Agriculture bio

Comment une poignée d’élus bloquent une alimentation saine pour tous les enfants

Agriculture bio

par Sophie Chapelle

C’était l’une des mesures emblématiques du projet de loi issu des États généraux de l’alimentation : atteindre 20 % de produits bio dans la restauration collective publique d’ici 2022. Adopté en première lecture par les députés le 30 mai, cet objectif inscrit dans l’article 11 du projet de loi a été supprimé lors de son examen en Commission des Affaires économiques le 14 juin. Trente sénateurs du groupe Les Républicains ont en effet porté un amendement qui conserve le seuil de 50 % de produits de qualité et labellisés mais ne comporte plus d’objectif sur le bio [1].

Des arguments fallacieux

Comment ces élus justifient-ils ce retrait, alors même que 90 % des parents sont intéressés par une offre de produits biologiques à l’école [2] ? D’après ces sénateurs, l’objectif des 20 % pourrait se heurter aux capacités de production, avec le risque « de voir les collectivités territoriales avoir recours à l’importation ». « C’est le serpent qui se mord la queue », réagit Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab), contactée par Basta!. Pour créer une dynamique et un marché supplémentaire pour structurer la filière, nous avons besoin d’un objectif. » Les arguments avancés par Les Républicains sont d’ailleurs démentis par ce qui se passe localement. La décision d’une collectivité locale de s’approvisionner avec des aliments biologiques entraine généralement la création de coopératives de producteurs afin d’assurer l’adéquation entre offre et demande. C’est notamment ce qu’il s’est passé à Saint-Etienne comme le relate notre enquête sur les cantines scolaires bio et locales.

La question du surcoût des repas est l’autre argument avancé par les sénateurs. « Cela traduit une méconnaissance des pratiques, déplore Stéphanie Pageot. Ceux qui introduisent des aliments bio dans les cantines travaillent sur les menus, le gaspillage alimentaire, en alliant le tout à des animations pédagogiques. Il est nécessaire d’accompagner ceux qui se lancent mais ce n’est pas nécessairement synonyme de surcoût. » Une étude de 2017 réalisée par l’Observatoire de la restauration collective et durable révèle qu’un repas composé de 20 % de produits bio coûte en moyenne 1,80 € en matières premières, quand un repas conventionnel coûte entre 1,50 et 2 euros selon le réseau des directeurs de la restauration collective [3].

Seulement 2,9 % de bio dans les cantines en 2017

Ce n’est pas la première fois que les sénateurs bloquent le développement de la filière bio. En 2016, la députée Brigitte Allain propose d’introduire 20 % de produits bio dans les cantines d’ici 2020. La proposition, votée par l’Assemblée nationale, est retoquée par les sénateurs... « C’est important que l’objectif apparaisse dans la loi même si nous savons bien qu’il ne suffit pas de l’inscrire pour que ça devienne réalité », souligne Stéphanie Pageot. Ces dix dernières années, les gouvernements successifs ont tour à tour affiché de louables ambitions, mais sans ne jamais les faire suivre d’effet. Le Grenelle de l’environnement de 2007 avait fixé un objectif de 20 % de produits bio dans les cantines en 2012. Un objectif repris durant le quinquennat de François Hollande dans le cadre du plan Ambition Bio.

Qu’en est-il aujourd’hui ? 79 % d’établissements scolaires proposent des produits bio (contre 75 % en 2016). Mais le volume d’achat en bio ne représente que 2,9 % pour la restauration collective [4]. Comment expliquer ces blocages ? « Au-delà des discours, il y a tout un travail de terrain à mener, selon Stéphanie Pageot. La question posée au gouvernement c’est de savoir quels moyens il met en place pour accompagner cet objectif. Il s’agit de rencontrer les acteurs de la restauration collective et de voir avec eux comment l’on construit des projets alimentaires de territoire en essayant de voir qui sont les producteurs et les filières locales à mettre en place. C’est un travail de fourmi qui prend du temps. »

Certaines communes ont décidé de prendre les devants, comme en témoigne cette carte de la restauration bio en France. De quoi inspirer peut-être les sénateurs qui, appelés à examiner le texte le 27 juin prochain, auront la possibilité de réintroduire l’objectif des 20 % de bio dans les cantines. Ou faudra-t-il encore attendre dix ans et trois mandats présidentiels pour que ce dossier avance vraiment ?

Sophie Chapelle