On en Agro

Eau polluée par les pesticides : l’agro-industrie gagne du temps

On en Agro

par Nolwenn Weiler

Entre Bretagne et Pays de la Loire, plus de 90 % de l’eau est en très mauvais état à cause des pesticides. Mais il semble urgent de ne rien changer.

Nier le réel, jouer la montre, répéter que le système conventionnel est la seule solution. Cette stratégie maintes fois éprouvée des défenseurs de l’agriculture industrielle continue de faire recette. Cela se vérifie à l’échelon national – avec le vote tout récent d’une loi d’orientation agricole hors sol – mais aussi à l’échelon local, autour de la question de l’eau.

L’édito de Nolwenn Weiler
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Une récente enquête de Greenpeace révèle ainsi comment les lobbies agricoles manipulent la gestion de l’eau avec la complicité de l’État, et notamment au sein des commissions locales de l’eau (CLE). Ces instances de gouvernance locales – qui réunissent des élus, des usagers et des représentants des services de l’État – ont la lourde tâche de définir les usages de l’eau, son partage et d’anticiper la disponibilité de la ressource (état des nappes et cours d’eau, risque de sécheresse, niveau de pollution...). Cette planification à très grande échelle est compilée dans les schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (les Sage).

Pour saisir ce que signifient concrètement les manipulations et atermoiements qui ont cours au sein de ces commissions locales, on peut se pencher sur ce qui se passe depuis trois ans dans les négociations du Sage Vilaine. À cheval sur deux régions (la Bretagne et les Pays de la Loire), avec une surface de plus de 10 000 km², c’est le plus grand schéma d’aménagement de France. La tâche de planification est donc conséquente, et les défis immenses, car l’un des objectifs du Sage est le bon état de la ressource. Or, sur le territoire concerné, plus de 90 % de l’eau est en mauvais, voire très mauvais état, en grande partie à cause des pesticides.

Pour remédier à ce problème, qui entraîne des coûts de dépollution astronomiques en plus d’importants soucis de santé publique, une proposition émerge, soutenue par des dizaines d’élu.es locaux de tous bords politiques : celle d’arrêter de traiter le maïs sur les aires de captage de l’eau potable. Pour signifier leur vigilance sur cette question, des citoyennes décident à l’été 2024 d’assister aux débats des CLE du SAGE Vilaine en « auditeurs silencieux ». La FNSEA répond par une démonstration de force avec une grande manifestation début décembre, dénonçant des mesures « extrêmement contraignantes pour l’agriculture et sa pérennité ».

La réunion suivante, qui se tient le 5 décembre, atterre les associations, qui entendent parler de dérogations diverses à l’interdiction des pesticides, et du besoin de temps des agriculteurs pour qui le changement de modèle serait impossible. Inquiètes, ces associations adressent un courrier aux élu.es leur demandant de tenir bon, et organisent à leur tour une manifestation. Résultat : les commissions locales leur ferment la porte et se tiennent à huis clos ! « Qui a pris cette décision ? A quelles pressions avez-vous cédé ? », ont demandé des citoyens au président de la CLE, sans obtenir de réponse à ce jour.

Les associations sont d’autant plus interloquées que la mesure qui suscite tous ces débats ne concerne qu’une infime partie de la surface agricole utile – avec une échéance très lointaine : 2040 – et une culture unique, le maïs, essentiellement destiné à l’alimentation des animaux et à l’export. De plus, le désherbage mécanique, c’est à dire sans pesticides, du maïs semble fonctionner : en Ille-et-Vilaine, 6000 hectares sont ainsi désherbés chaque année, quelle que soit la météo. Mais qu’importe le réel, ce qui compte c’est de gagner du temps.