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Cryptomonnaies, NFT, web 3.0 : derrière les technologies « blockchains », quel impact pour la planète ?

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par Emma Bougerol

La cryptomonnaie la plus connue, le bitcoin, consomme à elle seule autant d’électricité que le Pakistan. Ces technologies permettent aussi plus d’horizontalité et de transparence. Les généraliser signifie-t-il sacrifier l’environnement ?

On dit qu’elles sont le seul avenir du web, ou on en parle comme d’une lubie passagère. Souvent associée aux cryptomonnaies, aux NFT, au web 3.0 … Les blockchains, ou chaînes de blocs sont à la fois montrées comme révolution de l’Internet et un danger potentiel pour notre environnement. Vont-elles sauver ou détruire notre planète ? Probablement ni l’un ni l’autre. Mais leur impact n’est pas neutre, et il mérite de s’y pencher.

Les technologies blockchains se sont développées à partir de 2008. Elles permettent d’échanger des données de pair-à-pair, de vérifier et de stocker ces informations de manière horizontale. C’est une base de données de transactions, reposant sur un principe central : le mécanisme de consensus. Pour valider une transaction, la majorité des ordinateurs du réseau doivent la valider. Il n’y a pas, par définition, d’intermédiaire centralisé, mais une multiplicité de terminaux qui servent de relais et de vérificateurs des échanges.

L’intérêt du public pour les blockchains coïncide avec l’apparition du bitcoin. Cette cryptomonnaie ne dépend, par définition, d’aucune banque centrale. Son cours est par conséquent plus volatile, puisque soumis à aucune régulation. Mais elle a eu un succès tel que certains États, à l’image du Salvador, l’ont adoptée comme monnaie nationale.

Un fonctionnement très gourmand en électricité

Depuis cette monnaie star, on ne compte plus aujourd’hui les usages des blockchains. Pour signer un contrat, héberger un site, même certifier un diplôme, elles garantissent confiance et pérennité. Mais, conjointement à la multiplication de leurs usages, des articles et études alarmistes sur leur impact climatique ont vu le jour.

L’exemple le plus connu et le plus discuté est le bitcoin. Pour « vérifier » et ainsi sécuriser chaque transaction de cette monnaie virtuelle, plusieurs terminaux entrent en concurrence. Un ensemble de transactions s’appelle un « bloc ». Pour valider un bloc lors d’une nouvelle transaction, les ordinateurs doivent résoudre une équation complexe et le plus rapide gagnera une récompense en cryptomonnaie. Pour vérifier que l’utilisateur est « honnête » dans cette chaîne, il doit donc faire l’effort de résoudre l’équation. Cette technique de vérification, appelée « proof of work  », ou preuve de travail, demande des ordinateurs avec une grande capacité de calcul … Et donc une grande consommation d’électricité.

Sont ainsi nées les « fermes de minage » de bitcoin. Loin de l’aspect champêtre, ce sont des pièces ou des hangars, avec plusieurs ordinateurs consacrés à la résolution d’un « bloc ». Entre la consommation du matériel informatique, celle des réseaux de refroidissements, l’impact est non négligeable. Selon les chiffres de l’université de Cambridge sur la consommation électrique du bitcoin, le minage de cette cryptomonnaie nécessite autant d’électricité par an que le Pakistan et ses 225 millions d’habitants – soit environ 93 térawatts-heures (tWh) par an. D’un autre côté, cela représente moins que la consommation annuelle des réfrigérateurs aux États-Unis (d’environ 104 tWh).

Énergies fossiles et solutions

Pour « miner », et pour en tirer profit, il faut trouver de l’électricité à bas coût. Or, les pays avec une énergie à bas coût sont souvent ceux qui recourent encore massivement aux énergies fossiles et très polluantes. Dans la cartographie de minage du bitcoin, on retrouve principalement les États-Unis, la Chine et le Kazakhstan. La majorité de la production d’électricité de ces pays provient du pétrole, du charbon ou du gaz. Toujours selon les estimations de l’université de Cambridge, le bitcoin représenterait 0,09 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. C’est à peu près autant que la République centrafricaine ou que le Népal.

Toutes les blockchains ne consomment pas autant que le bitcoin. La blockchain Ethereum, par exemple, à la fois cryptomonnaie et plateforme pour des NFT, des « contrats intelligents » (smart contracts), et d’autres applications, consomme bien moins. Sa monnaie est la principale concurrente du bitcoin. Le 15 septembre 2022, Ethereum a réalisé une mise à jour qui change son mode de fonctionnement. « La consommation énergétique d’Ethereum a chuté d’environ 99,95 %, faisant de l’Ethereum une blockchain verte », peut-on lire sur son site. Comment ? Par un changement de mode de vérification, de la « preuve de travail » (utilisée par le bitcoin) à la « preuve d’enjeu ».

Sans rien changer pour les utilisateurs, cette nouvelle méthode rend obsolète la technique du minage, si consommatrice. Via un contrat – présent sur cette blockchain –, l’utilisateur accepte d’investir un capital de cryptomonnaie, garantie qu’il effectuera le travail de vérification des blocs honnêtement et en quantité suffisante. L’argent peut lui être retiré s’il ne fait pas sa part du contrat. Ainsi, plus besoin de calculs lourds pour prouver la confiance en la monnaie : « La dépense énergétique d’Ethereum est à peu près égale au coût de fonctionnement d’un modeste ordinateur portable pour chaque nœud du réseau », se félicite Ethereum sur son site. Mais difficile d’envisager un changement de technologie de la plus importante cryptomonnaie, le bitcoin. Pour cela, il faudrait une décision par consensus des utilisateurs, déjà compliquée à obtenir. Et les personnes qui ont investi dans des ordinateurs - parfois en énorme quantité - pour miner n’ont sûrement aucune envie de les laisser prendre la poussière.

Une technologie essentielle ?

Il faut remettre le bitcoin, tout comme les autres usages de la blockchain, dans leur contexte : ce sont des outils. Des outils plus ou moins essentiels. On peut par exemple questionner la nécessité des NFT (jeton non fongible), qui permettent d’acquérir des œuvres immatérielles et uniques – images, sons, vidéos … – encodées de manière unique et inscrites sur une blockchain. C’est une manière de spéculer, finalement, un marché de l’art 2.0... sans grand apport à la société.

Mais la blockchain peut aussi assurer la pérennité et la stabilité d’un site ou de données. « Il faut dissocier la question de l’impact du concept de blockchain, qui est lui très intéressant. Avec son système de preuves et sa traçabilité, il a cet aspect décentralisé qui le rend résilient. Dans le monde à venir, qui sera sûrement plus chaotique, cela assure une meilleure pérennité du système », prévoit Frédéric Bordage, fondateur de l’association Green IT, qui s’intéresse à la sobriété numérique et au numérique responsable.

Même s’il estime que « le bitcoin a été une orgie énergétique pour pas grand-chose », il dit n’avoir « pas trop de crainte » sur l’impact environnemental futur de la blockchain. « Il y a des “buzz” autour de certains usages, et même si on va griller de la ressource numérique pendant ce temps, ça va finir par se stabiliser, pour prendre une utilité concrète dans la vie des gens. »

Les blockchains ne peuvent appartenir à personne, et sont ainsi bien plus sûres, au contraire de transactions ou d’hébergement de données aux mains de grandes entreprises – ces données collectées et stockées par les « GAFAM » (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, etc.) sont à la merci des stratégies de ces entreprises, de l’éthique ou de l’absence de scrupules de leurs dirigeants. Les transactions effectuées sur une blockchain sont aussi un gage de transparence : tout le monde peut avoir accès à ces données. Basées sur la confiance, elles peuvent avoir une infinité d’usages. Elles pourraient par exemple être mises au service de la mise en œuvre de l’accord de Paris, proposent des chercheurs, en conservant un registre du carbone.

« Le problème, ce n’est pas la blockchain en tant que concept. C’est la manière dont on va s’en saisir, appuie Frédéric Bordage. Qu’allons-nous en faire ? Que vont en faire les acteurs économiques ? C’est ça la question. » L’impact des blockchains est encore marginal, et ne doit cependant pas faire oublier les gros pollueurs d’aujourd’hui. Les banques polluent bien plus que n’importe quelle cryptomonnaie.

« L’empreinte carbone des grandes banques françaises représente près de 8 fois les émissions de gaz à effet de serre de la France entière, rapporte Oxfam France. Au rythme actuel, [elles] nous emmènent vers un réchauffement à +4°C d’ici à 2100. » En plus d’en être dépendantes, année après année, elles continuent de financer les énergies fossiles. Le débat sur ces technologies blockchain, encore nouvelles, ne doit pas servir de diversion. Véritable révolution ou château de cartes, il faudra les surveiller… Sans oublier de garder un œil sur les pollutions de l’ère industrielle, encore bien trop massives.

Emma Bougerol

Photo de une : Ferme de minage de crypto-monnaie CC BY 2.0 Marko Ahtisaari via Flickr