des revenus est plus élevée, les élèves peuvent bénéficier à partir de la sixième et jusqu’à leurs 18 ans du « Pass + », comprenant une aide de 80 à 100 euros afin d’accéder à des activités culturelles et sportives. La Seine-Saint-Denis distribue de son côté 100 euros aux élèves de cinquième pour pratiquer une activité physique et sportive dans un club du département. « Arrivés à l’âge de 12-13 ans, on voit que la pratique sportive des jeunes commence à diminuer, les clubs perdent les gamins, note Emmanuel Constant. L’idée du Pass’Sport en cinquième est d’empêcher que les enfants lâchent leur activité sportive, de les inciter à commencer ou à en reprendre une. »

La départementalisation de ces aides dans une région comme l’Île-de-France pose question par les disparités créées. On le voit sur les montants de remboursement de la carte de transport Imagine’R, qui permet aux élèves d’Île-de-France une utilisation illimitée pendant un an des réseaux de transport en commun de la région. Mais tous ne sont pas logés à la même enseigne.

Des aides « décidées de façon non coordonnée »

Un abonnement Imagine’R coûte normalement 350 euros par an. À Paris, la carte est gratuite pour tous les moins de 18 ans. En Seine-et-Marne, le département le subventionne à hauteur de 275 euros annuels pour les collégiens (et plus pour les collégiens et lycéens boursiers). Les familles ne paient donc au final que 75 euros pour l’année. Dans le Val-d’Oise, le département ne rembourse plus que 192 euros pour les collégiens. En Essonne, l’aide descend à 171 euros. Dans les Yvelines, c’est 150 euros (et plus pour les boursiers). La Seine-Saint-Denis ne rembourse de son côté que 65 à 122 euros, uniquement pour les collégien.ne.s boursiers. Seuls ceux qui entrent en troisième ont automatiquement une réduction de 25 % [1].

« Quand on est sur un maillage scolaire comme celui de la Seine-Saint-Denis où vous avez 130 collèges sur 40 villes, vous avez forcément un collège à moins de dix minutes à pied du domicile, défend le chef d’établissement et élu Emmanuel Constant. Évidemment, on pourrait payer les cartes imagine’R à tout le monde, mais c’est extrêmement coûteux. »

Que ce soit des bourses, des forfaits pour des activités extrascolaires ou le remboursement de la carte de transports, ces aides départementales « sont décidées de façon non coordonnée et souvent pour des objectifs purement locaux », observe l’économiste Yannick L’Horty. Les choix dépendent de la situation financière des départements, mais aussi des tendances politiques locales. Au détriment de l’égalité entre élèves et entre enfants.

Maÿlis Dudouet

Photo : Des collégiens de Seine-Saint-Denis/©Anne Paq.