Pouvoir d’achat

Comment remplir son caddie avec 18 € par semaine

Pouvoir d’achat

par Ivan du Roy

Les épiceries sociales permettent à des milliers de familles de faire leurs course malgré les fins de mois difficiles. Petite visite à Évry, dans l’Essonne.

Cet article a été initialement publié dans l’hebdomadaire Témoignage Chrétien

Le cliquetis régulier d’une caisse enregistreuse et des rayons bien fournis éclairés au néon... Cela ressemble à s’y méprendre à un petit supermarché de centre-ville. Si ce n’est l’absence d’enseigne tapageuse et d’affiches promotionnelles. Une trop grande discrétion qui colle mal avec la société de consommation. Nous sommes bien dans une épicerie, mais « sociale ». Ici, on ne parle pas de clients mais de bénéficiaires. Épisode, l’épicerie sociale d’Évry, a permis en 2007 à 700 familles de la ville d’acheter des produits de base à des prix ultra-compétitifs. On y paie 10 % du prix moyen pratiqué dans les magasins classiques. Une personne seule y dispose d’une ligne de crédit hebdomadaire de 18 euros, et déboursera en réalité 1,8 €.

Plus la famille est nombreuse, plus la ligne de crédit augmente, avec en prime du lait infantile et un paquet de couches. À chacun ensuite de choisir parmi les boîtes de conserves, les quelques aliments frais ou surgelés, les produits d’entretien et les denrées diverses, en fonction de ses besoins et un peu de ses envies. Les rayons sont approvisionnés par la Banque alimentaire ou par des achats auprès de grandes surfaces locales. Trois salariés détachés par la municipalité et une quinzaine de bénévoles, principalement des retraitées, assurent les permanences du lieu, un projet initié il y a sept ans par le Secours catholique et la mairie, aidés par le conseil général.

Les bénéficiaires sont sélectionnés sur dossier, soigneusement étudié par les responsables de l’épicerie en lien avec les assistantes sociales de la ville, du département ou de la Caisse d’allocation familiale. « Ce sont des gens qui connaissent une rupture de ressources, dans l’attente des assedic ou du RMI, ou une baisse de revenus à cause d’une période de maladie ou d’un accident de la vie », explique Elisabeth Metzger, directrice de l’épicerie. Des personnes pour qui la baisse du pouvoir d’achat ne signifie pas rogner sur quelques départs en week-end ou sur l’achat d’un équipement high-tech mais menace directement leur alimentation et celle de leurs enfants. « Nous ne sommes pas un complément de ressources », insiste Élisabeth Metzger. « Notre but n’est pas de conforter les gens dans l’assistanat mais de leur offrir une pause pour rebondir. » Les bénéficiaires de l’épicerie sociale ne le sont pas ad vitam eternam. Les lignes de crédit sont accordées pendant cinq semaines, renouvelables deux fois. Soit quinze semaines maximum par an.

Travailleurs pauvres

Dans le petit espace d’accueil, plusieurs Évryens venus déposer leur dossier, patientent autour d’un thé chaud. Une jeune femme blonde regarde tendrement son nourrisson de quelques semaines. Une cinquantenaire s’agrippe, les yeux dans le vague, à son sac Leader Price. Un couple d’Africains répond timidement aux questions d’un membre de l’équipe. L’épicerie sociale ne se contente pas de distribuer des produits. Son équipe tente de nouer le dialogue avec les bénéficiaires. Ceux-ci sont invités trois fois par an à des ateliers : comment faire des économies sur l’eau ou l’électricité, comment gérer son « reste à vivre » une fois les charges (logement, transport, EDF...) acquittées. À son grand regret, Elisabeth Metzger n’a pas encore trouvé la formule magique pour y attirer les foules. « C’est le côté éducatif qui m’intéresse mais ce n’est pas simple. Remplir des cabas, c’est facile, l’accompagnement, c’est une autre histoire. » Seuls les conseils culinaires suscitent un indéniable intérêt, en particulier auprès des populations immigrées poussées par leurs enfants à se mettre à la cuisine européenne.

La grande majorité des bénéficiaires sont des couples avec un ou deux enfants et des familles monoparentales. Près d’un tiers vient du quartier des Pyramides, la « zone urbaine sensible » d’Évry où la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. « Ce sont souvent des personnes qui ne tiennent pas dans des emplois difficiles, des femmes de ménage ou des manutentionnaires. Il y a de plus en plus de gens de plus de 50 ans avec de petites ressources qui ont du mal à gérer leur budget et beaucoup de familles touchées par le surendettement. Poussés par la société de consommation, ils ont envie de plein de choses et ont du mal à gérer », détaille la directrice. Ici même les rares produits de marque, pourtant trois à quatre fois plus chers, remportent un certain succès. La grande nouveauté, c’est la proportion de gens qui travaillent. Elle a doublé en deux ans. Les fameux travailleurs pauvres, dont le parcours professionnel est de plus en plus chaotique. Dans l’épicerie, une jeune femme sélectionne minutieusement des produits sous l’œil distrait de son compagnon. La bénévole qui l’accompagne lui annonce qu’il lui reste encore 1,65 €. La jeune femme sourit et se demande ce qu’elle va bien pouvoir acheter avec cette manne inespérée.

Ivan du Roy