Elles ne portent bien souvent pas de masques, croisent des centaines de personnes chaque jour, manipulent des produits saisis par des centaines de clients, encaissent des pièces de monnaie qui ont été touchées des milliers de fois, sans avoir le temps de se laver les mains régulièrement : les 700 000 caissières et caissiers de la grande et petite distribution – dans leur grande majorité des femmes – sont en première ligne face au coronavirus. Et elles se sentent bien seules. Pourtant, une grande partie de l’approvisionnement alimentaire de la population confinée dépend d’elles.
Le 16 mars, lors de son deuxième discours sur le coronavirus, Emmanuel Macron n’a pas dit un mot à leur sujet. Il n’a fait aucune annonce sur d’éventuelles livraisons de masques de protection, ni demandé aux grandes enseignes de supermarchés de prendre leurs responsabilités. Il a simplement invité les gens à aller faire leurs courses « avec discipline et distance ». Les aides aux entreprises et aux employeurs ont, elles, été largement évoquées.
« Certaines doivent acheter elles-mêmes leur gel hydroalcoolique ! »
« Les conditions de travail des caissières sont souvent indigentes compte tenu des dangers de contamination au coronavirus, dénonce Laurent Degousée, co-délégué de la fédération Sud commerce. Certaines doivent acheter elles-mêmes leur gel hydroalcoolique ! » À cette absence de protection s’ajoute la fatigue intense de journées de travail très chargées, avec l’impossibilité de faire des pauses.
La position debout, pour celles qui sont en appui sur les caisses automatiques, peut s’avérer particulièrement épuisante. Leur niveau de stress est évidemment élevé, puisque qu’elles peuvent avoir peur d’attraper le virus et doivent en plus affronter des hordes de clients loin d’être tous civilisés… Ceux et celles qui sont en charge de la mise en rayons, à l’intérieur des magasins, sont logés à la même enseigne.
« Il n’y a pas toujours des vigiles, signale Laurent Degousée. Dans certains magasins, le personnel a dû réguler lui même les clients qui se précipitaient par dizaines pour faire leurs courses. Les 700 000 salarié.es de la distribution alimentaire sont réellement en grande détresse. » Ils et elles redoutent particulièrement ce qui va se passer aujourd’hui, à partir du 17 mars, alors que le président de la République a annoncé des mesures très strictes de confinement à partir de midi.
« L’État paiera pour la mobilisation des taxis et hôtels dont les soignants pourraient avoir besoin, a promis Emmanuel Macron. Nous leur devons sérénité, dans leurs déplacements, et repos. » Cela ne fait aucun doute. Mais quid des caissières, qui pour nombre d’entre elles dans les grandes villes, n’ont pas non plus les moyens de vivre à proximité de leur lieu de travail ?
« La responsabilité de l’employeur est engagée par l’obligation de mettre en place des mesures fortes et rapides »
« L’employeur a une responsabilité absolue en matière de santé physique et mentale de ses salariés qui est incontestable. Il doit tout faire pour y parvenir ! » rappelle la fédération syndicale Solidaires. « La responsabilité de l’employeur est engagée par l’obligation de mettre en place des mesures fortes et rapides visant à assurer la santé des salariés, de leur famille et des clients quoi qu’il en coûte », appuie la FGTA-FO, qui représente les salariés de la grande distribution. Les syndicats exigent la mise à disposition pour chaque salarié.e de gants, de gel hydroalcoolique et de masques en quantité suffisante, ainsi que des embauches pour compenser la surcharge de travail, et pour assurer la sécurité.
« Ce qui est terrible c’est que c’est aux syndicalistes de faire appliquer des règles qui devraient être évidentes, estime Eric Beynel, de la fédération Solidaires. Dans d’autres secteurs - banques, douanes, transports - les salariés ont dû user de leur droit de retrait pour obtenir que des mesures de sécurité : port des masques, réduction de l’activité, fermeture éventuelles. » Si les employeurs et le gouvernement continuent à faire la sourde oreille, les salarié.es de la distribution alimentaire pourraient-ils en arriver là ?
La FGTA-FO avertit que ses élus accompagneront les salariées qui souhaitent le faire. « Celle ou celui qui met ce droit de retrait en œuvre n’a pas à prouver l’existence du danger, précise Solidaires. S’il est contesté par l’employeur, ce sera au juge de trancher. » En attendant d’affiner leurs stratégies, les syndicats du secteur espèrent être reçus très vite par le gouvernement. « Les employeurs ont tous été reçus à l’Élysée, souligne Laurent Degousée. Nous attendons donc notre tour. »
Nolwenn Weiler
Photo : © Pedro Da Fonseca