La ville rose passera-t-elle au vert, le 28 juin prochain ? Second avec 27,5 % des voix, l’écologiste Antoine Maurice comptait, au soir du premier tour des élections municipales, 7600 voix de moins que le maire sortant, Jean-Luc Moudenc (LR), crédité de 36 %. Un retard qu’il compte bien rattraper, à la faveur de la fusion des deux autres listes dites de gauche, celle de Nadia Pellefigue, la candidate socialiste, et celle de l’ancien maire socialiste Pierre Cohen (2008-2014) – désormais sous la bannière de Génération.s – respectivement 3e (18,5 %) et 4e (5,5 %) du premier tour [1]. Cette large union de la gauche, du Parti radical de gauche jusqu’à la France insoumise en passant par le Parti communiste, place aujourd’hui la liste de l’Archipel citoyen en ballotage favorable, à en croire plusieurs sondages qui la donne gagnante dans le cadre du duel à venir. « On est sereins et déterminés, le premier tour révèle une forte attente de changement, bien plus forte que ce que voulait bien croire les commentateurs locaux, analyse aujourd’hui sa tête de liste, Antoine Maurice. Dans les villes gouvernées par la droite, le peuple de gauche attendait du rassemblement et de l’écologie : on lui propose les deux ».
L’Archipel citoyen n’a pas attendu le second tour pour mettre le rassemblement au cœur de son projet, il ne fait que l’élargir. Aux cotés de l’étiquette verte d’EELV de son premier candidat, toute une palette de couleurs et d’appartenance a constitué la liste dès le premier tour : la France insoumise, Place publique, Nouvelle donne ou encore le Parti pirate avaient ainsi décidé d’unir leurs forces pour défendre un programme commun. Cette alliance d’appareils repose toutefois sur une dynamique beaucoup plus citoyenne, à l’origine : en se passant initialement des partis politiques, qui n’ont rejoint le processus que dans un second temps, l’Archipel citoyen a ainsi eu tout le loisir d’expérimenter différentes innovations démocratiques et une méthodologie participative qui sont autant de petites révolutions dans la façon de faire campagne.
« Casser les codes politiques et ré-impliquer les habitants »
Une démarche qu’illustre Agathe Voiron, aujourd’hui en 24e position sur la liste et donc éligible en cas de victoire. À 40 ans, cette infirmière en EHPAD était encore bien loin de s’imaginer des responsabilités politiques, il y a un an, lorsqu’elle reçoit cette drôle de lettre, avec un petit bonhomme arborant l’écharpe tricolore dessiné juste au-dessus de l’interpellation : « Et si l’élu.e idéal.e c’était vous ? » À l’époque, Agathe Voiron trouve déjà sa vie bien remplie, avec ses trois enfants et son déménagement à organiser, en plus d’un métier très prenant. Elle laisse passer l’été avant de franchir le pas, en septembre 2019, et de répondre à l’invitation de ce collectif au nom surprenant.
« J’ai toujours voté, et toujours pensé que c’était important, raconte-t-elle. En allant à ma première réunion, j’ai été frappé par le pluralisme des gens présents et par les méthodes de dialogue. Les gens s’écoutaient et ne se coupaient pas la parole, il y avait un vrai espace pour échanger. Et puis voir tous ces partis, entre lesquels j’hésite régulièrement, travailler ensemble… Il était difficile de leur dire "J’adore ce que vous faites, mais je vous laisse le faire tout seul !" »
Agathe Voiron finit par se prendre au jeu, et s’inscrit dans un groupe de travail sur la santé. Avant de mener campagne, plutôt activement, puisque nommée porte-parole à la suite d’une « élection sans candidat ». Quelques mois plus tard, la voici donc aux portes du conseil municipal de la 4e plus grande ville de France. Une formation politique accélérée qui est en passe de concrétiser ainsi l’objectif initial que s’était donné le mouvement, lancé dès la fin du printemps 2017, dans la lignée des réseaux municipalistes se développant à l’échelle européenne : « À la base, l’idée était de parvenir à casser les codes politiques et à "hacker" le mode de fonctionnement d’un exécutif municipal en ré-impliquant véritablement les habitants dans la prise de décision », résume Jonas George, 28 ans, l’un des initiateurs de la démarche, ancien candidat à LaPrimaire.org, et aujourd’hui en 25e position sur la liste.
Une réussite locale qui a valeur d’exemple national
La trajectoire d’Agathe Voiron incarne toute l’ambition d’Archipel citoyen, celle de croire encore à la possibilité de faire de la politique autrement. Or pas question d’attendre l’accession au pouvoir pour entreprendre cette démonstration : la campagne électorale doit avoir valeur de test grandeur nature pour réaliser ces désirs de changement. À commencer par la façon de constituer une liste : « L’enjeu, c’était de s’affranchir des désignations de poste opaques et discrétionnaires, issues d’accords entre appareils sur un coin de table », poursuit Jonas George, qui est par ailleurs facilitateur en intelligence collective dans une Scop d’éducation populaire. Pour ce faire, L’Archipel citoyen a élaboré un mode de désignation totalement inédit à l’échelle d’une ville d’un demi-million d’habitants.
Aux côtés des traditionnels volontaires, la liste compte ainsi quelques tirés au sort, comme Agathe – au total, sur les 1000 lettres envoyées au printemps 2019, ils sont aujourd’hui huit candidats sur la liste. Auxquels s’ajoutent, autre originalité, des « plébiscités » : libre à chacun de proposer des noms de personnes qu’il rêvait de voir élues, et à celles-ci d’accepter ou non ensuite. « Cela a eu un double intérêt, analyse Jonas George, avec le recul. D’une part, cela a fait connaître notre démarche beaucoup plus vite, par un effet de bouche-à-oreille. D’autre part, ça a légitimé des personnes qui ne s’y attendaient pas du tout. Au final, ça permet de réinterroger le rôle d’un élu et ce qu’on en attend. »
« Nous sommes la seule liste où les habitants ont pu choisir leurs candidats ! »
Une fois cette première base de noms constituée, il a fallu s’attaquer au vif du sujet : sélectionner et classer les 71 inscrits sur la liste finale. Un premier écrémage a été réalisé par un vote ouvert au public sur internet, où 3000 participants ont désigné les 100 premiers noms. Le romancier Pascal Dessaint fut l’un de ces votants : « C’est important de montrer qu’on peut aussi associer les citoyens pour formuler des propositions, plutôt que leur imposer. »
Ensuite, une évaluation par un comité des sages (100 sympathisants de la démarche) a affiné la sélection définitive. Arrive alors le choix fatidique de la tête de liste : après trois week-ends d’« interconnaissance » passés à échanger ensemble, les 71 sont appelés à la désigner grâce à différents systèmes de vote alternatif – jugement majoritaire, méthode de Condorcet (un système de vote par lequel le vainqueur est le candidat qui, comparé tour à tour à chacun des autres candidats, s’avère être à chaque fois le candidat préféré) – censés garantir plus de finesses et de nuances que l’habituel scrutin uninominal majoritaire. In fine, le nom qui émerge doit être définitivement ratifié par les deux tiers des votants. Ce nom est celui d’Antoine Maurice, 38 ans, un militant engagé de longue date à EELV. « Cette méthodologie crée un ressort collectif puissant, qui est une vraie force pour faire campagne, estime celui qui a ferraillé pendant 6 ans avec le maire sortant, Jean-Luc Moudenc, au sein du conseil municipal où il était élu dans l’opposition. Nous sommes la seule liste où les habitants ont pu choisir leurs candidats ! »
L’Archipel citoyen « ouvre des possibles » en politique
Tout n’a pas toujours été simple pour autant. Au fil du parcours, il a fallu digérer l’afflux des nouveaux arrivants, parmi lesquels tous ces mouvements politiques intéressés par la démarche. Qui ont parfois pu éprouver quelques difficultés à assimiler ces nouvelles méthodes, loin de leur culture politique. « Tout n’a pas été parfait, mais où l’est-ce véritablement ? », relativise pour sa part Geneviève Azam, économiste et membre de l’association Attac, qui fut l’une des principales plébiscitées. Si elle a finalement décidé de ne pas s’engager sur la liste, elle en est restée un soutien public important, tout au long de la campagne : « La dynamique est jeune et permet de dépasser le cadre des appareils traditionnels. »
Éviter l’écueil d’une énième tentative de gauche plurielle, voilà qui correspond bien au projet original de L’Archipel, un nom choisi en hommage aux travaux du poète martiniquais, Edouard Glissant. Un écueil qui semble résister à l’épreuve redoutable des tractations d’entre-deux tours et à leurs traditionnels marchandages de couloirs. « On avait convenu en amont d’une méthode garantissant le respect de la démocratie interne : une délégation représentative de 15 personnes – à parts égales des partis et organisations impliqués dans le mouvement – a ainsi été chargée de mener les discussions avec les autres listes, témoigne ainsi Jonas George, membre de cette fameuse délégation. C’est aussi un marqueur d’ouverture, c’est important de montrer qu’on est aussi en capacité de dialoguer avec d’autres ».
Face aux velléités de Nadia Pellefigue, la candidate socialiste, déjà vice-Présidente de la région Occitanie, de négocier la présidence de la métropole en échange de son ralliement, l’Archipel citoyen dit s’en être tenu au principe de la proportionnelle des résultats du 1er tour. Au total, ce sont donc 23 nouveaux candidats qui intègrent la liste des 71, mais sans la candidate PS qui a finalement renoncé. Dont 18 sur les 52 éligibles, en cas de victoire : « On reste majoritaire dans la majorité, comme on dit », se félicite Agathe Voiron, désormais rompue aux codes de la politique plus traditionnelle. Issue de la liste PS, Meryl Srocynski fait partie de ces nouveaux entrants : si elle était habituée aux outils de communication non-verbaux ou aux animations « gommettes », elle reconnaît avoir été surprise par la collégialité de la prise de décision. « Notre bureau politique était beaucoup plus restreint et les arbitrages politiques beaucoup moins collectifs. Ce respect de la voix de chacun permet aussi de se sentir plus impliqué dans la décision qui est prise. »
Si la lutte dans la dernière ligne droite s’annonce définitivement serrée, Geneviève Azam veut croire qu’une victoire de l’Archipel citoyen permette d’« ouvrir des possibles » dans le champ politique. En attendant, elle a au moins acté « le rassemblement de tous les partis de la gauche derrière une démarche citoyenne dans un cadre électoral, résume Jonas George. C’est déjà pas mal comme symbole, non ? »
Barnabé Binctin
– Photo : réunion de lancement de la liste « L’archipel citoyen » à Toulouse, le 14 septembre 2019 (© Archipel citoyen)