Nous finissons cette année si particulière entre sidération, exaspération et lassitude. Dans une société fragilisée par une crise sanitaire qui n’en finit plus et une crise économique dévastatrice, le gouvernement ose une loi « Sécurité globale » qui est une profonde remise en cause de nos libertés fondamentales. Cette loi votée par l’Assemblée nationale le 24 novembre, avec le soutien de l’extrême droite, porte atteinte aux principes de notre État de droit, notamment par les restrictions qu’elle pose à la liberté d’informer et à la possibilité de documenter les violences policières.
Dans une fuite en avant répressive, à coups de lois d’exception s’installe depuis quelques années une autre société. Celle où filmer un policier, occuper une université, manifester pacifiquement, défendre des demandeurs d’asile, faire son travail de journaliste lors d’une manifestation, peut être considéré comme un acte séditieux et peut nous valoir une garde à vue. Celle où des organisations syndicales sont « confinées » de force dans leurs locaux, lorsqu’un Premier ministre visite un hôpital [vendredi 20 novembre, CHRU de Brest]. Celle où les forces de l’ordre vont chercher chez eux, au petit matin, des enfants de 10 ans présentés comme des menaces pour notre sécurité. Celle où un ministre de l’Éducation, après d’odieux attentats, reprend le vocabulaire de l’extrême droite pour fustiger un « islamo-gauchisme » fantasmé et la « complicité intellectuelle » de la gauche ou de l’université vis-à-vis du terrorisme, dans d’obscènes récupérations politiques. Celle où le renoncement à nos libertés est à chaque fois présenté comme un mal nécessaire. Jusqu’où ?
Pour imposer un projet de société qui n’a de sens que pour les plus privilégiés, nos dirigeants n’ont plus le choix : s’enfoncer dans un déni de réalité toujours plus flagrant, apporter une réponse autoritaire et policière, la seule possible pour passer en force leurs « réformes ». Face au mépris, face au dialogue impossible, l’explosion sociale semble inévitable. Là où il faudrait répondre avec sang froid et avec raison, nos dirigeants plongent dans une folie orwellienne, où les mots n’ont plus de sens. « Nos libertés sont attaquées ? Renonçons-y ! » Ce serait le prix à payer pour notre santé, notre sécurité, nos vies. Des arguments relayés sur les plateaux télé par les gesticulations outrancières des éditocrates, exploitant leur fonds de commerce, ajoutant une couche de fébrilité à un débat politique rendu impossible.
À ces passages en force, les citoyens ont répondu par une mobilisation historique, samedi 28 novembre. Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour dénoncer cette loi « Sécurité globale », à l’appel de syndicats, d’organisations de défense de droits humains, de comités de familles de victimes de violences policières, d’associations de journalistes et de réalisateurs.trices, de collectifs de quartiers populaires, d’exilé.es, de Gilets jaunes.
Basta! est partie prenante de cette mobilisation nécessaire. Avec insistance, par notre travail quotidien, nous voulons aussi questionner le fonctionnement actuel de notre démocratie. Comment pouvons-nous reconstruire les conditions d’un véritable débat public ? Quel rôle de la presse pour donner à voir, proposer des analyses, esquisser des alternatives, faire entendre d’autres voix ? Sans réflexion profonde sur les modalités actuelles du débat démocratique, nous serons condamnés à observer la lente transformation de notre société vers une « tyrannie des bouffons ». Une société dans laquelle tout serait conçu, selon les termes de l’écrivain Christian Salmon, pour « susciter nos réactions les plus élémentaires », et où il serait « difficile pour chacun d’entre nous de se soustraire à ces tempêtes émotionnelles qui n’ont d’autre but que de détruire les conditions d’un débat public raisonné ».
« Après avoir crevé les yeux, il éteignit les caméras », pouvait-on lire sur une pancarte, samedi lors de la manifestation parisienne. Après des mois de répression contre la liberté d’expression et la liberté de manifester, après des années de violences policières, après ces nouvelles attaques contre la liberté d’informer, nous voulons retrouver la raison, et l’envie de débattre. Nous avons besoin pour cela de médias pluralistes, qui suscitent la confiance et jouent pleinement leur rôle. D’une presse indépendante forte qui résiste aux pressions et défend avec lucidité un autre regard sur le monde. De médias qui prennent le temps d’informer et qui invitent à prendre le temps de penser.
Soutenez notre travail. Soutenez Basta!