La matinée se termine au pôle multi-accueil de Muël, petite commune de 900 habitants située à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Rennes. Une dizaine d’enfants, âgés de quelques mois à deux ans, s’activent tranquillement, sous le regard attentif de leurs encadrantes. Dans la pièce adjacente, des assistantes maternelles et des parents échangent avec l’animatrice de « l’espace-jeu », ouvert une demi-journée par semaine. « C’est agréable pour les enfants de venir ici, il y a des possibilités de jeux que nous n’avons pas à la maison », témoigne une assistante maternelle. L’un des bambins dont elle a la charge manipule des cubes de bois sous une drôle de fenêtre : elle s’ouvre sur les murs du bâtiments construits … en paille !
« Cet espace, qui accueille pour le moment douze enfants, c’est un projet de la communauté de communes, précise Marcel Minier, le maire de Muël. Nous avons dès le début souhaité que le bâtiment soit écologique, et nous nous sommes vite mis d’accord sur la paille. » Longtemps réservée aux auto-constructeurs, et à quelques particuliers accompagnés de professionnels engagés, la paille est sortie de la confidentialité en 2012 avec la publication de ce que l’on appelle « les règles professionnelles ». Ce document technique qui décrit les conditions dans lesquelles la paille doit être mise en œuvre à un statut « officiel » : il est reconnu par les autres professionnels du bâtiment, par les autorités et par les assureurs.
« La paille est le matériau isolant qui a la plus faible empreinte écologique », souligne Coralie Garcia, co-présidente du réseau français de la construction en paille (RFCP). La paille a en effet un tout petit bilan carbone. « Elle permet de construire des bâtiments passifs et de faire chuter, voire de supprimer, les factures de chauffage. Elle permet aussi de valoriser l’activité agricole. Et de ne pas passer par une usine. Elle est adaptée à tous les bâtiments. » La paille a en plus une durée de vie qui n’a rien à envier au béton : le plus ancien bâtiment au monde construit en ossature bois et en isolation paille a près d’un siècle. Il est situé ... en France !
Paille, terre et chantiers participatifs
« Pour les maîtres d’ouvrage publics (communes, régions, départements), la publication de ces règles professionnelles est un vrai encouragement, estime Coralie Garcia. Ils peuvent s’appuyer sur des textes officiels qui attestent du sérieux du matériau pour aller négocier avec les bureaux d’étude et les assureurs. Généralement, ce sont des entreprises de charpente qui se lancent. » À Muël, c’est une coopérative de la région, Echo-paille, qui a coordonné le chantier, en lien avec une autre entreprise, spécialiste des enduits terre. « Ces deux entreprises ont accepté le jeu des chantiers participatifs, se réjouit Marcel Minier. L’idée de faire participer les habitants au chantier m’est venue suite à l’édification d’un mur en terre pour la bibliothèque. Les gens étaient très intrigués, et je me suis dit que ce serait intéressant de leur proposer de mettre la main à la pâte. »
Une construction en paille comprend une structure en bois, montée sur place, que l’on bourre ensuite de bottes de paille. Elle peut aussi être faîte à partir de murs pré-fabriqués en ateliers, qui arrivent sur le chantier déjà garnis de paille et prêts à poser. A Muël, c’est la première option qui a été retenue. Dix jours de chantier ont été ouverts pour « monter » la paille, et quatre autres pour poser les enduits terre. Une quarantaine de personnes ont participé à ces journées de travail. « Pour les chantiers participatifs, il faut trouver une astuce pour assurer les bénévoles, il faut que ce soit bien fait, il faut bien sûr trouver des bénévoles, et respecter les délais !, décrit Mickaël Laurent, de l’association « Bretagne rurale développement durable » (Bruded), qui a accompagné le projet de Muël. Face à ces difficultés, beaucoup d’élus se disent : on n’y va pas. D’autres vont décider de se lancer quand même et ce faisant, ils ouvrent une brèche. Évidemment, il faut que ces pionniers soient très motivés [1]. »
Une école en paille aux portes de Paris
Ce genre de chantier à la bonne franquette est inimaginable aux portes de Paris. A Montreuil, une école en paille a pourtant été édifiée. « On ne pouvait pas envisager d’avoir des bottes de paille à découvert, raconte Christian Haeckel, l’architecte. À cause des risques d’attitudes malveillantes vis à vis du chantier, des risques incendie, et des intempéries qui auraient pu malmener le matériau. » Les murs sont donc arrivés sur place pré-fabriqués, après avoir été montés, bourrés de bottes de paille et recouverts d’une protection contre la pluie dans les ateliers d’une entreprise située dans la Sarthe. Des essais effectués en 2009, avant la construction de l’école en paille d’Issy-les-Moulineaux, ont en plus montré la très bonne résistance au feu de ce type de construction [2].
Construite sur deux niveaux et s’étalant sur près de 5000 m², l’école Stéphane Hessel-Les Zéfirottes de Montreuil produit plus d’énergie qu’elle n’en consomme. « Le cahier des charges rédigé par la mairie exigeait un bâtiment extrêmement efficace côté énergie. La paille, par ses performances d’isolation exceptionnelle nous est vite apparue comme le matériau le mieux adapté », décrit Christian Hackel. Habillée de douglas et de mélèze, deux essences de bois naturellement imputrescibles qui poussent en France, l’école a ouvert ses portes en septembre 2015. Panneaux solaires pour chauffer l’eau, panneaux photovoltaïques pour produire l’électricité, récupération de l’eau de pluie pour alimenter les toilettes et le jardin : tous les postes ont été conçus pour peser le moins possible sur l’environnement.
Exit le bois exotique
« L’utilisation d’huile végétale pour le chauffage des bâtiments et d’une partie de l’eau ne fait pas l’unanimité, relève Christian Haeckel. Car l’huile est une denrée alimentaire. Mais on espère basculer vers un combustible recyclé, en mettant en place un système de récupération d’huiles de friture. Sachant que les volumes consommés dans l’école ne sont pas très élevés. » À Muël, c’est une chaudière bois qui assure le chauffage des locaux. « Nous avons par ailleurs tenu compte de la santé des enfants, et des professionnelles qui s’occupent d’eux, précise Marcel Minier. Les finitions ont été effectuées avec des matériaux sans formaldéhyde et sans composés organiques volatils, tel que le caoutchouc naturel pour les sols ». Le formaldéhyde a été classé comme « substance cancérogène avérée pour l’homme » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Les composés organiques volatils, utilisés pour les peintures ou les vernis, ne sont pas moins problématiques : ils sont constitués de benzène, d’acétone, ou de perchloroéthylène... [3].
Exit aussi les bois exotiques, souvent utilisés en extérieur pour leurs qualités imputrescibles. À Muël, les clôtures sont en châtaignier, et les placards ont tous été faits par le menuisier de la commune. « Les élus apprécient, dans ces projets, la part belle qui est faite au travail, remarque Mickaël Laurent. On se plaint beaucoup en milieu rural du fait qu’il n’y a pas de travail, et que tout le monde part, mais quand il s’agit de faire des choix constructifs, on ne réfléchit pas assez en terme d’impact sur le travail. Sur les chantiers paille que nous suivons, la main d’œuvre locale est très sollicitée. » Les élus aiment aussi la propreté des chantiers, qui ne nécessitent pas le dépôt de lourdes bennes chargées de déchets, que la collectivité a la charge ensuite de trier. « Ce sont autant de dépenses en moins », note Mickaël Laurent.
Des constructions en paille beaucoup moins cher
Le multi-accueil de Muël a coûté moins de 2000 €/m2 à la communauté de commune, un coût en deçà des constructions « classiques ». En Loire-atlantique, à Bouvron, une école 100% écolo avec des murs en terre crue a coûté à peine plus de 1000 €/m2. « Ce qui en fait l’école la moins chère de France », assurent les élus. « La conception optimisée du nouveau bâtiment et le recours à des matériaux locaux ont contribué au coût de construction très maîtrisé », rapporte l’association « Bretagne rurale développement durable ». Sans compter qu’en coût de fonctionnement, ces bâtiments très performants sont peu onéreux. « Il faut des bâtiments mieux réfléchis, sans fioritures, ajoute Mickaël Laurent. On évite les couloirs inutiles, les hauteurs de plafond qui ne sont là que "pour faire beau", et les formes alambiquées – compliquées d’un point de vue constructif – qui allongent souvent les factures. »
À Montreuil, l’école Stéphane Hessel-Les Zéfirottes a coûté un peu plus de 2600 €/m2, avec un dépassement « classique » de 7% par rapport au budget initial. « C’est un vrai challenge de réussir un ERP (établissement accueillant du public) de 5400 m2 avec des techniques qui ne sont pas du tout courantes, reprend Christian Haeckel. Il y a des confrontations permanentes avec le bureau de contrôle. C’est épuisant. En fait, il faut être meilleur que bon. Tout doit être démontré, prouvé. Nous sommes obligés d’être plus précis dans la conception. La surveillance du chantier est aussi très exigeante. La motivation et la solidarité des élus sont fondamentales. » Il semble plus simple de lancer ce type de chantiers en milieu rural, où les ouvrages sont souvent moins grands, et les liens plus étroits entre élus et professionnels.
« Mais si les projets se multiplient aujourd’hui, c’est parce que des élus pionniers ont osé se lancer avant que des règles n’existent, remarque Mickaël Laurent. Ils ont dû batailler à chaque étape : pour le lancement des appels d’offre, pour les évaluations des performances de la paille, pour les négociations avec les assureurs... Il fallait qu’ils soient vraiment sûrs d’eux pour ne pas se décourager. » À chaque fois que quelqu’un fait un pas, il en entraîne d’autres avec lui. « Pour construire en paille, il faut oser changer les habitudes et revoir sa façon de travailler, conclut Coralie Garcia, C’est tellement simple de faire venir une toupie et de couler du béton... . »
Nolwenn Weiler
– Reportage photos : L’école en paille Stéphane Hessel-Les Zéfirottes à Montreuil (Seine-Saint-Denis) / © Jean de Pena - Collectif à-vif(s)
Article réalisé dans le cadre d’un dossier sur les alternatives en Île-de-France, en partenariat avec l’association Attac.