Ce reportage est le deuxième volet d’une série d’articles consacrés à la problématique de l’eau au Brésil. Le premier volet raconte comment São Paulo a frôlé la catastrophe suite à une pénurie d’eau.
« Tout ce que nous produisons est bio, mais nous vendons à des prix accessibles », tient à préciser Vilma. La quadragénaire est originaire du Pernambuco, dans le nord-est du Brésil. Elle vit depuis 27 ans dans le quartier de São Miguel Paulista, dans la grande périphérie pauvre de l’est de São Paulo. Ce qu’elle produit ? Des aliments et des cosmétiques organiques faits à partir de plantes cultivées en permaculture dans une ferme communautaire, logée sur un lopin de terre au pied d’un ensemble d’habitat social. La ferme, appelée « Quebrada Sustentável » – qui peut se traduire par « cité » ou « ghetto » soutenable – existe depuis sept ans, sur un terrain mis à disposition par le bailleur social.
Aujourd’hui, c’est un jardin luxuriant, entretenu par une association d’habitants du quartier, avec bananiers, manguiers, maniocs, haricots, salades, brocolis, basilique, menthe, plantes médicinales… cultivés grâce à l’eau issue d’une source naturelle qui se trouve sous le terrain. En face de la ferme, l’eau s’écoule de la butte sur laquelle passe la ligne de train reliant cette banlieue est au centre de la ville.
« L’hydrographie de São Paulo est très riche »
« Cette eau est propre », tient à souligner Regiane Nigro, coordinatrice de l’association environnementale Kairos, qui accompagne un groupement d’une quinzaine de fermes urbaines de la périphérie est de la mégalopole. « Certes on ne peux pas la boire, mais elle n’est pas polluée par les égouts », comme l’est par exemple le fleuve Tietê, qui passe au nord du quartier.
Même si la ville a connu une crise hydrique historique en 2014, avec rationnements et coupures d’eau à travers toute la ville, et une menace de rupture totale de l’approvisionnent (lire notre enquête ici), « l’hydrographie de São Paulo, en fait, est très riche », souligne la jeune femme. Elle permet à des projets comme celui-ci de s’approvisionner en eau sans la puiser au robinet. Dans le jardin communautaire Quebrada Sustentável, la source est canalisée et nourrit un système d’irrigation qui approvisionne toutes les plantations.
Un système d’assainissement à l’aide de bananiers
La ferme dispose également d’un bâtiment en dur pour la cuisine et la fabrication de savons, de désodorisants, d’anti-moustiques naturels… Un tipi est en construction, et une maisonnette a été fabriquée à partir de matériaux de récupération et de terre. « Ici, nous avons monté un système expérimental d’assainissement des eaux de cuisine usées à l’aide de bananiers », explique David, jeune homme d’une vingtaine d’année, lui aussi membre de l’association.
« Nous accueillons aussi les enfants des écoles du quartier pour des ateliers », ajoute Vilma autour de beignets faits maison farcis à la taioba, une plante comestible dite « non conventionnelle » qui ressemble, cuite, à des épinards. Car le projet, et les produits vendus, sont avant tout destinés aux habitants du quartier, et non aux consommateurs des quartiers plus argentés de la mégalopole.
À Guaianazes, une ferme urbaine coopérative
À Guaianazes, un peu plus au sud de cette grande banlieue, une ferme urbaine est elle aussi pleinement implantée dans le quartier. Elle existe depuis près de trente ans. « On a commencé en 1986, il n’y avait alors qu’un bois ici, et aucune culture », se souvient Guaraciaba Elena, sous son grand chapeau de paille. Son mari passe une brouette à la main. Depuis, ils sont un petit groupe d’habitants à mener cette ferme en coopérative. Le terrain est prêté par la municipalité.
Là aussi, ce sont des sources naturelles qui alimentent en eau les cultures. Une grande mare est aménagée derrière des rangées d’énormes bananiers. Les poissons, petits et grands, y nagent tranquillement. Le terrain abrite aussi plusieurs puits, couverts, pour ne pas favoriser la multiplication des moustiques, porteurs de la dengue, dont le Brésil a connu une recrudescence ces dernières années. Un système de tuyaux permet l’irrigation. Guaraciaba Elena boit même cette eau de source, une fois filtrée. Sous un auvent, il y a des poules et des lapins.
« La question de l’eau est très sérieuse ici. Pendant la sécheresse, les gens du quartier venaient chez nous. Nous distribuions l’eau des sources à la communauté », rapporte Guaraciaba Elena. Mais elle se plaint, aussi, que les constructions, ultra précaires, arrivent toujours plus près de leur ferme. Juste derrière le grillage, c’est une véritable favela qui s’étend. Les habitations les plus proches sont simplement faites de bois et de tôle. Plus au-dessus, elles sont en briques.
Des équilibres menacés par l’étalement urbain
« Cette occupation, comme la qualifie Guaraciaba Elena, est là depuis un an ». Un enfant d’une dizaine d’années passe à travers le terrain un sac en plastique plein de pain à la main. Il habite juste derrière, et demande à ce qu’on lui ouvre la porte. Pour lui, c’est un raccourci. Elle le connaît bien, tout comme la jeune femme enceinte qu’elle surprend en train de cueillir des tomates, ou la petite famille assise de l’autre côté du grillage.
Avec l’arrivée de cette nouvelle favela juste au-dessus de la ferme, les eaux usées de ces habitations des plus précaires menaçaient de souiller les terrains de la ferme. « Nous avons négocié avec eux pour que leurs eaux usées soient dirigées vers les systèmes d’égout qui existent autour, et qu’elles n’arrivent pas chez nous », rapporte la cultivatrice, à voix basse, et une fois revenue sur son terrain.
A Pompéia, un refuge de verdure aménagé par les habitants
Dans la zone ouest de São Paulo, dans le quartier beaucoup plus aisé de Pompéia, c’est la construction d’un nouvel immeuble de 22 étages qui menace la viabilité d’un projet participatif né il y a quatre ans. Ici, comme partout dans la ville, les rues sont bruyantes, la circulation automobile constante. Mais il y ce parc, à la végétation dense, aménagé depuis octobre 2016 sur une large butte. Il suffit d’y entrer pour que l’air change, moins chaud, moins pollué. Le bruit de la circulation s’y fait aussi plus discret.
« Avant ici, c’était un terrain vague. Un endroit dangereux, où on ne mettait pas les pieds », rapporte une retraitée venue y faire une balade. Ce jour chaud de décembre, des femmes y font du yoga, un homme promène son chien, un travailleur en pause mange un casse-croûte assis sur un banc, tandis qu’un autre vient s’y laver les mains à l’eau qui coule d’un bambou. Un jeune père trempe ses pieds et ceux de son fils dans une mare.
Des parcs comme celui-ci, il y en a peu à São Paulo. Sa particularité est d’avoir été essentiellement aménagé à l’initiative des habitants du quartier. Ce sont eux qui ont revitalisé les sources d’eau naturelles qui y existaient et aménagé une mare, avec poissons et grenouilles, ainsi que des puits, et qui ont planté des espèces variées. Celles-ci aident à reconstituer un climat plus sain que dans les rues alentours.
Ce parc, les habitants l’ont appelé la « Place des sources ». « Il y a moins de moustiques ici, parce que la nouvelle végétation en fait un environnement plus équilibré, précise Regiane Nigro. Ce qui empêche la propagation de la dengue. Mais si l’immeuble en construction juste à côté maintient son projet d’aménager des parkings en sous-sol, les sources du parc risquent fort de s’assécher. Les habitants qui ont donné naissance à ce petite havre de paix ne baissent pas les bras. Ils tentent toujours d’empêcher la construction, et de sauver « leurs » sources.
Rachel Knaebel (texte et photos)
Série « Eau et climat », en partenariat avec France Libertés
Cet article est publié dans le cadre d’une série de reportages et d’enquêtes sur les enjeux de la gestion de l’eau et des sols dans le contexte du réchauffement climatique, réalisée avec le soutien de France Libertés - fondation Danielle Mitterrand. www.france-libertes.org