Livres

bell hooks, Sandra Lucbert, Léonora Miano… les conseils de lecture de la rédaction de basta!

Livres

par Rédaction

Voici quelques uns des essais et romans que les journalistes de basta! ont lu cette année. Ils vous emmènent à Marseille ou aux États-Unis, vous font remonter l’histoire ou plonger dans les luttes féministes ou écologistes.

Verdier, 2021, 144 pages, 7 euros.

Le ministère des contes publics,
Sandra Lucbert

Dans son dernier livre, l’écrivaine Sandra Lucbert se penche sur ce qu’elle appelle la « Langue du Capitalisme Néolibéral », ce discours de « LaDettePubliqueC’estMal » qui rend les dépenses publiques responsables du déficit et masque ainsi « une stratégie d’appauvrissement délibéré des services publics ». Pour Sandra Lucbert, à la SNCF, la Poste, EDF, à l’hôpital, dans l’Éducation nationale, la recherche, audiovisuel public… en tous ces lieux, une logique unique de démolition est à l’œuvre. « Mais nous ne la distinguons pas avec netteté. Or c’est là que s’ouvre un front pour la littérature, car ce sont des opérations linguistiques qui maquillent cette logique unique », nous expliquait-elle dans l’entretien qu’elles nous a accordé. Son livre précédent, Personne ne sort les fusils, était consacré au procès France Télécom.
➡️Le ministère des contes publics, Sandra Lucbert, Verdier, 2021, 144 pages, 7 euros.

La volonté de changer - les hommes, la masculinité et l’amour,
bell hooks

La féministe états-unienne bell hooks vient de s’éteindre le 15 décembre dernier, à l’âge de 69 ans. Dans ce livre traduit cette année en français, elle s’attachait à raconter comment la culture patriarcale, pour fabriquer de « vrais hommes », exige d’eux de sacrifier leur vie affective. Malgré les avantages et le rôle dont ils bénéficient, ces derniers doivent se faire violence et violenter leurs proches pour devenir des dominants, mutilant par là-même leur capacité à aimer, que ce soit comme amant, compagnon, ami ou père.
➡️ La volonté de changer - les hommes, la masculinité et l’amour, bell hooks, éditions divergences, 2021, 240 pages, 16 euros.

Dragman,
Steven Appleby

Dans son premier roman graphique, le cartoonist britannique Steven Appleby raconte une histoire de super-héros contemporain, celle d’Auguste Crimp, qui a découvert adolescent qu’il adore porter des vêtements féminins et que lorsqu’il le fait, il devient capable de voler. Sa passion est contrariée par la réprobation générale. Si sa femme venait à l’apprendre, c’en serait fini de son couple. Du coup, il range dans des cartons les tenues de Dragman, son nom de super-héros. De toute façon, sa ville regorge déjà de divers justiciers masqués. Mais alors qu’un jour une vaste entreprise de commerce d’âmes vendues puis entreposées sur des disquettes commence à toucher ses proches, et qu’un serial killer s’en prend à des personnes trans, Dragman refait surface dans sa vie.
➡️Dragman, Steven Appleby, Denoël, 2020, 336 pages, 24,90 euros.

L’autre langue des femmes,
Léonora Miano

Léonora Miano nous conduit à la rencontre d’un visage méconnu de l’Afrique : celui que dessinent les parcours de femmes surprenantes. Dirigeantes politiques, guerrières, guides spirituelles, engagées dans les luttes anticoloniales, commerçantes…. Elles peuvent elles aussi être sources d’inspiration pour qui veut s’émanciper, souffle l’autrice franco-camerounaise. Bousculant la pensée féministe occidentale, Léonora Miano offre un essai incisif et rafraîchissant.
➡️L’autre langue des femmes, Léonora Miano, Grasset, 2021, 256 pages, 20,90 euros.
Léonora Miano publie également un recueil de citations « Elles disent », toujours chez Grasset.

Resisters,
Jeanne Burgart-Goutal et Aurore Chapon

« Quête initiatique et politique », le roman graphique Resisters de Jeanne Burgart Goutal et Aurore Chapon mêle le destin de divers personnages à celui d’une communauté où les modes de vie explorent les mille et un chemins de l’écoféminisme. « L’écoféminisme est un objet passionnant parce qu’il se caractérise par une grande pluralité, et des approches très différentes selon les lieux et les époques. Il faut le voir comme une nébuleuse aux contours flous et mouvants, que j’ai essayé de penser comme une arborescence », nous expliquait la philosophe Jeanne Burgart Goutal dans un entretien publié en janvier 2021. Son livre précédent, Être écoféministe. Théories et pratiques, faisait la synthèse des théories éco-féministes et des pratiques politiques qui s’en revendiquent.
➡️Resisters, Jeanne Burgart-Goutal et Aurore Chapon, Tana éditions, 2021, 208 pages, 22 euros.

L’ordre du jour,
Éric Vuillard

Il y a la grande histoire et ses dates clés, qui paraissent suivre implacablement leur cours. Et il y a leurs coulisses, l’ensemble des actions et personnages, célèbres ou anonymes, qui façonnent, dans l’ombre, cette grande histoire. C’est dans ces coulisses qu’Éric Vuillard nous invite à pénétrer : celles de l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par le régime hitlérien le 12 mars 1938. Vu de la grande histoire, telle qu’on nous la raconte depuis l’après-guerre, l’Anschluss semble inéluctable, première étape « pacifique » de l’expansion irrésistible et meurtrière de l’Allemagne nazie. Cette expansion ne sera définitivement stoppée qu’après six années de guerre, plus de 60 millions de morts et un génocide. Vu des coulisses, l’enchaînement des événements prend une autre tournure. Éric Vuillard raconte avec talent toutes ces petites lâchetés et grandes compromissions, concédées par intérêt, par bêtise, par aveuglement ou par indifférence, qui ont mené à l’annexion de l’Autriche par les nazis. Au regard des conditions dans lesquelles s’est préparé et « négocié » l’Anschluss, la lecture du prix Goncourt 2017 qui vient d’être réédité en poche, nous montre que, non, rien n’est inéluctable. L’enchaînement d’événements qui nous font potentiellement glisser vers l’abîme peut, assez facilement finalement, être stoppé avant d’en payer le prix fort. La grande histoire dira dans quelques décennies si c’est aujourd’hui le cas, au regard des défis écologiques et démocratiques qui surgissent sous nos yeux.
➡️L’Ordre du Jour, Eric Vuillard, Editions Babel (poche), 160 pages, 6,80 euros.

Ventes d’armes, une honte française,
Aymeric Elluin, Sébastien Fontenelle

Depuis plus de cinquante ans, la France arme des régimes qui bafouent ouvertement les droits humains. Une stratégie payante : la France est aujourd’hui le troisième exportateur mondial de matériel militaire. Contrats lucratifs signés avec l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis ou encore l’Égypte, absence de contrôle parlementaire, soutien financier à l’industrie de l’armement… : l’historique accablant des exportations d’armements de fabrication française dressé par Aymeric Elluin et Sébastien Fontenelle montre comment les gouvernements successifs ont hissé la France en haut de ce classement mortifère. Un business aussi florissant qu’il est opaque. Soumis au secret-défense, le commerce des armes nous engage pourtant individuellement et collectivement, parce que ces armes sont vendues en notre nom – au prétexte, de la défense de nos intérêts – et parce qu’elles blessent et tuent des populations civiles. Basta!, qui travaille sur le sujet des exportations d’armements française depuis des années, avait publié en septembre un extrait de l’ouvrage.
➡️Ventes d’armes, une honte française, Aymeric Elluin, Sébastien Fontenelle, Le Passager clandestin, septembre 2021.

Cinq dans tes yeux,
Hadrien Bels

Ce roman, le premier d’Hadrien Bels, raconte l’histoire de Stress, qui a grandi dans les années 1990 dans le quartier du Panier à Marseille. Aujourd’hui, Stress est devenu adulte, il a perdu presque tout contact avec ses copains d’antan, Nordine, Ichem, Kassim, Djamel et Ange. Son quartier, lui, se gentrifie de jour en jour, transformant en profondeur ses rues, et expulsant progressivement ses habitants. Empli de nostalgie de ses souvenirs passés et de colère, Stress, lui, essaie de devenir un artiste. Ce récit (autobiographique ?) à l’écriture crue et contemporaine pose un regard sans fard, émouvant et drôle sur Marseille et l’amitié. Il livre aussi une vision intime et subjective d’un processus souvent décrit de manière impersonnelle et descriptive, celui de la gentrification.
➡️Cinq dans tes yeux, Hadrien Bels, L’iconoclaste, 2020, 256 pages, 18 euros.

Écologies déviantes,
Cy Lecerf Maulpoix

Essai intime et politique, Écologies déviantes arpente des versants méconnus de la généalogie queer et de ses descendances. L’ensemble protéiforme est constitué de récits qui font « apparaître des mondes alternatifs où les existences déviantes ont occupé une place prépondérante ». Cy Lecerf Maulpoix y interroge les luttes contemporaines pour le climat et pour la défense des minorités sexuelles et de genre, avec en toile de fond les lignes qui les déchirent et les liens qui les unissent. Se mêle à ses réflexions un travail érudit d’historien qui fait rejaillir du passé des figures, la plupart anglo-saxonnes, convoquées comme autant de balises pour jalonner le présent et envisager un futur supportable, à défaut d’être désirable. Parmi elles émerge le fascinant Britannique Edward Carpenter (1844-1929), poète et philosophe, militant socialiste libertaire et pour les droits des homosexuels. L’originalité d’Écologies déviantes tient grandement dans les récits de voyages que Cy Lecerf Maulpoix effectue de l’Angleterre aux États-Unis pour ses recherches, parcourant les jardins des demeures où flottent encore dans l’air les fantômes de collectifs comme le Bloomsbury Group, visitant des activistes ou rejoignant des lieux refuges qui ont vu émerger des communautés LGBTQI encore actives, comme celle des Radical Faeries en Californie. De ces séjours, il tire des pages tout autant illuminées d’éclats poétiques que chargées d’énergie et d’empathie.
➡️Écologies déviantes, Cy Lecerf Maulpoix, Cambourakis, 2021, 272 pages, 22 euros.