Energies renouvelables ?

Comment EDF et l’Etat excluent l’Outre-mer des bénéfices de la transition écologique

Energies renouvelables ?

par Morgane Thimel

Dans les départements et régions d’Outre-mer, la production électrique dépend majoritairement du pétrole et du charbon, malgré le potentiel en énergies renouvelables. EDF persiste à y privilégier les investissements dans les énergies polluantes.

En matière d’électricité polluante, les territoires d’Outre-mer français sont « au rang des plus mauvais élèves mondiaux, comme la Chine ou l’Inde ». Ce sévère constat avait été dressé par Ericka Bareigts, la nouvelle ministre des Outre-mer, lorsqu’elle était députée, dans un rapport parlementaire co-signé avec Daniel Fasquelle (Les Républicains) [1]. La nouvelle ministre, nommée le 30 août, fera-t-elle mieux que ses prédécesseurs pour améliorer les infrastructures énergétiques et l’accès à l’électricité au sein des départements et régions d’Outre-mer (Drom) ? Il lui sera en tout cas difficile de faire pire. Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion et Mayotte, ces cinq territoires sont tous confrontés à des difficultés persistantes dans l’accès à l’énergie.

Avec le Grenelle de l’environnement, la France s’était engagée à un vaste plan pour l’autonomie énergétique des territoires d’Outre-mer. Le Grenelle prévoyait d’atteindre, dès 2020, 30 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale à Mayotte et 50 % au minimum dans les autres collectivités. Des objectifs affichés ambitieux. En termes de chiffres, la Guyane s’approche du but, mais avec des conséquences désastreuses pour l’environnement. D’autres, comme la Martinique ou Mayotte, en sont bien loin. Et dépendent toujours principalement des sources d’énergie particulièrement polluantes, comme le charbon et le fuel. Un comble pour des territoires très ensoleillés, où le potentiel de géothermie – grâce à l’activité volcanique – et d’énergies marines est également abondant.

Le choix du charbon et du fuel : plus polluant et plus cher

Aujourd’hui, sur les cinq collectivités, quatre (Guadeloupe, Martinique, Réunion et Mayotte) dépendent en grande majorité de centrales thermiques fonctionnant au charbon ou au fioul. Ces installations entrainent de nombreux inconvénients, en premier lieu une dépendance extrême aux énergies fossiles et la fluctuation de leur cours. Le coût de la production électrique à partir du fuel et du charbon est d’ailleurs parmi les plus chers : entre 150 et 200 euros pour produire un MWh avec une centrale thermique au charbon, de 200 à 250 euros, et jusqu’à 300 euros à Mayotte, pour un MWh dans une unité au fioul. À titre de comparaison, en métropole, le coût de production d’un MWh se situe entre 55 et 60 euros.

Pour contrebalancer ces tarifs et lisser les prix de vente de l’électricité sur l’ensemble du territoire français — ce que l’on appelle la péréquation tarifaire — les surcoûts de production des territoires d’Outre-mer sont pris en charge par la Contribution au service public de l’électricité, un supplément payé par chaque consommateur sur sa facture. Cette solidarité est indispensable pour compenser le coût élevé de production de l’électricité dans les territoires insulaires ou les zones qui ne sont pas connectées avec le reste du réseau, alors même que la consommation y est bien moindre [2].

69 jours de coupure par an en Guadeloupe, 103 en Martinique !

Autre problème : la production ne garantit pas la fiabilité de l’approvisionnement. Les coupures électriques y sont monnaie courante : en moyenne 457 heures de coupures entre 2008 et 2013 contre 79 heures seulement sans électricité pour la métropole. Dans certains territoires, les temps de coupures battent même des records : jusqu’à 1 655 heures, soit 69 jours, en Guadeloupe en 2009 et même 2 482 heures, soit 103 jours, en Martinique en 2011 ! La Guyane et la Réunion, qui disposent de barrages hydrauliques, font en revanche figure de bons élèves, preuve que les énergies fossiles ne garantissent pas une meilleure stabilité de l’approvisionnement pour les habitants.

La Guyane fait face à un autre problème : certaines zones ne sont même pas connectées au réseau électrique. Dans les territoires intérieurs, les habitants dépendent de groupes électrogènes. EDF laisse à la charge des communes et collectivité le soin d’assumer elles-mêmes leur production. Pour les communautés les plus isolées, l’approvisionnement en matières premières est même pris en charge par les habitants eux-mêmes, qui sont obligés d’acheter à des prix très élevés du carburant acheminé par bateau le long des fleuves.

EDF continue d’investir dans les énergies fossiles

Dans ce contexte, EDF, seule entreprise habilitée à distribuer l’électricité en Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion et investisseur minoritaire à Mayotte, pourrait saisir la chance des énergies renouvelables pour ses réseaux insulaires. Et bien non. L’entreprise, qui est encore détenue à plus de 80 % par l’État, a fait le choix de « rafraichir » une partie de son parc de centrales thermiques. Entre 2012 et 2014, trois nouvelles unités fonctionnant au fioul sont entrées en service dans les territoires ultra-marins : Port-Est à la Réunion, Bellefontaine en Martinique et Pointe Jarry en Guadeloupe. Elles représentent un investissement total de 1,5 milliard d’euros.

À l’inverse, EDF n’a pas hésité à enterrer un ambitieux projet caribéen de géothermie. En 2013, sous la présidence d’Henri Proglio, la société à capitaux publics s’est désengagée d’une vaste opération de construction d’une centrale géothermique d’électricité en Dominique, suivi d’un réseau d’interconnexion avec les îles de la Guadeloupe et de Martinique. Dans les îles volcaniques d’Outre-Mer, la géothermie, une chaleur puisée dans les couches profondes de la terre, représente pourtant une alternative prometteuse face aux énergies fossiles.

L’usine géothermique aurait permis de couvrir les besoins électriques de la Dominique et 20 % de la consommation dans ses voisines françaises. Voilà l’occasion de réduire la dépendance aux énergies fossiles dans les Antilles. Montant de la facture : entre 500 et 600 millions d’euros, pose des câbles sous-marins comprise. Impossible à mener sans le soutien d’EDF. Mais, après des mois d’hésitation, le groupe français a finalement décidé de faire marche arrière. Les coûts de production de cette énergie renouvelable seraient un obstacle : 10 centimes le kWh, un prix pourtant deux fois inférieur à ceux des centrales au fuel, de 21 centimes le kWh. EDF préfère prendre d’énormes risques financiers en continuant d’investir dans la filière nucléaire (lire ici).

Géothermie : l’État tourne le dos à une énergie prometteuse

Les énergies renouvelables sont en effet plus abordables que l’électricité issue du fuel et du charbon. « Le fioul coûte autour de 200 euros le MWh. Nous rachetons l’éolien entre 150 euros et 170 euros, la géothermie à 105 euros et le solaire entre 110 euros et 120 euros », déclarait en 2013 l’ancien directeur d’EDF Guadeloupe, Pascal Mithois. Pourquoi alors EDF n’aurait-elle « pas la vocation d’investir dans la géothermie », comme l’entreprise le déclarait à l’époque, pour justifier l’abandon du projet dominicain ?

La même année, EDF a aussi tourné le dos au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), établissement public propriétaire de l’unique centrale électrique à géothermie en fonctionnement en France, à Bouillante, en Guadeloupe. Face à des difficultés d’exploitation, le BRGM cherchait un investisseur pour soutenir cette production. Refus d’EDF. Ségolène Royal et le gouvernement ont finalement décidé de vendre cette centrale à une entreprise privée. L’installation avait pourtant fait ses preuves depuis sa création en 1986. Elle fournit actuellement 8 % de l’électricité de l’île et pourrait augmenter sa production si elle menait une série de travaux de rénovation [3].

Électricité de houle, climatisation marine ou biomasse de canne à sucre

Certaines initiatives menées dans ces zones insulaires laissent pourtant entrevoir de vraies solutions pour une production d’énergie plus verte et moins onéreuse. Plusieurs fermes éoliennes ont été montés et connectées aux réseaux. Les équipements photovoltaïques des quatre départements de la Réunion, Martinique, Guadeloupe et Guyane cumulaient une puissance de 330 MW début 2014. La Réunion a choisi de miser sur sa ressource marine : houle, énergie thermique, climatisation marine, osmose... L’île prépare même une première mondiale, un système d’utilisation directe des eaux froides des grandes profondeurs pour alimenter un réseau écologique de climatisation. Opérationnel en 2017, il devrait permettre de réaliser 75 % d’économie sur l’électricité consommée par les systèmes de climatisation classique [4]. Montant de l’investissement : 150 millions d’euros.

Autre projet : une centrale d’électricité thermique maritime au large de la ville du Port. Selon l’Ademe, « une centrale d’énergie thermique des mers de 10 MW permet d’économiser en moyenne 1,97 million de tonnes de CO2 sur sa durée de vie par rapport à une centrale thermique fonctionnant aux énergies fossiles ». L’agence gouvernementale cherche à développer cette technologie sur la France entière et vise la construction de 25 centrales d’ici 2030. La construction d’« houlomoteurs » — d’énormes bouées qui, sous l’effet de la houle, actionnent un piston puis une turbine pour produire de l’électricité — sont aussi à l’étude.

À Marie-Galante, petite île au sud de la Guadeloupe, les habitants se sont fortement impliqués pour concrétiser un projet de centrale biomasse. Mise en réseau avec les deux fermes éoliennes que comptait déjà l’île, l’énergie totale produite serait portée à un total avoisinant les 20 MW, bien plus que la consommation de ce territoire d’environ 12 000 habitants. Mais la Guadeloupe ne se tourne pas toujours vers des projets aussi vertueux. Si la collectivité a bien pris conscience de la ressource énergétique que représente la bagasse, le résidu fibreux de la canne à sucre, le choix a été fait, sur la centrale de Le Moule, de l’associer au charbon plutôt qu’à une matière renouvelable comme le bois.

EDF mise avant tout sur les grands barrages

Mal pensés, les projets d’énergies renouvelables peuvent vite montrer leurs limites. Le pire exemple reste le barrage de Petit Saut, en Guyane. Il assure environ deux tiers des besoins en électricité du département. Mais représente une véritable bombe écologique. Mis en service en 1994 pour parer à l’explosion de la consommation électrique dans ce territoire français situé au nord du Brésil, l’ouvrage a entrainé la submersion d’un territoire de forêt vierge de 365 km2 (plus de trois fois la surface de Paris). Aujourd’hui, la décomposition de la biomasse dans ces eaux pose de gros problèmes environnementaux.

Cette expérience désastreuse n’empêche pas EDF, son exploitant, de continuer à s’intéresser à cette technique. L’idée d’un second barrage émerge peu à peu. Celui-ci pourrait être trois fois plus étendu que Petit Saut [5]. L’argument mis en avant : un nouveau barrage permettrait de combler les besoins d’une population en pleine expansion (180 000 habitants sur le littoral annoncés pour 2020). En fait, il pourrait surtout approvisionner de grandes compagnies minières, et fournir le Brésil voisin, empêtré dans le scandale du chantier du méga barrage de Belo Monte [6]. Et bien que la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, n’y soit pas favorable, elle s’est contentée l’année dernière de renvoyer les discussions à un échelon régional.

Morgane Thimel

Photo CC Raïssa

Notes

[1Leur rapport d’information « sur l’adaptation du droit de l’énergie aux Outre-mer » de septembre 2014, à lire ici.

[2Entre 1,24 et 4,27 MWh par habitant contre 6,84 en métropole.

[3Voir notre article.

[4Le projet est développé par les collectivités locales et l’Ademe. L’exploitation est confiée à Engie (ex-GDF-Suez).

[5Voir notre article.

[6Voir notre article.