Chacun sort un peu hagard de cette période de confinement. Inquiet pour la suite des événements. Plein d’interrogations sur le « monde d’après », comme on l’appelle désormais. Plein de colère ou d’indignations. La tête remplie de faits, d’analyses, de commentaires, du flux incessant des petites phrases cyniques, des préjugés, ou des affirmations péremptoires des « toutologues » qui squattent les ondes ou les plateaux télé.
À Basta!, ce que nous venons de vivre, ce que nous vivons actuellement, nous conforte dans nos choix éditoriaux. Permettre au plus grand nombre d’appréhender les enjeux collectifs auxquels nous faisons face, décrypter, relier, tenter de prendre de la hauteur, participer à esquisser des réponses adaptées, est indispensable. Pour la première fois, certains citoyens, certains responsables politiques s’intéressent de près et s’informent sur des thématiques que nous traitons au quotidien, depuis longtemps : santé et environnement, alimentation et systèmes agricoles, surveillance, fractures sociales, santé au travail,... Depuis le début de la crise du Covid, nos articles sont très lus et nous recevons beaucoup d’encouragements. Nous vous en remercions.
Dans cette période, le besoin d’une information rigoureuse, originale, sourcée, vérifiée, indépendante des pouvoirs politiques et économiques, est plus que jamais nécessaire. Au-delà de notre travail quotidien pour faire vivre un média, nous voulons aussi contribuer à renforcer le secteur de la presse indépendante – ses modèles économiques, ses conditions de travail, sa visibilité –, à construire un écosystème solide. Nous ne voulons pas que ce secteur de la presse soit confiné dans les marges de notre société.
Maison des médias libre, réseau européen pour enquêter sur les multinationales, investigations sur l’écologie et le climat...
C’est ce qui nous pousse depuis plus de 10 ans, à développer des partenariats, pour proposer sur notre site des articles produits par d’autres médias indépendants, que nous avons envie de vous faire connaître. Nous animons aussi depuis quatre ans le portail des médias libres, qui assure une revue de presse quotidienne d’une centaine de médias indépendants francophones et d’une vingtaine de sources anglophones.
Travailler avec d’autres est essentiel. C’est pourquoi nous avons été à l’initiative d’un réseau européen d’Observatoires des multinationales, qui joue un rôle de veille et publie des enquêtes transnationales sur les impacts sociaux et environnementaux des grandes entreprises européennes. Nous participons aussi à la construction de réseaux européens et internationaux d’investigation sur les questions de santé. Nous avons créé avec plusieurs rédactions françaises le Jiec, un groupe de « journalistes d’investigation sur l’écologie et le climat ». Nous avons initié avec l’hebdomadaire Politis un partenariat rapproché, avec notamment l’édition de hors-séries communs.
Nous avons été à l’initiative du projet de Maison des médias libres, qui devrait voir le jour à Paris : un lieu emblématique pour la liberté de la presse, espace de travail pour plusieurs dizaines de médias, porteurs de valeurs d’indépendance et de pluralisme, mais surtout lieu de rencontre entre les médias et leurs lecteurs, où chacun pourra venir s’informer, discuter, travailler, se divertir et s’instruire. Un projet pour réinventer la manière de produire et de diffuser de l’information, en impliquant tous les citoyens.
Construire un récit collectif qui puisse être entendu par le plus grand nombre et qui nous fasse rêver
Nous voulons aller encore plus loin. Les défis sociaux, économiques, écologiques, démocratiques, qui se posent actuellement appellent des réponses ambitieuses. Nous travaillons ainsi depuis quelques mois, avec d’autres médias, à mutualiser nos forces, pour consolider nos modèles économiques souvent fragiles, pour faire entendre davantage notre voix, pour inventer d’autres manières de faire du journalisme, au-delà de nos différences de cultures, d’analyses, de parcours personnels et d’histoires collectives.
Nous avons notamment un rôle à jouer dans la structuration d’alternatives crédibles pour « le monde d’après ». Chercher ce qui nous rassemble, sortir des crispations stériles, qui ne sont pas à la hauteur des défis auxquels nous sommes confrontés. Nous faire écho des choix possibles, cerner les désaccords, organiser les débats, contribuer à construire un récit collectif qui puisse être entendu par le plus grand nombre et qui nous fasse rêver. Nous n’avons pas de temps à perdre.
Cette démarche se veut à la fois très ambitieuse et très pragmatique. Elle se fera surtout à la hauteur des moyens que nous pourrons y mettre. Nous vous reparlerons bientôt de toutes ces dynamiques que nous voulons lancer. Cela ne se fera pas sans vous, ni sans votre soutien. On compte sur vous.
Agnès Rousseaux / Photo : © Jean de Peña