Cet article a initialement été publié dans le journal Lutopik (voir en dessous de l’article).
La pluie s’abat sur le stade Baratte, à Fives. Il est 19h. Une cinquantaine de footballeurs s’échauffent, bien décidés à braver les gouttes et le froid. Devant le vestiaire, un jeune homme s’interroge : « C’est bien ici, le Spartak lillois ? » La nouvelle année et ses bonnes résolutions ont attiré de nouvelles recrues. Laurent, un habitué, les encourage à enfiler leurs crampons et à le rejoindre sur la pelouse. « Ici, c’est pas le même esprit qu’ailleurs, lance-t-il. Si on vient au Spartak, c’est pas seulement pour le prix, c’est pour l’ambiance. »
Comme Laurent, les membres du club lillois ne paient qu’un euro par mois pour taper le ballon. Un tarif symbolique qui permet à tous de venir jouer. Ceux qui le veulent peuvent payer la licence loisir – 50 euros, dont 35 versés à la Fédération française de football, le reste étant utilisé pour financer les déplacements – qui permet de participer aux compétitions départementales organisées par la ligue. Mais les licenciés sont rares, au Spartak. « Une vingtaine tout au plus », précise Benjamin Vandekerckhove, co-président et fondateur de l’association. « Nous stagnons dans les profondeurs du classement de l’avant dernier groupe, mais pour nous, l’essentiel est ailleurs. »
Un club ouvert à tous
En 2010, Benjamin, alors étudiant à Lille III, la faculté de lettres, a envie de se remettre au sport. Plutôt que d’intégrer un club existant, il décide, « avec deux ou trois amis », de lancer un club de foot militant, plus raccord avec ses principes. « On voulait qu’il soit ouvert à tous, que le sport soit gratuit, non-élitiste, sans niveau et non-machiste », explique le Lillois de 29 ans, par ailleurs militant communiste. « Dès le début, on a rédigé un manifeste avec nos valeurs, en réaffirmant le fait d’être anti-raciste. L’idée, c’est qu’il y ait ici une place pour tous. »
Sur le terrain, aucune fille dans l’équipe de football, mais des joueurs de tout âge et de tous niveaux. Au total, près de 70 personnes, la quasi-totalité des adhérents, viennent chaque semaine aux entraînements libres. Il n’y a pas d’entraîneur, chacun s’échauffe à son rythme avant d’enchaîner les matches. « On ne compte même pas les points ! », lance le co-président, qui refuse tout esprit de compétition. « Le but de l’association, c’est de participer », précise Benjamin Vandekerckhove. « Cela peut être en lavant les chasubles, en ramenant les ballons ou en prenant une initiative pour proposer un échauffement ou un entraînement. »
Contre le foot-business
Avec leur T-shirt rouge ou noir orné d’un casque de gladiateur, en hommage à Spartacus, l’esclave qui s’est révolté, les membres du Spartak souhaitent avant tout revenir aux bases du sport, loin des enjeux financiers. En 2015, ils ont profité de la démission de Sepp Blatter pour présenter leur candidature à la présidence de la Fédération internationale de football (Fifa) qu’il présidait, alors empêtrée dans des affaires de corruption. Une action symbolique, car impossible à mener aussi bien sur le plan financier que sur le plan technique. « Le but, c’était de lancer le débat sur les véritables valeurs du sport et le business du ballon rond. »
Pour le Spartak, le terrain ne s’arrête pas aux stades et aux salles de sport. Ils investissent aussi le quartier et la ville de Lille, où ils mènent chaque année de nombreuses actions. Roms, sans papiers, enfants, chacun est invité à participer aux tournois du club, qu’il s’agisse de football ou de Mölkky. Lorsqu’il participe à la course de la braderie de Lille, le Spartak brandit des slogans de solidarité avec la Palestine. Il n’a pas hésité non plus à signer un appel contre un mouvement d’extrême-droite et à se joindre aux rangs d’une marche contre le racisme. « On estime être légitimes sur ces sujets. Les membres de l’association ne font pas que jouer », souligne Benjamin Vandekerckhove. Les adhérents ont connaissance de la charte militante du club, mais il n’y a bien sûr aucune obligation à rejoindre les manifestations. Tout repose sur le volontariat.
Du basket et du football « triolectique »
En 2013, face à la demande, le Spartak a choisi d’élargir ses activités, et n’a depuis cessé de grandir. Aujourd’hui, le club lillois propose une dizaine de disciplines. Parmi elles, du basket, du handball, du volley-ball, du badminton, du fitness et, depuis 2016, du football triolectique. « On le joue avec trois équipes et trois buts. Ça casse le côté binaire du foot et ça fait réfléchir sur la collaboration et l’affrontement, explique Benjamin. Quand on repense aux débuts de l’association, on a parcouru un beau chemin. »
Mais obtenir des salles reste compliqué. Pour le basket, « cela nous a pris trois ans, avant d’en avoir une ». Idem pour le stade de football. Les autres associations ne voient pas forcément d’un bon œil l’existence du Spartak et n’apprécient pas de se voir retirer des créneaux horaires. « Encore aujourd’hui, nous ne sommes pas considérés comme une association sportive au même titre que les autres », déplore Benjamin Vandekerckhove. « Si on obtient un ou deux créneaux en plus, cela veut dire qu’une autre structure en aura un ou deux en moins... On essaie de tout faire pour ne pas tomber dans une opposition stérile entre les structures. » Devant le refus de la ville cette saison de leur octroyer deux créneaux pour le football (c’était le cas pour la saison 2015-2016), le Spartak a décidé de jouer tous ses matchs de championnat loisir à l’extérieur. « Cela nous permet de garder une séance par semaine ouverte à tous ceux qui n’ont pas de licence. »
Gestion collégiale et apprentissage par pair
À quelques pas du métro Caulier, la salle Louison Bobet est bondée. Une quarantaine de personnes participent à la première séance de basket de l’année. Les ballons sifflent et se cognent aux paniers. Le son d’un vuvuzela retentit. Benjamin profite du silence pour expliquer le déroulement de la séance aux nouveaux arrivants et rappeler brièvement les valeurs du Spartak. Derrière une table, Matthieu, lui aussi co-président, récolte les cotisations dans une boîte métallique. « Lors de la dernière assemblée générale, en mars 2016, on a décidé de remplacer le bureau et son président par une assemblée collégiale. Cela correspond plus à notre philosophie », précise Matthieu tout en distribuant les cartes d’adhésion. Désormais, ils sont douze à se réunir régulièrement, au café ou chez l’un d’eux, pour gérer l’association et les événements qu’elle organise. « Douze, c’est un début. On ne s’est pas fixé de limite. »
Sous les paniers, des filles, des garçons, des ados, des quinquagénaires. De par cette diversité, le basket-ball est sans doute plus représentatif encore des valeurs du Spartak que le football. Meissa, qui connaît un peu ce sport, a proposé de commencer la séance par 30 minutes d’échauffements. « On fonctionne sur l’apprentissage par pair », explique Benjamin Vandekerckhove. C’est d’ailleurs l’un des points qui a permis au Spartak d’être lauréat de l’Agence pour l’éducation par le sport en 2014.
Pour un sport solidaire et populaire
Le prix, l’ouverture, l’absence de test de niveau : les valeurs du Spartak ont rapidement séduit Jérôme et ses collègues. Tous travaillent près de Fives, bien qu’ils ne résident pas tous à Lille. « On voulait faire un truc ensemble. On est venus à la rentrée, pour tester. On s’est dit : "On reste !" » Depuis, ils viennent presque chaque semaine. « Ce qui est bien ici, c’est que quand quelqu’un fait une belle action, même dans l’équipe d’en face, on l’applaudit. »
A un euro par mois, difficile pourtant d’avoir des fonds. « L’unique subvention fixe, c’est celle de la mairie de Lille, soit 500 euros », déplore Benjamin Vandekerckhove. Désormais attaché parlementaire à Douai, le fondateur du Spartak est parvenu à obtenir une part de l’enveloppe du député avec lequel il travaille. Deux autres élus de la région ont déjà versé une aide grâce à leur réserve parlementaire, mais celle-ci ne peut être utilisée qu’une seule fois.
« On répond régulièrement à des appels à projet, mais c’est difficile. Et nous ne voulons pas non plus rentrer dans une "course à la subvention". L’idéal, ce serait de professionnaliser l’association, avec un mi-temps, par exemple. » Un tel poste permettrait au Spartak de trouver le temps nécessaire pour multiplier ses interventions dans les écoles du quartier et de la ville. Et de continuer de démontrer que l’espace public appartient à tous, et que le sport peut être solidaire et populaire, associé au loisir plutôt qu’au business.
Aude Deraedt, pour Lutopik
– Le site web du Spartak lillois
Cet article est tiré du dernier numéro du journal Lutopik, dont Basta! est partenaire. Retrouvez son sommaire et ses articles en cliquant ici.