Des pays où le confinement social a commencé avant la France nous parviennent les images et les récits d’une multitude de gestes de solidarité face à la pandémie de Covid-19 et à l’isolement qu’elle impose. Entre voisins, habitants d’un même quartier ou d’un même territoire, on s’apporte aide matérielle, soutien émotionnel, on se divertit en trouvant le moyen de dépasser les barrières quasi-infranchissables que sont devenus les murs des maisons ou des appartements.
À Madrid, c’est une femme dont les voisins fêtent les 80 ans en lui laissant un gâteau devant sa porte et en chantant depuis leurs balcons [1]. À Lisbonne, ce sont des réseaux de « voisins solidaires » qui sont apparus dans quinze quartiers de la ville [2]. À Naples, c’est une tombola qui s’organise entre voisins depuis les balcons [3]. En France, où le confinement est plus récent, les démarches solidaires se sont aussi multipliées au cours de la semaine passée.
« Bonjour ! Est-ce que l’un.e d’entre vous a connaissance d’initiatives organisées qui pourraient aider à soulager les soignant.es ? ». Postée par une internaute sur la page facebook « #COVID-ENTRAIDE BRETAGNE », la question illustre la vague de solidarité en cours à l’heure de la pandémie et du confinement. Un réseau de solidarité « pour relier les groupes d’entraide locaux et s’auto-organiser face à la pandémie » s’est créé, et a publié une tribune le 21 mars : « À l’union nationale nous préférons l’entraide générale », appellent les nombreux signataires.
« Ça paraît ridicule mais, pour nous, ça représenterait de l’or »
Depuis une dizaine de jours, les communautés d’entraide en ligne se multiplient. On y partage des informations liées à la pandémie de Covid-19, des conseils pour fabriquer soi-même son masque, son gel hydro-alcoolique, ou encore des remèdes naturels visant à se substituer aux anti-inflammatoires, eux-mêmes déconseillés aux personnes atteintes par le virus. Certaines personnes sollicitent de l’aide pour prendre soin d’un parent âgé et isolé dans une région spécifique, d’autres cherchent du réconfort et partagent leur ressenti face à la situation. Dans un de ces groupes régionaux, c’est même une infirmière qui recherche du matériel médical, expliquant que les soignants et les personnes qui interviennent auprès des malades en manquent cruellement : « Même si c’est juste un dizaine de masques chirurgicaux dans une enveloppe, ça paraît ridicule mais, pour nous, ça représenterait de l’or. »
Pour soutenir la communauté soignante, un site internet, enpremiereligne.fr, a également été créé. Il se propose de mettre en lien soignants et personnes disposées à les aider. Chacun peut s’inscrire et solliciter de l’aide ou bien proposer des services tels que faire des courses ou garder des enfants. Cette initiative n’est cependant pas neutre : elle a été lancée par « trois marcheurs de la première heure ayant participé à plusieurs campagnes pour le compte du mouvement présidentiel », pointe Arrêt sur images. Rappelons que le gouvernement et la plupart des députés LREM ont méprisé depuis plus d’un an les appels lancés par les personnels soignants face aux politiques d’abandon de l’hôpital public.
Outre les soignants, les plus précaires sont aussi particulièrement exposés au virus. Or, parmi les associations qui leur viennent en aide, nombreuses sont celles qui doivent aujourd’hui faire face à la pénurie de bénévoles, qui sont d’ordinaire majoritairement retraités, et donc considérés comme faisant partie de la population « à risque ».
Remplacer les bénévoles âgés et « à risque » dans les associations
Pour répondre à cette problématique, Gab vient lui aussi de lancer un site internet. L’Isérois est derrière les pages « mèmes décentralisés », « deuxième plus gros compte français de mèmes », ces détournements humoristiques dont Internet est si friand, a fortiori en cette période de confinement. Avec une trentaine d’autres comptes de mèmes, ils ont lancé le site web commentaider.fr, pour faciliter le soutien aux associations qui interviennent auprès des populations les plus démunies. « Depuis le début du confinement, beaucoup d’assos ferment car les bénévoles sont majoritairement des personnes âgées, qui risquent plus face au virus, résultat, les plus démunis sont dans la merde : sdf, précaires, migrants, prostituées », explique-t-il. « L’idée, c’est de viser les 18-30 ans qui sont chez eux et peuvent soutenir. Comme on est assez suivis, y compris par des youtubers, on espère un effet boule de neige. »
Leur site internet recense, via une carte interactive, une multitude d’associations et redirige vers des pages de dons ou des listes de besoins matériels et de coup de main. Selon Gab, ce moment de confinement face à la pandémie est aussi l’occasion d’une prise de conscience. « Avant, les gens s’en foutaient de l’hôpital public, et maintenant ils applaudissent tous les soirs à 20 h pour soutenir les soignants, ils en comprennent l’intérêt. »
« Le confinement nous plonge dans une précarité extrême »
Pour certaines catégories de la population, comme les travailleurs de l’économie informelle, rien ou presque n’est prévu par l’État pour compenser la précarité aggravée que génère déjà le confinement. C’est le cas des travailleurs et travailleuses du sexe. Certaines s’organisent elles-mêmes face à ce qui les guette avec cette crise sanitaire : surexposition au virus si elles continuent leur activité professionnelle ou grande précarité si elles y renoncent. Face à cette situation, le Syndicat de travailleurs et travailleuses du sexe (Strass), vient de lancer une cagnotte pour soutenir ceux et celles que la précarité va le plus impacter.
Dans une vidéo postée en ligne, Amar, secrétaire générale du syndicat, explique que les travailleurs et travailleuses du sexe n’ont « aucun ou très peu de recours pour suppléer l’absence de revenus générés » par leur activité, et ajoute que « le confinement (…) nous plonge donc dans une précarité extrême ». Dans un récent communiqué, l’organisation explique qu’« il est urgent de repenser la solidarité et la protection sociale pour y inclure tous les travailleurs, y compris celles et ceux de l’économie dite informelle », ajoutant que « les discriminations dans l’accès aux soins telles que les vivent les minorités et les migrants ne feront que faciliter les contaminations ».
Outils, astuces et espaces de décompression pour les parents
Autre domaine où la solidarité en ligne s’est développée très rapidement : la parentalité et l’éducation des enfants. Confinée chez elle avec ses enfants, parfois sans accès à un jardin ou même un balcon, une large partie de la population est en quête de ressources pour tenir dans la durée. Podcasts, fiches d’activités manuelles, films et dessins animés, les contenus pédagogiques et à destination des enfants se partagent activement en ligne. Outre la diffusion d’outils et d’astuces, la solidarité en ligne, c’est aussi la possibilité d’avoir des espaces de décompression.
C’est le cas du groupe facebook « Very Bad Virus – parentalité et confinement » : créé par les organisatrices du festival féministe sur les parentalités « Very Bad Mother », qui devait originellement se tenir les 11 et 12 avril à Concarneau, le groupe rassemble de nombreuses mères célibataires. « Bon bah, on a fait un gros petit déjeuner, des étirements, une heure et demi de travail scolaire. maintenant pause. Ahahahaha nann, ils dorment encore » : entre blagues, coup de gueule et coup de blues, les membres du groupe s’épaulent virtuellement dans leur quotidien de confinement avec les enfants. Et soutiennent celles, nombreuses à s’exprimer dans le groupe, dont les pères de leurs enfants n’assurent pas plus dans la période que le reste de l’année.
Un service communal d’approvisionnement
La solidarité s’organise aussi à l’échelle locale. Ces derniers jours, de nombreuses photos et vidéos viennent illustrer les dynamiques de soutien dans les immeubles et les quartiers : là aussi, on propose de faire les courses pour les plus fragiles, d’aller chercher des médicaments à la pharmacie, ou encore de garder les enfants de celles et ceux qui doivent continuer à travailler. Dans certains territoires, les initiatives de solidarité tentent d’aller plus loin. Julien, qui vit dans un petit village du Cher, fait partie d’un réseau qui tente de déployer différents outils pour faire face à la situation : veille médiatique, prévention sanitaire ou encore garde d’enfants.
Parmi ceux là, un « service communal d’approvisionnement », qui vise entre autres à distribuer des denrées aux domiciles des personnes les plus vulnérables face au virus. Près d’Orléans, une plateforme d’entraide s’est ouverte. Montée par un collectif en lutte contre le contournement Est d’Orléans, cette plateforme vise à être une base logistique et à coordonner l’entraide au niveau locale. On peut y cuisiner des repas collectifs, coordonner des maraudes ou du ravitaillement.
Traverser la même épreuve tout en étant isolés les uns des autres
Si la situation peut renforcer des comportements individualistes, comme le montre la ruée sur les supermarchés et le matériel médical, ou vers les résidences secondaires (au risque de propager le virus), elle incite aussi à l’empathie et semble réveiller chez certains un désir de se montrer solidaires, de s’épauler pour tenir ensemble dans l’incertitude. Encore balbutiantes, ces initiatives de solidarité doivent s’adapter à la rigidité des règles et s’inventer face à une situation inédite.
Comme l’explique Charles, de la Plateforme d’entraide près d’Orléans : « Le confinement ne doit pas être seulement un truc individuel où chacun reste enfermé chez soi, on peut aussi s’organiser collectivement, tout en respectant les gestes barrières. » La solidarité doit désormais composer avec un paradoxe de cette période si particulière : celui de traverser la même épreuve tout en étant isolés les uns des autres.
Juliette Rousseau
Photo : © Anne Paq
– Lire aussi : « On cherche à organiser la solidarité sans être dans l’illégalité » : comment l’entraide se généralise