Aide à l’embauche

Emploi : à qui profite le « New deal » lancé par la région Auvergne ?

Aide à l’embauche

par Jean-Baptiste Mouttet

A grand renfort de communication, l’Auvergne a lancé son « New deal » en faveur de l’emploi. Objectif : rendre la région plus attractive en incitant financièrement des demandeurs d’emploi à venir y décrocher un boulot. Une aide indirecte au recrutement des entreprises qui semble principalement profiter aux cadres, plus mobiles que les ouvriers, alors que le chômage longue durée bat des records dans une Auvergne désindustrialisée.

« 1 emploi + 1 logement offert » : tel est le « New deal » version auvergnate. L’opération a été lancée en novembre 2012 par le Conseil régional, à majorité de gauche (PS - Front de gauche - Europe Ecologie Les verts). Elle consiste à payer 3 mois de loyer – la durée d’une période d’essai lors d’une embauche – ou des frais à hauteur de 500 euros par mois aux personnes extérieures à la région venant occuper un emploi en Auvergne (d’où l’appellation « deal » : des emplois avec logement). Soit une enveloppe de 1 500 euros. En période de plombante morosité, l’initiative plaît médiatiquement. Les quatre grandes chaînes de télévision y dépêchent des reporters. Les sujets aux JT se succèdent. En trois semaines, 5 000 CV sont déposés sur le site de l’opération, où sont publiées les offres d’emplois des entreprises partenaires. « Nous sommes parvenus à créer du buzz », s’enthousiasme alors Gérard Lombardi, chargé du marketing à l’Agence régionale de développement des territoires (ARDT). Début décembre, « environ 150 candidats sont venus rencontrer les entreprises », ajoute le directeur de l’agence Pascal Guittard.

Le « buzz » a été au rendez-vous. Mais six mois plus tard, quel bilan tirer de ce « New deal » ? Environ 200 offres d’emplois ont été publiées fin 2012 sur le site de l’opération. Mi-mai 2013, la région enregistrait 27 embauches effectives. Les processus de recrutement n’étant pas terminés, le Conseil régional en prévoit une centaine d’autres. Le côté marketing de l’opération – avec un budget communication de 80 000 euros – est un indéniable succès. Pas sûr que les autres objectifs soient remplis.

Ce New deal est d’abord motivé par la démographie. Le solde naturel de l’Auvergne – les décès comparés aux naissances – est négatif. La région ne dépérit pas pour autant : depuis 1999, l’Auvergne gagne en moyenne 3 500 habitants par an, grâce à l’accueil de nouveaux arrivants. Mais la population vieillit et les départs en retraite sont autant de postes à renouveler. Surtout, la population change. L’ancienne région industrielle compte en proportion deux fois plus d’ouvriers (25%) que la moyenne française (12,4%), et deux fois moins de cadres. Mais ceux-ci constituent un nouvel arrivant sur quatre, grâce à la tertiarisation accélérée du territoire.

Un New deal réservé aux cadres ?

« Il y a une demande forte, des grandes entreprises et des PME, de salariés hautement qualifiés », assure le vice-président de la Chambre de commerce et de l’industrie locale, Bernard Bouniol. Une bonne moitié des entreprises qui ont publié des offres d’emplois sur le site du « New deal » appartiennent d’ailleurs au secteur tertiaire. Selon nos calculs, une large majorité des offres concernaient des cadres et des professions intermédiaires. Et c’est bien à ces profils que le New deal s’est, de fait, adressé pour rendre l’Auvergne plus attractive. En plus d’offrir une aide financière indirecte aux recrutements des entreprises.

« L’Auvergne ne paraît pas dynamique et à cela s’ajoute des difficultés d’accès », estime ainsi la responsable Ressources humaines d’une entreprise de logiciels et de services technologiques (Sopra Group), basée à Clermont-Ferrand. Trois personnes y ont été recrutées en CDI via le « New deal ». Les témoignages des heureux – mais rares – bénéficiaires de l’opération se ressemblent. Aucun, même ceux au chômage, n’avait envisagé de travailler en Auvergne. On exclut Paris, on cherche à quitter Marseille, mais vouloir s’installer à Clermont-Ferrand n’est pas très « fun ».

« La mobilité, c’est pour le bien des actionnaires »

« Certains coachs d’entreprise que nous voulions recruter refusaient de venir. Nous leur proposons de travailler de chez eux et de venir ici seulement lors des réunions », raconte Mélina Raymond, responsable des ressources humaines d’IP Leanware, une société qui développe des applications web. Précisons que la société est basée à Issoire, une petite ville de 14 400 habitants, à une trentaine de kilomètres au Sud de Clermont-Ferrand. Un profil rare, un ergonome des interfaces homme-machine, venu d’Aix-en-Provence, a finalement été recruté via le New deal.

Des entreprises du secteur industriel ont pourtant participé à l’opération, à l’exemple de Michelin, étendard industriel de l’Auvergne. Alors pourquoi ouvriers et employés n’en ont quasiment pas bénéficié ? Depuis son bureau de la « Maison du peuple » dans le centre de Clermont-Ferrand, sous les affiches syndicales rappelant les luttes passées, Jean-Michel Gilles, secrétaire général de la CGT Michelin, a sa réponse. Il feuillette le bilan social de l’entreprise en 2012 : « Là regardez : 4 748 cadres, 3 768 collaborateurs, 3 823 agents, autant dire des ouvriers... ». Autant de cadres que d’ouvriers dans l’entreprise. Le syndicaliste ne veut pas entendre parler de « mobilité » et ne compte pas quitter Clermont-Ferrand, même si on lui proposait une aide financière : « La mobilité ne prend pas en compte la vie de famille des salariés. C’est pour le bien des actionnaires, des patrons, pas pour nous », juge-t-il. « C’est un choix stratégique. Mais donnez-nous les mêmes machines que les Roumains et nous produirons aussi bien en France. » De ce point de vue, le New deal auvergnat paraît bien lointain.

Dispositif inégalitaire ou cercle vertueux ?

« L’Auvergne possède une grande population ouvrière. Or, à la différence des cadres, elle est peu mobile. Si des ouvriers perdent leur emploi, ils ont rarement d’autres alternatives que le chômage », rappelle l’économiste auvergnat Philippe Trouvé, spécialiste des PME. « Changer de région demande un investissement, des moyens financiers dont les ouvriers sont moins pourvus. A cela s’ajoute des barrières culturelles et des réseaux relationnels plus limités. » La majorité de gauche du Conseil régional a-t-elle conscience de ces effets inégalitaires ? « Il faut bien commencer par un bout de la chaîne. L’accueil de « têtes pensantes » crée une dynamique pour l’innovation et la création d’emplois », répond Pascale Semet, vice-présidente communiste du Conseil régional, en charge du logement et de l’économie sociale et solidaire.

Le chômage demeure relativement moins élevé en Auvergne qu’ailleurs (9,3%). Mais le chômage de longue durée y explose : 43,6% des demandeurs d’emplois sont inscrits depuis plus d’un an. La région est donc loin de « l’eldorado » de l’emploi vendu par l’Agence des territoires d’Auvergne. Et pas sûr que le cercle vertueux de la création d’emplois, souhaité par l’élue communiste, soit au rendez-vous. Car le chômage n’épargne pas non plus les nouveaux arrivants. Ils sont deux fois plus touchés que le reste de la population. L’enveloppe de 1 500 euros proposée par le New deal est donc censée apporter un peu de trésorerie à un couple venant s’installer dans la région, le temps que le second conjoint trouve également un boulot. Les premières aides ont été débloquées courant mai par la région [1].

Jean-Baptiste Mouttet

Le site du New deal

Notes

[1Nous écrivions à la publication de l’article : "Reste que tous les nouveaux embauchés rencontrés attendent encore l’aide promise", ce qui était le cas mi-mai. Gérard Lombardi, de l’Agence régionale de développement des territoires a tenu à nous préciser suite à la publication de l’article : « J’ai vérifié auprès de nos services administratifs qui gèrent les dotations aux nouveaux embauchés dans le cadre du New Deal, et je vous confirme que toutes les demandes de remboursements de loyers ont été honorées. » D’où notre mise à jour du 23 mai.