Tergiversations

Climat : « Assez de discours, des actes »

Tergiversations

par CRID, Attac France, Réseau Action Climat

Le Conseil européen se réunit les 20 et 21 mars pour se prononcer sur les propositions du paquet énergie-climat de la Commission européenne. Alors que les dérèglements climatiques s’intensifient et qu’une action résolue en la matière se fait toujours attendre, associations, mouvement sociaux et syndicats publient une lettre ouverte à l’attention des Ministres Laurent Fabius, Philippe Martin et Pascal Canfin, en charge du suivi des négociations climat pour le gouvernement français.

Par ce courrier, nous, les organisations sous-signées et engagées depuis des années dans le suivi des négociations internationales sur le climat et la mobilisation citoyenne pour la justice climatique et sociale, demandons au gouvernement français que tout soit mis en œuvre pour atteindre un accord global, contraignant, reconnaissant concrètement la responsabilité commune mais différenciée des pays, conforme aux attendus des rapports scientifiques qui préconisent de rester en deçà d’un réchauffement maximum moyen de 2°C.

Nous demandons qu’il s’engage dès à présent sur la voie d’une véritable transition énergétique en France, en agissant également au niveau de l’Union européenne pour que ses engagements soient compatibles avec cet objectif. Nous attendons également que soient tirées toutes les leçons de la conférence de Varsovie, comme des précédentes.

« Assez de discours, des actes ». C’est derrière ce slogan que les mouvements sociaux et ONG présents à Varsovie, constatant l’absence d’avancées ont quitté, fait inédit, la conférence deux jours avant son terme. Nous faisons nôtre ce slogan.

Faire preuve d’ambitions réelles

La lecture du nouveau rapport du GIEC invite à accroître très sensiblement les objectifs de réduction d’émission que se sont donnés les pays de l’Union européenne pour 2020 [1]. L’UE s’y refuse. De plus, la Commission européenne ne s’engage que dans la voie d’une réduction de 40 % des émissions d’ici à 2030 (par rapport à 1990) et repousse pour plus tard l’essentiel des efforts à produire, compromettant la réalisation des objectifs qu’elle s’est elle-même fixée [2]. C’est un minimum de 55 % de réduction des émissions domestiques, dès 2030, que le gouvernement français doit proposer lors du prochain Conseil européen (20-22 mars).

De même, les objectifs de déploiement des énergies renouvelables et d’efficacité énergétique doivent être revus à la hausse et rendus contraignants en France et en Europe. Couplées à des financements climat anecdotiques [3], les actuelles propositions de la Commission européenne, appelées à devenir la position de négociation de l’UE pour la COP de Paris, sont insuffisantes pour répondre à l’objectif fixé. Faute d’avoir évité que l’Union européenne s’aligne sur la position des États-Unis – laisser chaque pays définir lui-même son niveau d’engagement de réduction d’émissions – le gouvernement français doit œuvrer pour une nette revalorisation à la hausse des objectifs du plan énergie-climat 2030 en discussion à l’échelle européenne. Nous savons que la France n’est pas seule à pouvoir décider de tels changements, mais l’immobilisme de l’Union européenne ne pourra être contré qu’en présence d’une voix forte en son sein.

L’UE est également attendue en matière de financements. A l’échelon européen, une taxe sur les transactions financières portant sur l’ensemble des produits financiers est indispensable non seulement comme source immédiate de financement, mais également pour endiguer la spéculation financière.

Mettre en œuvre des politiques nationales cohérentes avec les exigences de justice climatique, de transition écologique et sociale et de solidarité internationale

« Assez de discours, des actes » vaut également en France. En plus des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effets de serre mentionnés ci-dessus, la prochaine loi sur la transition énergétique doit intégrer de véritables politiques d’efficacité et de sobriété énergétiques, seules à mêmes de réduire de moitié la consommation d’énergie finale d’ici 2050 et de 30 % la consommation d’énergies fossiles d’ici 2030, ainsi que s’y est engagé François Hollande lors de la Conférence environnementale de septembre 2013. Pour mener à bien une telle politique de transition, l’Etat et les collectivités locales doivent être dotés de dispositifs de financements publics suffisants, adéquats et justes, fondés sur une fiscalité revue et corrigée, garante de la justice sociale et de l’efficacité écologique. Par ailleurs, le rapport 2012 de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) préconise de ne pas consommer, d’ici 2050, « plus d’un tiers des réserves prouvées de combustibles fossiles » afin de ne pas dépasser les 2°C de réchauffement global maximal d’ici la fin du siècle.

Nous demandons au gouvernement de ne pas soutenir ni promouvoir des projets, qui peuvent être présentés comme des solutions à la crise climatique, alors qu’ils s’inscrivent dans un modèle dominant de développement à l’origine des déséquilibres écologiques et dont les impacts négatifs pèsent de façon disproportionnée sur les populations locales et leur environnement. Les organisations de la société civile, à partir de la diversité de leurs engagements, du local à l’international, seront vigilantes face à ces fausses solutions et ces grands projets inutiles et imposés, incompatibles avec les exigences de transition écologique et sociale, de justice climatique et de solidarité internationale.

Cette cohérence et cette exemplarité de la France doivent aussi se retrouver dans son action à l’international vis-à-vis des pays les plus pauvres et les plus vulnérables : en mobilisant des financements publics additionnels, notamment pour soutenir les efforts d’adaptation des populations locales, y compris via le Fonds Vert et le Fonds pour l’adaptation ; en mettant fin à tout soutien direct ou indirect à des projets climaticides ; en s’assurant que sa politique d’investissements engagés au titre de la lutte contre le changement climatique dans les pays du Sud et que les politiques nationale et européenne « énergie/climat » soient cohérentes avec les objectifs de développement et de respect des droits humains.

Dépolluer les négociations climatiques

De la conférence de Varsovie, et des conférences précédentes, un autre enseignement émerge : le gouvernement français doit freiner l’expansion de la mainmise des lobbies économiques et financiers sur les négociations climat, et plus largement sur l’ONU et ses programmes. La possibilité d’un accord qui soit autre chose qu’une simple déclaration d’intentions en dépend. Selon une étude récente publiée par la revue Climatic Change, 90 entreprises sont responsables, à elles seules, des deux-tiers des émissions de gaz à effets de serre planétaire depuis 1854. Les négociations onusiennes sur le climat, en particulier celle de Varsovie, mais également les négociations relatives à l’élaboration des Objectifs de développement durable consécutives à la Conférence de Rio en 2012, ont été de plus en plus captées et détournées de l’intérêt général par la présence active d’industriels producteurs d’énergies fossiles ou fortement émetteurs de gaz à effets de serre. La plupart de ces intérêts particuliers ne sont pas conciliables avec les intérêts des peuples et la préservation de la planète. Nulle négociation ou synthèse avec les lois de la biosphère n’est possible : « on ne négocie pas avec le climat », et c’est la préservation même de la possibilité d’une vie humaine sur la Terre qui est en jeu.

Le choix des alliances du gouvernement, en France et dans l’Union européenne, dessinera largement le contenu de l’accord de Paris. En ce sens, nous invitons le gouvernement français à étudier et soutenir notre proposition visant à s’inspirer des règles de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour se libérer du poids des intérêts privés. La Convention-cadre pour la lutte antitabac de l’OMS, entrée en vigueur en 2005, consacre en effet dans le droit international le principe selon lequel l’industrie du tabac ne doit jouer aucun rôle dans l’élaboration des politiques de santé publique, en raison du «  conflit fondamental et irréconciliable entre les intérêts de cette industrie et ceux de la politique de santé publique » (article 5.3). Nous considérons qu’il devrait en être de même, dans le cadre de la Convention climat des Nations unies, pour l’ensemble des industries des énergies fossiles et des secteurs les plus émetteurs de gaz à effets de serre. Dans la perspective d’une conférence 2015 placée sous le signe de la justice et de l’ambition climatique, de l’urgence à agir, il s’agit d’une mesure légitime et indispensable.

À l’initiative de : Attac France, Centre de recherche et d’information pour le développement (CRID), Réseau Action Climat

Signataires : Aitec, Amis de la Terre, Bizi !, CCFD-Terre Solidaire, Confédération paysanne, Emmaüs International, Fondation Sciences citoyennes, France Amérique Latine, France Libertés, FSU, Le Mouvement de la paix, Oxfam France, Ritimo, Union syndicale Solidaires, Terre des Hommes

Photo : © Sophie Chapelle / Alter-Echos

Notes

[1En effet, en calcul cumulé, nous émettons chaque année 8 à 12 milliards de tonnes de CO2 de trop pour ne pas dépasser les 2°C de réchauffement d’ici la fin du siècle.

[2Il faudrait alors se fixer un objectif de réduction annuel des émissions de 5 % à compter de 2030 (contre 2 % d’ici là) pour atteindre l’objectif minimal de 80 % de réduction d’émissions en 2050 – soit la fourchette basse de l’objectif que s’est donné l’Union européenne.

[3Le Fonds vert pour le climat annoncé en grande pompe chaque année depuis quatre ans n’est toujours pas abondé, tandis que les 100 millions d’euros annoncés pour le fonds d’adaptation ne permettront même pas d’acheter un parapluie à chacun des habitants des pays vulnérables concernés.