On vote le 9 juin pour renouveler le Parlement européen. En France, les sondages donnent le Rassemblement national (RN) en tête. Le parti d’extrême droite a aujourd’hui 18 député s au Parlement européen, mais pourrait en avoir 27 après le scrutin. Le RN fait partie d’un des deux groupes politiques d’extrême droite à Bruxelles et Strasbourg : Identité et démocratie, qui abrite aussi les élu es du parti allemand AfD (9 élu es), du parti italien Lega de Matteo Salvini (23), du FPÖ autrichien (3), du Vlaams Belang belge (3), ainsi qu’un élu estonien, un tchèque et un danois.
Un autre groupe rassemble divers partis à la droite de la droite : celui des Conservateurs et réformistes européens (ECR). Il est composé des élu
es polonais du PiS (25 élu es), du parti de la Première ministre italienne Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia (10), de l’extrême droite espagnole de Vox (4), des Démocrates de Suède (3) et de deux élus finlandais.La droite traditionnelle se retrouve de son côté au sein du Parti populaire européen (PPE), les socialistes et sociaux-démocrates au sein de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates (SD), la gauche de la gauche dans le groupe Gauche unie européenne, les partis écologistes dans un groupe vert, et les libéraux dans le groupe Renew (dont fait partie Renaissance pour la France).
Le parti de Viktor Orbán au pouvoir en Hongrie sans interruption depuis 2010, le Fidesz (12 élu
es), qui a aussi des positions très à droite en Hongrie et au niveau européen, a été exclu du Parti populaire européen en 2021. Il siège depuis seul, sans être rattaché à aucun groupe.L’extrême droite en tête dans quatre pays
Il n’y a pas qu’en France que l’extrême droite risque d’enregistrer des scores très élevés à ces élections européennes. Elle est aussi en tête des sondages en Autriche (pays qui envoie ceci dit peu d’élu
es au Parlement européen) et aux Pays-Bas, où le parti de Geert Wilders pourrait décrocher neuf sièges, contre zéro aujourd’hui. En Italie, Fratelli d’Italia pourrait doubler son nombre d’élu es, mais surtout au détriment de la Lega qui en aurait deux fois moins. Au Portugal, le nouveau parti d’extrême droite Chega, qui a déjà fait une percée aux élections législatives dans le pays en mars (avec 18 % des voix, en troisième position) devrait faire son entrée au Parlement européen et venir renforcer le groupe ID.« Les partis d’extrême droite pourraient arriver en tête en France, en Italie, en Hongrie, aux Pays-Bas ou encore en Belgique et percer en Allemagne, en Espagne ou au Portugal. Leurs deux groupes – Identité et démocratie, dont fait partie le Rassemblement national, et les Conservateurs et réformistes, qui comptent Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni et Reconquête d’Éric Zemmour – pourraient connaître un essor sans précédent au Parlement européen », alerte une note de la fondation Jean-Jaurès, qui pointe les effets dévastateurs que cette progression de l’extrême droite aurait sur « la transition écologique européenne ».
Car ces différents partis votent en majorité contre les mesures du Pacte vert européen, ce programme ambitieux lancé en 2019 pour faire atteindre à l’Union européenne la neutralité carbone d’ici à 2050. Le porte-parole d’Identité et démocratie, l’élu italien de la Lega Marco Zanni, qualifie ainsi le Pacte vert de « croisade verte » et vilipende un supposé « fanatisme écologique extrême d’individus comme Timmermans » (Frans Timmermans étant vice-président de la Commission européenne).
Des partis qui votent contre la transition écologique
En septembre 2023, quand le Parlement européen adopte à une large majorité l’accélération du développement des énergies renouvelables sur le continent, le Rassemblement national, l’AfD allemande, le PiS polonais, les Démocrates de Suède, la Lega italienne, le Vlaams Belang belge et le FPÖ votent tous contre. Les élu es de Fratelli d’Italia s’abstiennent ou bien ne viennent pas au vote, pour la moitié du groupe, tous ceux du Fidesz hongrois. Dans tous les autres groupes, dont la droite du PPE, la très grande majorité vote pour le développement des énergies renouvelables afin de lutter contre le changement climatique.
L’extrême droite européenne s’oppose aussi à la protection de la biodiversité. En février dernier, le Parlement européen a adopté un règlement européen pour « restaurer la nature ». Le texte veut restaurer au moins 20 % des écosystèmes (forêts, prairies, zones humides, rivières, lacs et fonds coralliens…) de l’Union européenne d’ici 2030, et leur quasi-entièreté d’ici 2050. Le RN, la Lega, l’AfD, le FPÖ, le Vlaams Belang, Fratelli d’Italia, Vox, le PiS, les Démocrates de Suède… votent contre, en chœur. Le Fidesz en revanche vote pour.
En novembre 2023, le Parlement européen s’est prononcé sur un plan de réduction des pesticides. Mais la réglementation, prévoyant une baisse de moitié de l’usage des pesticides d’ici à 2030 a été rejetée. À l’extrême droite, aucun des partis n’en voulait : Fratelli d’Italia s’est abstenu, le PiS a voté contre ou s’est abstenu comme le FPÖ et le Fidesz, Vox a voté contre, les Démocrates de Suède aussi, tout comme l’AfD, la Lega, Vlaams Belang et le RN. Ici, les groupes des Verts et de la Gauche unie ont aussi voté contre, mais pas pour les mêmes raisons. Pour eux, ce règlement avait été trop affaibli par les amendements introduits par le Parti populaire européen (PPE, droite) et n’était plus assez ambitieux pour qu’ils le soutiennent.
Ces amendements réduisaient par exemple les restrictions sur l’utilisation des pesticides dans certaines zones sensibles. Le PPE avait également refusé tout renvoi en commission parlementaire chargée de l’environnement. Pour la rapporteuse du texte, l’écologiste allemande Sarah Wiener, ce vote était un « coup dur » pour la protection de l’environnement et de la santé publique. Elle avait dénoncé une « alliance entre l’extrême droite, les conservateurs et les libéraux » qui est parvenue à « annihiler la position du Parlement ».
En avril 2023, les eurodéputé⸱es ont validé la création d’un mécanisme visant à éviter la pollution importée dans l’UE. C’est le « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières », parfois qualifié de « taxe carbone » aux frontières. Celle-ci doit taxer plus durement les produits fabriqués hors de l’UE qui ne respectent pas les mêmes obligations environnementales. Il s’agit donc d’une mesure protectionniste pour contrer la concurrence déloyale des entreprises non européennes et favoriser les produits fabriqués dans des conditions plus respectueuses pour l’environnement.
Là encore, les partis d’extrême droite s’y opposent dans leur quasi-totalité. Le PiS vote contre, avec Vox, les Démocrates suédois, l’AfD, et le FPÖ. La Lega italienne s’abstient aux côtés du RN et du Vlaams Belang belge. Fratelli d’Italia en revanche vote pour, comme les élu⸱es du parti hongrois d’Orbán le Fidesz.
En ordre dispersé sur la protection de la forêt
Sur d’autres votes, les partis d’extrême droite s’opposent les uns aux autres, même au sein d’un même groupe. C’est le cas de la lutte conte la criminalité environnementale. En février, le Parlement adopte un accord final sur la directive relative à la criminalité environnementale. Celle-ci définit une liste précise d’infractions pénales : commerce illégal du bois, épuisement des ressources en eau, violation de la législation européenne sur les substances chimiques, pollution causée par les navires…
Le texte durcit aussi les peines. Les auteurs d’infractions seront tenus de restaurer l’environnement dégradé et de compenser les dégâts occasionnés. Et s’exposeront à des amendes, voire des peines de prison. Ici, l’AfD vote contre avec presque toute l’extrême droite européenne, dont Fratelli d’Italia, la Lega, le FPÖ, Vox et le PiS. Mais le RN, lui, vote pour, avec le Fidesz hongrois.
Les partis d’extrême droite votent également en ordre dispersé en avril 2023, quand le Parlement adopte une nouvelle législation contre la déforestation. Celle-ci oblige les entreprises à s’assurer que les marchandises vendues dans l’UE ne causent pas de déforestation, ni ici ni ailleurs. Dans le groupe ECR, Vox s’abstient, les Démocrates de Suède votent contre, quand Fratelli d’Italia et le PiS sont pour. Au sein du groupe ID, l’AfD, le FPÖ et le Vlaams Belang sont contre, mais le Rassemblement national vote pour, quand d’autres députés indépendants de l’extrême droite française s’abstiennent.
Contre le droit des femmes à disposer de leur corps
Les extrêmes droites européennes apparaissent en revanche unies contre le droit des femmes à disposer de leur corps. En juillet 2022, les eurodéputé⸱es adoptent une résolution pour affirmer leur attachement au droit à l’avortement en Europe et la nécessité de le protéger. Aucun parti de l’extrême droite européenne n’a voté en faveur de la résolution. Seul un député des Démocrates de Suède a voté pour, les deux autres se sont abstenus. Vox, l’AfD, Vlaams Belang, Fratelli d’Italia, Lega, votent contre. Les élu⸱es du PiS, qui a encore réduit l’accès à l’IVG quand il était au pouvoir en Pologne, votent contre, sans surprise. Le Fidesz vote contre ou est absent. L’ensemble du groupe RN est absent lors du vote.
En avril, une nouvelle résolution du Parlement appelle à inclure le droit à l’avortement dans la charte des droits fondamentaux de l’UE. Elle est adoptée, mais sans les voix de l’extrême droite. Fratelli d’Italia vote contre, avec le PiS, Vox, l’AfD, la Lega, le FPÖ et le Vlaams Belang. Les Démocrates de Suède s’abstiennent. Le RN s’abstient ou ne prend pas part au vote.
Refus de lutter contre l’homophobie et la transphobie
En avril également, les eurodéputé⸱es ont aussi décidé dans leur majorité de s’exprimer en faveur de la dépénalisation universelle de l’homosexualité et de la transidentité. Ici, presque tous⸱tes les député⸱es RN français⸱es ont voté pour. Mais pas le reste de l’extrême droite européenne. Le Fidesz est absent lors du vote, Vox aussi. Les Autrichiens du FPÖ et les Belges de Vlaams Belang choisissent de s’abstenir. Fratelli d’Italia, la Lega, le PiS et l’AfD votent contre.
Du côté de ce parti d’extrême droite allemand, la transidentité est même l’objet de croyances complotistes transphobes. « L’engouement pour les "transgenres" est un produit des milliardaires », lance l’eurodéputé AfD Joachim Kuhs en avril, affirmant que « la montée en puissance de l’idéologie "transgenre" n’est pas le fruit du hasard. Il ne s’agit pas non plus d’un mouvement de fond de minorités opprimées. Il s’agit plutôt du produit d’un petit groupe de milliardaires qui espèrent réaliser des bénéfices colossaux dans l’industrie des technologies médicales »… [1]
Dans leurs pays respectifs, les partis des groupes ID et ECR se présentent souvent comme défenseurs de la classe laborieuse. Pourtant, la majorité de l’extrême droite européenne s’est positionnée contre un salaire minimum décent pour tous les Européens et Européennes. À l’automne 2022, le Parlement européen vote en faveur d’un salaire minimum européen. Le texte ne prévoit pas le même salaire minimum de la Roumanie à la Belgique, mais un salaire minimum calculé dans chaque pays à partir du coût de la vie et du salaire moyen local. De l’AfD au RN, en passant par le FPÖ, Vlaams Belang, et l’extrême droite suédoise, tous ces partis votent contre. Vox (en Espagne) et le PiS (en Pologne) s’abstiennent majoritairement. Quand les Hongrois du Fidesz, et les Italiens – Lega comme Fratelli d’Italia – se prononcent en faveur.
L’extrême droite ne veut pas de médias libres
En Italie, des journalistes de la télévision publique, la RAI, dénoncent la tentative de contrôle du gouvernement de Giorgia Meloni sur l’audiovisuel public. Mi-avril, la télévision italienne a annulé l’intervention d’un écrivain antifasciste, faisant craindre une censure venant directement du pouvoir.
En Hongrie, le gouvernement tenu par le Fidesz depuis 14 ans a espionné des journalistes (parmi des centaines de personnes) à l’aide du logiciel Pegasus de la société israélienne NSO Group. Le Premier ministre Viktor Orbán a la main sur l’ensemble des médias publics et ses amis détiennent la plupart des médias privés hongrois.
En Pologne, le gouvernement du PiS, au pouvoir de 2015 à 2023 a « fait des médias publics des instruments de propagande » et « multiplié les tentatives d’influencer la ligne éditoriale des médias privés et de contrôler les informations sur les sujets sensibles », selon Reporters sans frontières (le gouvernement du PiS a aussi eu recours au logiciel espion Pegasus, en particulier contre des opposants politiques). Il est donc peu étonnant que quand, en mars 2024, le Parlement européen vote un accord pour la protection de l’indépendance des médias,(le Media Freedom Act), ces deux partis se prononcent contre.
Le texte veut mieux soutenir les médias de service public, plus de transparence sur la propriété des médias privés et mieux protéger les journalistes de l’espionnage. Le texte ne bannit toutefois pas totalement l’utilisation de logiciels espions contre les journalistes. Les député
es européen es plaidaient pour une interdiction complète, mais certains pays, dont la France, ont poussé pour instaurer une exception en cas de « menace pour la sécurité nationale ».Malgré tout, pour le bureau bruxellois de Reporters sans frontières, ce texte est « une avancée majeure pour le droit à l’information au sein de l’Union européenne ». Il a été adopté à une large majorité, en dépit de l’opposition de l’extrême droite. Le Parti populaire européen, Renew, les sociaux-démocrates et socialistes, la gauche, les écologistes votent quasiment tous pour. Mais les Démocrates de Suède, Fratelli d’Italia et la Lega s’abstiennent. Le RN français, l’AfD, Vox, le FPÖ, et le Vlaams Belang votent contre aux côtés du PiS et du Fidesz. Décidément, la droite de la droite n’aime pas la liberté de la presse.
Rachel Knaebel, Emma Bougerol
Infographies : Christophe Andrieu
Photo de Une : La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen devant le Parlement européen en 2021/CC BY 2.0 Parlement européen via flickr.