Privilèges

En Écosse, le golf de discorde du milliardaire Donald Trump

Privilèges

par Arthur Vincent, Jean-Baptiste Combes

Donald Trump, le magnat de l’immobilier américain, a décidé de construire « le meilleur golf du monde » en Écosse. Association de riverains et mouvements de défense de l’environnement militent contre ce projet qui menace une nature fragile et les habitants des terrains convoités par le milliardaire. Une peccadille pour Trump, qui a déjà reçu le soutien des autorités écossaises et veut faire exproprier de leurs terres ceux qui le dérangent. Histoire d’un combat inégal.

L’homme d’affaires américain, Donald Trump, personnage controversé et régulièrement derrière les tribunaux, déclare en 2006 son intention de traverser l’Atlantique pour construire un golf dans le Nord-Est de l’Écosse, à Balmedie. Son ambition ? En faire « le meilleur golf du monde ». Un projet pharamineux, avec deux golfs, un hôtel de 450 lits, 950 villas et 500 maisons, un coût d’un milliard de dollars. L’Ecosse, terre natale du golf, qui possède de nombreux golfs municipaux, lui semble l’endroit idéal. C’est dans le pays un sport populaire, même si certains golfs écossais, comme St Andrews, Carnoustie ou Gleneagles, attirent aussi les clients fortunés et les tournois majeurs.

Campagnes d’intimidation contre les opposants

Ce projet a rassemblé un certains nombre d’opposants, au premier rang desquels les défenseurs de l’environnement. Le lieu sur lequel Trump veut construire son complexe golf-hôtel empiète sur un site d’intérêt scientifique spécial qui recouvre un écosystème unique de dunes mobiles au Royaume-Uni. Également zone d’habitat de plusieurs espèces d’oiseaux rares qui sont menacées par la construction du golf. La Société royale pour la protection des oiseaux et l’organisation gouvernementale défendant le patrimoine naturel écossais (la National Heritage Scotland) ont soumis au milliardaire plusieurs plans alternatifs.

La société de Trump reconnaît les effets négatifs sur la biodiversité du site, mais le milliardaire n’a pas modifié le tracé d’origine. Pour Martin Ford, conseiller local qui a voté contre le projet au sein du conseil de la région d’Aberdeen, « construire un golf sur un tel site est immoral. Comment pouvons-nous donner des leçons au Brésil pour qu’il ne détruise pas la forêt amazonienne, alors que nous ne sommes pas capables de sauver le patrimoine naturel européen ? », s’insurge-t-il. Trump s’indigne aujourd’hui d’un projet de futur parc éolien off-shore, au large de « son » golf, clamant que cela « détruirait l’héritage naturel écossais »... Sans doute Trump va-t-il bientôt demander un périmètre de sécurité autour de son projet ?

Le conseiller local Martin Ford a payé au prix fort son vote contre le projet en décembre 2007. Recevant près de 600 e-mails par jour, il fit l’objet avec d’autres membres du conseil local d’une campagne d’intimidation. Démis de ses fonctions de président du comité sur les infrastructures du conseil de la région d’Aberdeen, il est contraint d’observer l’arrogance et l’entêtement du milliardaire. Outrepassant la décision démocratique du conseil local qui l’invite à revoir ses plans, Trump s’adresse directement au gouvernement écossais à Edimbourg, contrôlé depuis 2007 par le Parti nationaliste écossais. Après avoir passé une journée dans un hôtel au nord d’Aberdeen en compagnie de l’équipe de Trump, le Premier ministre approuve finalement le projet en 2008. Donald Trump, auteur des livres Penser comme un millionnaire, Comment devenir riche, La voie du succès et Ne jamais abandonner (tout un programme !), n’aime pas qu’on contrarie ses plans et sait visiblement trouver les arguments pour convaincre.

Mobilisation contre les expropriations

Michael Forbes et sa mère Molly, âgée de 85 ans, sont bien décidés à ne pas bouger de leurs terres. Le plan initial de construction du golf ne prévoit pas de passer sur leur propriété ni sur celles de trois autres familles, mais Trump semble s’amuser à faire pression sur les habitants. Il se plaint de ne pas obtenir ce supplément de terrains. La Trump Organisation leur a proposé de leur acheter leur bien 15% au-dessus du marché. « Ridicule », ont rétorqué les familles, installées pour certaines depuis plus de trente ans. En retour, Michael Forbes, fermier et pêcheur de saumon, est régulièrement insulté dans les médias par Donald Trump qui n’a pas hésité à le traiter « d’idiot du village » et sa propriété de « porcherie » ou de « taudis ». Récemment, un terrain de Michael a été détruit par des bulldozers. Quant à ses voisins, David et Moira Milne, leur ancienne maison de garde-côte pourrait être rasée pour laisser place au parking de l’hôtel de luxe.

À l’ordre du jour du conseil de l’Aberdeenshire en 2009 : les menaces de recours à l’expropriation (« les CPO » ou Compulsory Purchase Orders) formulées par Trump. Les actes d’expropriation, en Écosse comme en France, sont réservés à la construction d’hôpitaux, d’écoles, de routes ou de voies ferrées, et non à des projets privés à but lucratif. Malgré le rassemblement de 15.000 signatures et l’impopularité des expropriations en Écosse, les élus locaux refusèrent de prendre position. Pour Martin Ford « il est quand même peu probable que les élus locaux – sauf si Trump le demande formellement (ce qu’il n’a toujours pas fait, NDLR) – prennent la décision de forcer les habitants à vendre ».

Vers une radicalisation des actions de résistance ?

Les multiples irrégularités du projet ont amené la création en 2009 de l’association Tripping Up Trump (TUT), Faire trébucher Trump. La collusion de la presse avec l’équipe Trump a atteint un tel niveau qu’en décembre 2009, The Press and Journal a « retiré le droit de parole » à l’association au motif qu’elle était composée de non locaux empêchant un investissement bénéfique à l’économie locale.

Cela n’a pas empêché TUT de poursuivre son combat. En mai 2010, elle a effectué un transfert de propriété d’une partie du terrain de Michael Forbes en direction de ses membres, dans le but de créer « un énorme casse-tête légal pour la société de Trump et le conseil de l’Aberdeenshire s’ils décidaient d’utiliser un décret qui pousserait les

résidents à vendre ». Ce procédé avait été utilisé en France sur le plateau du Larzac dans les années 1970 et contre l’extension de l’aéroport de Heathrow à Londres, en 2008-2009. Martin Glegg, coordinateur de la campagne de TUT, reconnaît qu’il faudra sans doute radicaliser leurs actions et songe déjà à des actions de désobéissance civile.

L’argent peut-il tout acheter ?

Quant au bien-fondé économique du projet, il demeure pour le moins incertain. Les riches golfeurs amateurs américains, cible visée par Trump, se rendent en Écosse pour jouer sur des parcours historiques et non sur des nouveautés comme Trump en a déjà aux États-Unis. S’il est difficile de connaître l’état d’avancement réel des travaux, le coût total du projet demeure hasardeux. D’abord évalué à 1,1 milliard d’euros par l’organisation, le chiffre aujourd’hui annoncé est de 870 millions d’euros. Le projet immobilier de Trump a reçu un accueil favorable parmi l’establishment local, soucieux de voir se développer des alternatives au pétrole dont dépend toute l’économie locale.

Pour l’élu local Martin Ford, « la beauté et l’attraction de l’Écosse pour les touristes reposent sur ce patrimoine vierge d’activité humaine ». Il estime néanmoins qu’aujourd’hui encore, les 67 membres du conseil continuent d’avoir peur de s’opposer à Trump. La couverture par la presse nationale du bras de fer entre les familles menacées d’expulsion et Donald Trump pourrait être un des sujets principaux de l’élection du Parlement écossais en mai 2011. Selon Martin Ford, le combat contre ce projet démontre que « ce sont deux choix de société qui ne sont pas compatibles. D’un côté, des riches entrepreneurs intéressés par la construction d’un complexe à usage privatif pour une certain classe de la société et de l’autre un combat pour une société plus démocratique, non intéressée par l’argent et dont l’accès aux sites naturels est gratuit ». Malgré le début des travaux, l’opposition reste importante et la conclusion du conflit pourrait bien prendre du temps. Beaucoup espèrent que Donald Trump, « requin de la finance », apprendra à ses dépens que l’argent ne peut pas tout acheter, en Écosse au moins.

Jean-Baptiste Combes et Arthur Vincent

Photos : Tripping Up Trump

Le site officiel de Donald Trump

Bande-annonce du documentaire, La guerre du golf de Donald Trump :

Vidéo The wrong side of a hole :

The wrong side of a hole from jon Pullman on Vimeo.