Après les inondations dans les Alpes-Maritimes qui ont fait au moins 19 morts dans la nuit du 3 au 4 octobre, le député et maire de Nice, Christian Estrosi (les Républicains) n’a pas hésité à incriminer Météo France. L’agence n’avait pas relevé le niveau d’alerte d’orange à rouge, « la brutalité et la brièveté du phénomène » s’étant révélée trop tardivement. D’autres causes que la difficulté de prévoir l’intensité d’un orage sont peut-être à rechercher. Dans les Alpes-Maritimes, le littoral est « artificialisé » à plus de 60% : c’est-à-dire que la grande majorité des terres sont bétonnées. En 20 ans, les surfaces agricoles se sont réduites d’un quart [1].
Le fleuve côtier la Siagne, qui a débordé et provoqué la mort de sept personnes à Mandelieu-la-Napoule, était autrefois bordé « d’oseraies, de prairies et de peupliers », qui servaient à « éponger les excès » de ce « torrent alpin » se déversant vers la mer, où l’espace est fortement urbanisé, note par exemple Le Figaro. Dans un communiqué, l’écologiste Sophie Camard, tête de liste EELV-Front de gauche aux élections régionales, dénonce un « urbanisme incontrôlé » sur la Côte d’Azur avec son lot d’ « artificialisation des sols », de « destructions des terres agricoles », de « constructions en zones inondables » et de « mauvaise évaluation des risques ».
La « Silicon Valley niçoise » : un risque d’inondation accru
Parmi les projets concourant à cette bétonisation, il en est un largement promu par Christian Estrosi : « Eco-Vallée Plaine du Var » [2]. Cette opération qualifiée « d’intérêt national » – c’est alors l’État et non la commune qui délivre les permis de construire – est présentée par le maire de Nice comme la future « Silicon Valley niçoise » : des éco-quartiers, un grand stade de football en vue de l’Euro 2016, un quartier d’affaires international, une zone d’activité commerciale et son pôle multimodal reliant la gare, l’aéroport et une future ligne de tramway. Côté chiffres, la métropole se réjouit de la création de « 50 000 nouveaux emplois » et des « 2,5 milliards d’euros d’investissements prévus (80 % privés) » [3]. L’ambition du projet semble pharaonique. Sur les 10 000 hectares de la plaine du Var concernés – soit 23 km depuis le littoral jusqu’à l’intérieur des terres –, 450 hectares sont déclarés « mutables », donc potentiellement aménageables, et 3 millions de m2 « constructibles ».
Basta! s’est procuré un avis de l’autorité environnementale de l’État rédigé en novembre 2012. Celui-ci se penche sur l’impact d’une plateforme agroalimentaire – 60 000 m2 de bâti, 1100 places de stationnement, deux accès routiers – édifiée dans le cadre du projet Eco-Vallée. Résultat : le long du Var, qui se jette dans la Méditerranée au niveau de Nice, « le risque inondation est aggravé par l’imperméabilisation supplémentaire liée au projet qui porterait le débit centennal à 6 m3 par seconde contre 2,4 actuellement », indique explicitement cet avis. En clair, en cas de crue, deux à trois fois plus d’eau submergerait l’aval de la plateforme. Un constat d’autant plus gênant que l’État contribue à financer un tiers du projet, soit 21,5 millions d’euros, aux côtés du département et de la région [4].
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Agir pour préserver les terres agricoles
L’Autorité environnementale déplore également l’absence d’une « vision d’ensemble ». Elle accorde des autorisations à chaque aménagement du plan local d’urbanisme (PLU) sans pouvoir mesurer les effets cumulés de l’ensemble des projets autorisés et de l’« artificialisation accrue » de la plaine niçoise. Les promoteurs du projet Eco-Vallée s’en défendent sur leur site, mettant en exergue « une urbanisation responsable, avec des espaces naturels et agricoles qui constitueront des respirations entre des pôles urbanisés » [5].
Cette promesse d’« urbanisation responsable » n’a pas convaincu le collectif associatif Capre 06 qui souhaite « contribuer au nécessaire débat démocratique sur les grandes orientations environnementales qui conditionnent notre avenir à tous ». Il y a sept mois, le collectif a lancé une pétition appelant à un moratoire sur la destruction des terres agricoles de la plaine du Var « parmi les plus fertiles d’Europe ». Parmi les enjeux : « préserver la ressource en eau de la nappe phréatique qui alimente 600 000 habitants » et « conserver les terres "éponge" de la plaine pour limiter les inondations ». Avec la volonté qu’à terme, la plaine du Var retrouve une vocation fortement agricole.
Enquête de la Commission européenne
Une enquête menée par la Commission européenne est également en cours sur ce projet, suite à une saisine portée en mai 2013 par un collectif d’associations [6], et soutenue par l’eurodéputée écologiste Michèle Rivasi. Cette saisine doit notamment se concentrer « sur les infractions de la législation européenne en matière de biodiversité et d’eau des projets dont les impacts environnementaux n’ont pas été évalués globalement », indique le collectif OIN (pour "opération d’intérêt national") Plaine du Var. « La saisine passe en commission le 15 octobre prochain », précise Sylvie Bonaldi de Capre 06, contactée par Basta!. « Plusieurs recours au tribunal administratif sont également en cours mais aucun n’est suspensif. »
A défaut de commission nationale de débat public [7], l’établissement public d’aménagement Plaine du Var a attaqué les travaux de l’Eco-Vallée. Pour l’instant, les constructeurs de la route menant au grand stade de Nice se heurtent à trois octogénaires bien résolus à ne pas quitter leur maison. « Je veux mourir ici. J’ai toujours vécu là. Mes parents ont beaucoup transpiré pour faire construire. Une forte somme d’argent ne me fera pas changer d’avis », explique Jeanne Venturino-Carabalona, 86 ans. Une détermination qui fait écho à celle de Philippe Layat, un céréalier installé près du stade de Décines (Lyon), refusant d’être exproprié par le foot business.
Photo : CC U.S. Geological Survey