Médias

« Des propos sexistes toutes les 11 minutes » à l’émission phare de RTL

Médias

par Noan Ecerly

Sexisme, transphobie, racisme, âgisme, classisme, validisme, grossophobie… L’émission Les Grosses têtes sur RTL collectionne les propos discriminatoires selon une étude de l’Association des journalistes lesbiennes, gays, bies, trans et intersexes.

36 heures d’écoutes et 24 émissions : pendant cinq semaines une vingtaine de membres de l’Association des journalistes lesbiennes, gays, bies, trans et intersexes (AJL) ont écouté Les Grosses têtes sur RTL, animée par Laurent Ruquier. Le bilan est un amas de déclarations sexistes, homophobes ou racistes. Les femmes y sont régulièrement dévalorisées ou sexualisées, et on ne s’y gêne pas pour les réduire à leur condition de « mère », de « ménagère » ou à déballer leur vie privée et sentimentale. « Des remarques qu’il faut qualifier de systémiques, tellement elles sont récurrentes et appuyées, détaille l’AJL. Des propos sexistes toutes les 11 minutes et jusqu’à 16 dans la même émission. Ça fait beaucoup en une heure et demie. » La sexualité des chroniqueuses est également évoquée allègrement : 19 fois sur les 24 émissions. Par exemple, le 15 octobre, Laurent Baffie présume que Christine Ockrent « doit se taper tellement de mecs ». Cinq jours plus tard, on demande à Arielle Dombasle et Isabelle Mergault si elles aiment simuler.

L’AJL comptabilise au total « 159 déclarations sexistes, 66 déclarations homophobes et transphobes, 51 déclarations racistes, 29 déclarations grossophobes, 25 déclarations âgistes, 17 déclarations banalisant des crimes sexuels et des violences », ainsi que des propos « classistes » (teintés de mépris social) ou validistes (discriminatoires envers un handicap). Concernant les déclarations racistes par exemple, elles sont présentes dans 80 % des émissions écoutées. Les noms sont tournés en dérision, les accents imités, la communauté asiatique y est fétichisée, les roms et roumains stigmatisés, avec des sorties telles que « Arrête de faire la manche, on dirait une Roumaine ! ». L’association a particulièrement été surprise du caractère répétitif des propos et de l’acharnement.

« Elle gueule comme une goudou, comme un routier ! »

Les minorités semblent presque être le fond de commerce du programme. L’AJL explique que « sur les 24 émissions que nous avons écoutées, 83 % comprennent des propos LGBTIphobes ». Le 21 septembre dernier, Christine Bravo déclare au micro ne pas aimer François Hollande : « Il n’en faut pas moins à Jeanfi Janssens [un humoriste, ndlr] pour lui lancer : “Lesbienne !” Et lorsque Laurent Ruquier lui demande de répéter, celui-ci confirme : “Lesbienne !” Puis ajoute : “Je savais que tu allais virer goudou ! Elle gueule comme une goudou, comme un routier !” ».

Dès qu’elle sont évoquées, les orientations de genre ou orientations sexuelles deviennent des insultes, sans oublier les stéréotypes qui vont avec. D’autres fois, les chroniqueurs refusent de reconnaître que les femmes trans sont des femmes ou les réduisent à leur apparence physique. « La lesbophobie et la transphobie sont, certes, minoritaires parmi les propos problématiques relevés, ajoute l’AJL. Mais, lorsque les identités lesbiennes et trans sont évoquées, c’est systématiquement de manière dégradante. »

« Nous sommes convaincues qu’il est possible de faire Les Grosses têtes sans ces propos-là »

Les Grosses têtes, c’est un peu moins d’un million d’auditeurs et d’auditrices en moyenne, entre 15 h et 18 h. « C’est l’émission la plus écoutée de France à la radio, sans compter les matinales », détaille Rachel Garrat-Valcarcel, coprésidente de l’AJL. Il y a une grande responsabilité de la chaîne et des gens qui font ça évidemment. Ce n’est pas une soirée privée, les conséquences sont bien là. » Si l’excuse de l’humour est souvent rétorquée, tout cela n’est pas anodin, avec des blagues qui peuvent ensuite se répéter en entreprise ou dans le cercle familial : « Ça a des effets sur l’autodétermination des femmes, sur la confiance en soi, l’autocensure ».

À l’antenne, les crimes sexuels et la pédocriminalité sont banalisés, sans que cela ne choque, car « il est plus facile d’être du côté des rieurs ». L’association, qui ne souhaite pas être univoque, rappelle que l’équipe des Grosses têtes est diverse, qu’il y a plus de femmes, d’homosexuels et de personnes non blanches que sur d’autres plateaux. « On est malgré tout dans une société où la culture du viol est très présente. C’est profondément problématique, par exemple, des blagues sur les travailleuses du sexe, qui peuvent être violées. On justifie le fait de pouvoir s’en prendre à elles », ajoute Rachel Garrat-Valcarcel. Elle espère que les critiques vont être entendues : « Notre rôle n’est pas de dire ce qui est drôle ou pas, mais de pointer les propos qui colportent de la haine. Nous sommes convaincues qu’il est possible de faire Les Grosses têtes sans ces propos-là ».

Photo de Une : Lors d’une émission Les Grosses têtes, sur RTL. CC Wiki commons/ Jérémy Jean.