Présidentielles

Elections aux Etats-Unis : l’argent du CAC 40 irrigue toujours les candidats climato-sceptiques

Présidentielles

par Olivier Petitjean

Il n’y a pas que les élections présidentielles qui se tiennent le 8 novembre prochain aux États-Unis. De nombreux sièges au Sénat et à la Chambre des représentants sont à renouveler, avec des enjeux politiques tout aussi importants, notamment en matière de climat. Les entreprises françaises implantées de l’autre côté de l’Atlantique se tiennent soigneusement à l’écart du sulfureux candidat républicain Donald Trump. Mais si l’on regarde du côté du Congrès, elles affichent une nette préférence pour le Parti républicain. Les « comités d’action politique » créés dans leur giron continuent de financer des candidats climato-sceptiques.

Les grandes entreprises françaises participent à leur manière aux élections états-uniennes. Lors de la réélection de Barack Obama en 2012 puis du scrutin de mi-mandat de 2014, Basta! vous montrait quels candidats bénéficiaient des faveurs des dirigeants des grands groupes hexagonaux, via leurs political action committees (PACs), des comités qui servent à financer des campagnes électorales (lire ici : Ces groupes français qui aimeraient se débarrasser d’Obama et financent l’ultra-droite américaine). Depuis la décision Citizens United rendue par la Cour suprême en 2010, il n’existe plus vraiment de limites au financement privé des campagnes électorales aux États-Unis. Milliardaires, entreprises ou associations professionnelles peuvent récolter de l’argent pour les candidats les plus favorables à leurs intérêts.

Lors des précédentes élections présidentielles, ce soutien financier s’est porté majoritairement vers le camp républicain, soit Mitt Romney pour la Maison Blanche et les candidats du Grand Old Party à la Chambre des représentants et au Sénat. De nombreux candidats défendant des positions rétrogrades en matière d’immigration, de religion, de sexualité, d’armes à feu, et de protection de l’environnement ont été soutenus par les secteurs de la finance (Axa, BNP Paribas, Société générale), de l’énergie (GDF Suez, Areva), de l’industrie (Lafarge, Airbus, ArcelorMittal) et de la pharmacie (Sanofi).

Cette année, les political action committees créés dans le giron d’entreprises françaises sont toujours actifs. Avec ce système des political action committees, ce sont les employés des firmes, principalement leurs dirigeants, et non directement les firmes elles-mêmes, qui apportent des contributions financières. Celles-ci sont ensuite redistribuées aux caisses de campagne des candidats [1]. Ces PACs demeurent le plus souvent alignés sur les intérêts des firmes. Le profil sulfureux de Donald Trump a-t-il modéré leurs ardeurs ?

Pour la présidentielle, un soutien plus franc à Hillary Clinton

Les positions et propos du candidat républicain à l’élection présidentielle, qui était jusqu’à maintenant distancé dans les sondages, a dissuadé nombre de donateurs traditionnels des Républicains de s’afficher ouvertement à ses côtés. D’autant qu’en plus de ses diatribes contre les immigrés et les musulmans ou des accusations de harcèlement sexuel, il s’avère que le candidat Trump n’est pas des plus orthodoxes du point de vue économique. Ses prises de positions contre les accords de libre-échange ou les rémunérations stratosphériques des patrons marquent une rupture avec plusieurs dogmes néolibéraux. Et l’ont entraîné dans une guerre ouverte avec l’US Chamber of Commerce, principal lobby des multinationales américaines.

A l’image de leurs homologues américaines, les entreprises françaises plébiscitent donc plutôt la candidature de Hillary Clinton. Selon les derniers chiffres disponibles [2], le political action committee d’Axa a ainsi versé 75 000 dollars à la campagne de la candidate démocrate, ceux de Sanofi et de Vivendi environ 35 000 dollars, celui de BNP Paribas près de 30 000 dollars. Tous, sauf Vivendi, privilégiaient quatre ans plus tôt le candidat républicain. Les sommes versées par les PACs proches des firmes françaises à la campagne de Donald Trump sont beaucoup plus modestes. Lors des primaires des Républicains, le candidat préféré du grand patronat français était clairement Jeb Bush, représentant de l’establishment républicain, qui a rapidement été éliminé.

Total des contributions pour 2016 (USD)ClintonTrumpBushSanders
Sanofi 1 196 025 34 813 2 391 9100 6 277
Axa 518 453 75 822 1 638 17 250 2 434
Vivendi 242 872 34 961 3 727
Airbus 232 999 745 360 1 700 344
Areva 187 521 250 248 1 755
BNP Paribas 154 746 28 774 750 8 100 7 794
Société générale 104 135 16 683 280 48 350* 1 257
Engie 94 871
ArcelorMittal 93 603 5281 1996 8 989
LafargeHolcim 90 905 723 270 134
Alcatel 83 949 4 291 1 268 250 6 156
Arkema 69 472 3 330 280 587
Danone 61 359 5 609 150
Solvay 51 926 285
Safran 51 539 460 250 650
Louis Dreyfus 49 674 2 524 250
Sodexo 43 227 15 984 650 3 425
BPCE 41 437 5 650 80 106
Air Liquide 38 765 2 402 325 2 162
Suez 35 975 875
EDF 29 487 1850 350
Publicis 26 926 10 278 714
Michelin 23 628 250 678

Sommes en dollars versées par les comités d’action politique créés dans le giron des grandes firmes françaises aux candidats aux élections présidentielles et législatives états-uniennes, dont celles ayant servi à soutenir les principaux candidats aux primaires républicaine et démocrate. Source : OpenSecrets.org [3].

Petite curiosité de ce tableau : le soutien non négligeable, de la part d’entreprises comme Sanofi ou BNP Paribas, à Bernie Sanders, le rival de Hillary Clinton à la primaire démocrate, étiqueté à gauche. Des chiffres a priori étonnants, car en apparente contradiction avec la prédilection de ces firmes pour les candidats républicains. Ce « soutien » peut s’expliquer de deux manières : un appui sincère de certains employés des multinationales à la volonté de régulation portée par Sanders ; ou une manière de nuire, indirectement, à Hillary Clinton en finançant son rival. Durant la primaire démocrate, certains groupes pro-républicains n’ont pas hésité à soutenir activement le premier contre la seconde, dans l’espoir d’affaiblir celle-ci.

Au Sénat et à la Chambre, un penchant prononcé pour les Républicains

Si la campagne présidentielle focalise l’attention, d’autres scrutins locaux et nationaux non moins décisifs auront lieu en même temps ce mardi 8 novembre. De nombreux sièges au Sénat et à la Chambre des représentants doivent être renouvelés. Les Démocrates semblent favoris pour reconquérir la majorité sénatoriale qu’ils ont perdu en 2014 – la Chambre des représentants, elle, resta très probablement républicaine. Nos champions français n’y ont pas les mêmes inhibitions que pour la campagne présidentielle. Les PACs proches de Sanofi, Airbus, Areva, LafargeHolcim, Solvay, Louis Dreyfus ou Michelin consacrent 70% des sommes récoltées aux candidats républicains. Ceux d’Axa, Safran ou Engie les soutiennent aux deux tiers. Au contraire ceux de Publicis et Danone se distinguent, avec respectivement 8% et 0% de financement vers des candidats républicains (voir le tableau ci-dessous).

Total des contributions aux campagnes 2016 Total des contributions pour les élections au CongrèsPourcentage des contributions en faveur des Républicains
Airbus 232 999 191 179 85,6 %
Michelin 23 628 19 050 84,3%
Louis Dreyfus 49 674 38 650 81,2%
Solvay 51 926 36 405 80,1%
LafargeHolcim 90 905 84 912 73,9%
Areva 187 521 116 833 72,8%
Sanofi 1 196 025 668 555 70%
Safran 51 539 46 329 66,8%
Axa 518 453 318 204 66,2%
Engie 94 871 87 021 65%
Air Liquide 38 765 26 408 62,5%
Arkema 69 472 64 812 61,3%
Suez 35 975 24 600 57,3%
ArcelorMittal 93 603 78 968 55%
Société générale 104 135 8 757 54,2%
BPCE 41 437 24 707 54%
EDF 29 487 21 350 51,5%
Alcatel 83 949 40 308 47,2%
Vivendi 242 872 131 816 41,3%
Sodexo 43 227 11 774 36,1%
BNP Paribas 154 746 99 898 33,6%
Publicis 26 926 11 866 8,7%
Danone 61 359 35 750 0%

Source : OpenSecrets.org

Des financements moins visibles pour Donald Trump ?

Les sommes versées par les PACs des entreprises françaises restent modestes, à quelques exceptions près, comparé à l’argent mobilisé par les firmes américaines. Les political action committees ne représentent qu’une faible proportion de l’argent circulant dans les campagnes de 2016. Des groupes plus opaques, comme ceux dits « 501(c)(4) » – du nom de l’article du code des impôts dont ils relèvent – occupent une place plus importante, sans avoir à révéler le nom de leurs contributeurs au contraire des PACs. Les associations professionnelles – dont sont membres les firmes françaises – jouent également un rôle crucial. Des structures comme l’American Bankers Association (finance), PhRMA (médicament) ou l’American Petroleum Institute (pétrole et gaz) financent toutes des candidats républicains, sans que la source exacte de leur argent soit rendue publique. Un moyen commode pour les entreprises de soutenir discrètement des candidats.

L’American Petroleum Institute a ainsi donné plus d’un million de dollars à la Convention républicaine de Cleveland, c’est-à-dire au candidat Trump, alors que la plupart des sponsors traditionnels ont déserté l’événement. Au conseil d’administration de ce groupe siège un cadre dirigeant de Total, Jean-Michel Lavergne. La firme pétrolière française est très concernée par la poursuite – ou non – du développement du gaz de schiste et des sables bitumineux en Amérique du nord, ainsi que des projets d’oléoducs et de terminaux méthaniers qui l’accompagnent [4]. Une option stratégique pour laquelle il vaut mieux avoir le maximum de Républicains au Congrès, si ce n’est à la Maison blanche. Le Grand Old Party continue de refuser massivement toute action ambitieuse en matière climatique. Nombre de ses candidats sont des climato-sceptiques revendiqués.

Le climato-scepticisme, une option encore d’actualité

Le soutien apporté par les PACs des entreprises françaises à certains candidats relève de critères plus complexes qu’un simple choix partisan. Elles privilégieront par exemple les candidats des États où elles sont implantées, ou ceux qui siègent au sein de comités stratégiques de la Chambre ou du Sénat. Nos firmes tricolores financent cependant de nombreux candidats qui défendent des valeurs totalement opposées à celles qu’elles affichent dans leur communication publique et dans leurs politiques de « responsabilité sociale ». La preuve avec le climat.

Parmi les bénéficiaires, on trouve une proportion significative de candidats climato-sceptiques [5] (voir le tableau ci-dessous). Ce sont les PACs liés à Engie (ex-GDF Suez) et à Solvay (ex-Rhodia) qui se distinguent, en consacrant près de la moitié de leurs financements au profit de négateurs du changement climatique ! Parmi ces derniers, Joe Barton, congressiste du Texas (14 500 dollars du PACs d’Engie), a qualifié les déclarations de l’ancien vice-président d’Al Gore sur le climat de « totalement fausses ». Ou encore Marsha Blackburn, du Tennessee (10 000 dollars de Sanofi) pour laquelle les travaux du GIEC – le groupe d’experts sur le climat des Nations Unies – sont une tentative « d’intimider les citoyens et les législateurs pour qu’ils soutiennent des taxes sur l’énergie destructrices d’emplois ».

Entreprises françaises et part des financements accordés à des candidats climato-sceptiques :

Nombre de candidats soutenus au CongrèsNombre de candidats climato-sceptiques soutenusFinancement total pour les élections au CongrèsPourcentage du financement à des climato-sceptiques
Solvay 18 7 36 405 46,7%
Engie 30 14 87 021 46,6%
LafargeHolcim 28 10 84 912 39,2%
Michelin 16 5 19 050 37%
Axa 119 28 318 204 31,5%
ArcelorMittal 44 13 78 968 31%
Sanofi 179 52 668 555 29,3%
Airbus 65 19 191 179 28,8%
Areva 38 10 116 833 27,5%
Suez 13 3 24 600 22,4%
Vivendi 33 9 131 816 17,8 %
BNP Paribas 40 6 99 898 15%
EDF 12 1 21 350 14%
Société générale 10 1 8 757 5,7%

Source : OpenSecrets.org

Le phénomène n’est pas l’apanage des multinationales françaises. Nombre de grandes firmes américaines, qui ont soutenu publiquement l’action du président Obama en matière de climat, comme PepsiCo ou Google, continuent de financer des climato-sceptiques, analyse ainsi l’agence Reuters. Engie – dont l’État français détient 33% des actions – n’a cessé depuis un an de promouvoir publiquement sa conversion à la transition énergétique. Quant à Solvay, elle est dirigée par Jean-Pierre Clamadieu, présenté comme l’un des patrons les plus « avancés » sur la question du climat… sauf en ce qui concerne le gaz de schiste, dont il s’est fait le promoteur.

La COP21 et les grands discours patronaux en faveur de la sauvegarde du climat semble déjà bien éloignés. La poursuite de ces financements au climato-scepticisme n’est pas de bon augure pour les campagnes électorales qui se profilent en France, déjà marquées par une surenchère à droite. Nicolas Sarkozy a choisi de franchir le pas en minimisant ouvertement la responsabilité humaine en matière de réchauffement climatique. Une intervention réalisée devant un parterre de patrons et d’hommes d’affaires réunis par l’Institut de l’entreprise, un think-tank néolibéral financé par tous les grands noms du CAC40.

Olivier Petitjean

Photo : CC Gage Skidmore

Notes

[1Certaines entreprises se défendent en précisant que ces financements relèvent de la responsabilité de leurs employés. En réalité, ce sont principalement les cadres dirigeants qui alimentent les PACs.

[2Nous nous basons comme pour nos enquêtes précédentes sur les données compilées par le site indépendant OpenSecrets.org, consulté le 24 octobre 2016. Ce ne sont pas les chiffres définitifs de la campagne, qui ne seront connus qu’en fin d’année.

[3Note * : Cette somme inclut 40 000 USD versés non à la campagne électorale de Jeb Bush directement mais à son PAC « Right to Rise USA ».

[4Total vient d’acquérir 75% des parts restantes du gisement de gaz de schiste texan dont elle détenait jusqu’à présent 25%.

[5Selon la liste établie par le groupe Organizing for Action, créé par des assistants de Barack Obama.