Accueil des migrants

Dans les centres d’accueil, les espoirs douchés des anciens exilés de la jungle de Calais

Accueil des migrants

par Sandrine Lana

Fin octobre 2016, la Jungle de Calais, qui regroupait environ 8 000 exilés attendant un hypothétique passage vers le Royaume-Uni, a été évacuée et détruite. Ce fut ensuite le tour des camps improvisés du nord-est de Paris. La majorité de leurs occupants ont été dispersés dans une multitude de Centres d’accueil et d’orientation (CAO) sur tout le territoire, dans l’attente d’une évolution de leur situation suite au dépôt d’une demande d’asile. Trois mois plus tard, leur situation est-elle réglée, et les promesses tenues par l’État français à leur égard respectées ?

« A Grambois, c’est aussi la jungle », lance Aled, un ado timide, les mains dans les poches d’un jean qui protège mal ses deux chevilles du froid et du mistral. L’Érythréen de seize ans se morfond au fin fond du Vaucluse, dans une jolie petite commune du Lubéron. Pas sûr qu’il soit réceptif aux charmes de la région. Suite à l’évacuation du bidonville de Calais, le 24 octobre 2016, il a embarqué dans l’un des bus, pensant rejoindre le Royaume-Uni. Et s’est retrouvé à Grambois, aux antipodes de sa famille. « Écrivez, nous voulons parler. Ici, personne ne dort. La nuit, tout le monde pleure. Nos familles sont au Royaume-Uni, et nous, nous sommes bloqués ici. »

Aled et 50 autres jeunes sont hébergés dans un centre de vacances isolé, transformé en « centre d’accueil et d’orientation » (CAO) pour mineurs isolés étrangers. Une équipe d’une quinzaine de personnes les encadrent. Lui et ses camarades font partie des 5 250 personnes, dont un tiers de mineurs, répartis en une dizaine de jours dans les 300 centres ouverts par l’État dans toute la France afin, selon le ministère de l’Intérieur, « de permettre aux personnes migrantes sans-abri de bénéficier d’un temps de répit et d’engager, si elles le souhaitent, une démarche de demande d’asile ».

« Mon rêve est brisé »

Que veulent ces adolescents ? Majoritairement, rejoindre le Royaume-Uni pour y retrouver leur famille. N’était-ce pas la promesse de Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur ? Un fonctionnaire du Home office – le ministère de l’Intérieur britannique – a recueilli leurs demandes. Sur les 51 jeunes de Grambois, une dizaine ont rapidement pu rejoindre leurs proches Outre-Manche. Les autres ont été prévenus oralement que l’État britannique refusait de les accueillir. « La plupart des gamins ont le même type de dossier ; le choix des autorités britanniques est arbitraire. On ne comprend pas », confie un éducateur, un peu dérouté.

Début décembre, le Home office a en effet décidé de mettre un terme à l’accueil des mineurs sur son territoire. « Dans la dizaine de centres pour mineurs que nous avons contactés, il y a eu des fugues, des départs de jeunes », indique Margot, de l’association l’Auberge des Migrants. Aled est lui aussi parti de Grambois, après notre rencontre : « Mon rêve est brisé. Je suis fâché parce qu’on m’a menti », a-t-il glissé. Trois mois après l’évacuation du bidonville, une partie des jeunes évacués sont ainsi de retour à Calais, où de plus en plus de jeunes errent désormais dans les rues.

Refus arbitraires

Depuis le démantèlement, environ 750 enfants ont rejoint leur famille en Grande-Bretagne, et environ 300 ont reçu une fin de non recevoir, selon la Direction générale des étrangers en France et les associations. Parfois, un représentant du préfet est venu annoncer de vive voix la liste des « refusés » aux mineurs. Il en resterait environ 900 en attente d’une décision sur leur sort. « Les éducateurs à qui nous parlons sont en demande d’information sur les procédures à suivre après ces refus. Nous pouvons aussi leur donner des contacts d’avocats pour procéder à un éventuel recours », précise Margot. Sans notification écrite, déposer un recours est compliqué. « Dans deux centres, des éducateurs ont fait appel à un cabinet d’avocats anglais », raconte la militante.

Autant de temps perdu pour ces quelques centaines de jeunes, proches de leur majorité, qui aspirent à rejoindre leur famille et à une nouvelle vie. « Pour une personne mineure qui avait dix-sept ans et demi au moment de la destruction du bidonville, on peut se dire que le temps perdu est éliminatoire. On peut mesurer le cynisme des autorités, tant françaises que britanniques, dans cette affaire », déplorent les bénévoles du blog Passeurs d’hospitalité.

Le spectre de Dublin

L’aide des associations et des nombreux collectifs qui se déploient autour des 300 CAO est indispensable pour les éducateurs. Nombre d’entre-eux ont été catapultés là sans réelle expertise des problématiques propres aux migrants. A Grambois, ils ont appris sur le tas, créé des activités sportives pour occuper les enfants. Dès l’annonce du refus britannique, les jeunes sont partis à pied manifester à Pertuis, la petite ville la plus proche, pour crier leur colère. D’autres ailleurs ont également manifesté, voire entamé des grève de la faim. En vain.

Les adultes ont quitté la lande de Calais en même temps que les mineurs, sur une promesse : pouvoir déposer leur demande d’asile en France. Problème : le règlement européen Dublin III impose à un migrant d’introduire sa demande d’asile dans son pays d’entrée au sein de l’espace Schengen, où les empreintes digitales lui sont généralement prises. Il s’agit souvent de l’Italie ou de la Grèce. Le préfet peut donc décider d’expulser ces jeunes interceptés en France vers ces pays. On les appelle les « dublinés ».

Des centres d’orientation... ou de tri ?

« Ceux qui sont dans les CAO ont vocation à être accompagnés vers l’asile dès lors qu’ils relèvent de ce dispositif », avait pourtant assuré Bernard Cazeneuve. Or, parmi les hébergés en CAO, 2 440 personnes seraient concernées par une procédure Dublin III, selon l’Office français de l’Immigration et de l’Intégration. Risquant un renvoi. « Sans cette promesse, l’État n’aurait jamais réussi à vider Calais, regrette Loan qui coordonne la plate-forme Info CAO, mise en place par des associations actives à Calais. Ils n’y seraient jamais allés s’ils avaient su qu’ils risquaient un renvoi. » Mais ces renvois sont encore rares, selon les associations. « L’État n’a pas donné d’instruction officielle. Les ministres laissent faire les préfets. A Paris, selon moi, il n’y a pas de renvoi mais une volonté d’identifier les dublinés », estime Claire Rodier, juriste au Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti).

Les associations alertent sur le « tri » qui se met en place dans certains centres. « Les dublinés de Calais sont séparés des personnes qui peuvent demander l’asile en France », entend-t-on dans les Bouches-du-Rhône et dans le Pas-de-Calais. A Paris, lors de l’ouverture du « Centre humanitaire d’accueil pour réfugiés » en novembre dernier, la présidente de Médecins du Monde s’inquiétait de voir la structure devenir un centre de tri. « Les CAO vont devenir le modèle officiel. Le passage en CAO sera une étape supplémentaire pour les demandeurs d’asile », pense également Claire Rodier.

Élans de solidarité

Dans son nouvel appel d’offres, lancé fin 2016 et destiné à ouvrir plus de 5 000 nouvelles places d’accueil d’urgence, le ministère de l’Intérieur détaille les « prestations » à réaliser. Figure entre autres la « préparation du transfert des personnes sous procédure Dublin et [le] suivi, le cas échéant, des personnes assignées à résidence dans ce cadre ». Si tel est le cas, la promesse de Bernard Cazeneuve sera belle et bien enterrée.

En attendant, comme partout en France, des milliers de personnes apportent leur aide aux migrants. A Grambois, le collectif local Bienvenue Sud Luberon, qui réunit une cinquantaine de citoyens, a organisé un loto géant pour acheter des sacs à dos et des portables aux jeunes. D’autres donnent des cours d’anglais ou les aident à traduire des documents, malgré la méfiance de la direction du centre. D’autres encore interpellent des élus pour ne pas faire oublier la réalité de ces hommes et femmes [1].

Sandrine Lana

Photo : © Olivier Favier / Basta!

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Notes

[1Ni le ministère de l’Intérieur, ni l’Ofpra, ni le ministère du Logement n’ont souhaité répondre favorablement à nos demandes d’interview