Economie sociale

Bienvenue dans une industrie d’avenir, locale et créatrice d’emplois utiles : le recyclage textile

Economie sociale

par Simon Gouin

Au pire dans les déchetteries, au mieux dans les bornes de collecte, les déchets textiles s’accumulent, à cause d’une consommation effrénée et de vêtements de très faible qualité produits à bas-coût en Asie. En Basse-Normandie, une plateforme rassemble une centaine d’associations autour d’un objectif : donner une seconde vie aux milliers de tonnes de vêtements et de chaussures récoltés chaque année dans la région. Le principal débouché de cette entreprise d’insertion ? Les marchés africains. Reportage au sein de l’entreprise Cobanor Tritex, dans la banlieue de Caen.

Ce ne sont pas des saucisses à mettre en barquettes qui déroulent sur le tapis roulant. Mais des tee-shirts, des sweats, des jeans, des manteaux, que les ouvriers répartis autour du tapis se chargent de trier dans les grands bacs situés devant eux. Tous ces vêtements arrivent tout droit de l’ensemble du territoire bas-normand. Usés ou démodés, ils ont été déposés dans des containers répartis un peu partout dans la région. C’est ici, à la plateforme Cobanor Tritex, dans la banlieue de Caen, en Basse-Normandie, qu’ils viennent finir leur première vie !

Créée en 2008, l’entreprise est spécialisée dans le tri et le recyclage du textile. En 2013, 2 500 tonnes sont passées entre les mains des employés. Deux fois plus qu’en 2010. Année après année, le chiffre grimpe. En Basse-Normandie,13 500 tonnes de déchets textiles sont générés annuellement : le potentiel est immense. « Avec la baisse de la qualité des vêtements, notamment ceux qui sont fabriqués en Asie, on assiste à une augmentation sans précédent des déchets textiles », explique Samuel Morin, employé de la plateforme. Que deviennent ces vêtements récupérés ?

« On fait quelque chose de bien, d’utile »

Chaque container mis en place par l’entreprise est géré par une ou plusieurs associations, comme la Croix Rouge ou le Secours Catholique. Ces associations effectuent un premier tri : elles gardent les vêtements qui intéresseront facilement ses bénéficiaires, soit environ 15% du contenu total du container. Cobanor Tritex lui rachète les 85% restants, qui sont livrés, au quotidien, à l’entrée de l’usine. Première étape : sur le tapis roulant, les ouvriers trient les pièces par catégorie, sans se soucier de la qualité. Ce n’est qu’après que d’autres ouvriers départagent les bons vêtements des autres, catégorie par catégorie. Objectif : sélectionner ceux qui peuvent encore satisfaire des consommateurs.

Cobanor Tritex emploie dix salariés permanents et 30 salariés en insertion. Parmi eux, Cindy est en charge du poste training (sweat, survêtements, bonnets, écharpes). Le coup d’œil aiguisé, elle passe sa journée à trier. « Je dois repérer les belles pièces qui pourront être revendues, explique-t-elle. J’ai été recrutée à une permanence pôle emploi. La première année, j’étais au tapis. La deuxième, on m’a faite confiance pour que j’aie plus de responsabilités. »

Des vêtements transformés en chiffons ou... en panneaux isolants

Il y a quelques semaines, Cindy a terminé son contrat d’insertion limité à deux ans. « S’il n’y avait que moi, je serai restée, dit-elle. Ici, je m’étais posée, j’avais les mêmes collègues, on s’entraidait. Les vêtements que nous trions servent par la suite. On fait quelque chose de bien, d’utile. » Au sein de l’entreprise, Cindy a été suivie par une accompagnatrice socio-professionnelle, pour l’aider à affiner son projet professionnel. Le sien était de travailler dans le commerce : elle a obtenu la formation qu’elle souhaitait. A la sortie de Cobanor Tritex, 80% des salariés en contrat d’insertion trouvent un CDI, un CDD ou une formation qualifiante.

Parmi les piles de vêtements qui arrivent à Cobanor Tritex, 24% partent dans d’autres entreprises pour y être recyclés. La moitié environ vivra sa nouvelle vie en chiffons d’essuyage industriels qui seront transformés en Belgique, en Pologne, en Allemagne et aux Pays-Bas. L’autre moitié sera effilochée : les fibres sont extraites afin d’être utilisées pour des panneaux isolants, des cartons, des matelas, du papier, des isolants phoniques pour les voitures, des terrains de sport...

A la conquêtes des marchés émergents

« Dans ce secteur, de nombreux tests sont en cours, explique Samuel Morin. A partir de la fibre, on peut remodeler une matière solide et créer par exemple des bancs, des poubelles. Cette matière pourrait être réutilisée à l’infini.  » Dans ce secteur, Cobanor Tritex tentent de développer de nouveaux projets, notamment avec des entreprises locales. « Un chiffon industriel ne servira qu’une seule fois après sa création, précise Stéphane Morin, le dirigeant de la plateforme. Alors qu’avec la transformation de la fibre synthétique en poubelles ou en mobiliers urbains, cela peut durer entre 10 et 15 ans. » Une nouvelle vie pour la fibre textile !

Seul un 1% du textile arrivé à Cobanor Tritex sera incinéré : ce sont les vêtements trop humides, souillés, tâchés par de l’huile de moteur, qui ne peuvent être ni recyclés, ni réutilisés. Au total, 75% du textile sera réutilisé, principalement à l’étranger ! Après avoir été triés selon plusieurs catégories, les vêtements sont compressés à l’aide d’une grande machine. Des « balles » de 45 ou 55 kg sont ainsi créées afin d’être envoyées en bateau. Direction l’Afrique mais aussi le Pakistan, où le textile sera revendu. « Nous vendons les vêtements à des grossistes qui effectuent leur propre tri, avant de les revendre à leurs propres clients ou directement sur les marchés locaux », indique Samuel Morin. Le tri effectué par la plateforme bas-normande est très fin. Les pièces envoyées à l’étranger sont de bonnes qualités. Leur prix peut donc être élevé.

Mais pourquoi ne pas revendre ces vêtements en Normandie, et éviter ainsi ces déplacements ? Cobanor Tritex ne veut pas concurrencer les associations qui revendent déjà une partie du textile récolté, explique la direction. Et les marchés africain et asiatique sont friands de ces textiles de seconde main. « Les entreprises chinoises ont inondé l’Afrique de vêtements neufs, mais de mauvaises qualités et souvent uniformes, raconte Stéphane Morin. Les Africains préfèrent acheter un vêtement d’occasion qui vient d’Europe, de meilleure qualité, mais parfois unique et plus à la mode. »

Désengorger les déchetteries

Au départ, ce sont 13 associations de l’économie sociale et solidaire qui se sont réunies autour de Stéphane Morin, l’initiateur du projet, pour créer la plateforme en 2008. Le constat est alors le suivant : beaucoup trop de textiles sont jetés dans les déchetteries. Ce sont les contribuables qui assurent, au final, le coût du traitement de ces déchets. Cobanor Tritex estime qu’il y a alors, en Basse-Normandie, 11 500 tonnes de déchets textiles qui finissent à la déchetterie ou qui sont incinérés. Sur 13 500 tonnes de déchets textiles générés annuellement, très peu sont donc triés ou réutilisés !

Face à ce constat, l’idée est de rassembler plusieurs acteurs afin de créer un unique centre de tri. Jusqu’alors, seule l’entreprise Le Relais, en partenariat avec Emmaüs, était implantée sur le territoire bas-normand. Mais uniquement via ses containers de récupération. Ses entreprises de tri sont réparties dans d’autres régions françaises – et même à Dubaï... « On souhaitait faire travailler les gens d’ici, en circuit court, dans un esprit de partage de compétences plutôt que de concurrence entre associations », raconte Samuel Morin.

Cobanor Tritex est soutenue par la contribution textile mise en place par l’État. Chaque fabricant et acheteur doit contribuer financièrement au recyclage par l’intermédiaire de l’éco-participation, qui est ensuite reversée aux entreprises capables de valoriser le textile. Un juste retour d’une industrie qui fabrique des vêtements de faible qualité pour alimenter sans cesse le renouvellement et la croissance. Cobanor Tritex estime qu’un bas-normand dépense chaque année en moyenne 700 euros, en vêtements et en chaussures, et génèrent 9,2 kg de déchets par an. Une croissance telle que la plateforme, qui rassemble maintenant 100 associations, envisage aujourd’hui de déménager, afin de doubler la surface de ses locaux. Une partie de l’ancienne usine de la Société normande de métallurgie (SMN), fermée en 1994, serait envisagée. Un lieu symbolique d’une industrie du passé remplacée aujourd’hui par des entreprises d’un secteur d’avenir ?

Simon Gouin (texte et photos)