Manifestations

En Grande-Bretagne, les citoyens lancent l’offensive contre le grand marché transatlantique

Manifestations

par John Hilary

À l’approche du prochain cycle de négociations entre l’Union européenne et les États-Unis, les syndicats et organisations militantes britanniques organisent du 8 au 12 juillet une campagne nationale sur les dangers que représente le grand marché transatlantique (Tafta/TTIP). Services publics, environnement, droit du travail, service national de la santé... Autant de domaines mis en péril par cet accord de libre-échange, qui suscite une opposition croissante des citoyens britanniques. « Le mouvement anti-TTIP ne manque pas d’énergie ni d’engagement », prévient John Hilary, directeur de War on Want, organisation de lutte contre la pauvreté. « Nous sommes prêts pour la bataille. »

Construire un mouvement d’opposition aux accords de libre-échange n’est pas toujours facile en Grande-Bretagne. En tant que petite nation insulaire, le commerce a dominé notre histoire. Pendant longtemps, la Grande-Bretagne a été en mesure de faire en sorte que le commerce « libre » serve ses propres intérêts, à travers l’exploitation massive de ses colonies durant l’époque impériale. Du fait de la prospérité héritée de cette exploitation de plusieurs siècles, il y a moins de résistance instinctive au libre-échange au Royaume Uni que dans d’autres pays européens.

Le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (connu sous son acronyme anglais TTIP, ou Tafta, ndlr) change la donne. Aujourd’hui, une partie croissante de la population britannique est consciente que ces négociations secrètes entre l’Union Européenne (UE) et les États-Unis vont au-delà du champ et de l’ambition des accords de libre-échange traditionnels. Et nous sommes de plus en nombreux aussi à nous rendre compte que le TTIP, si l’on permettait qu’il soit ratifié, représenterait le plus considérable transfert de pouvoir au bénéfice du capital transnational de notre époque.

« Attaque frontale contre la démocratie »

Auparavant, les accords de libre-échange cherchaient principalement à réduire les tarifs de douane pour encourager le commerce de marchandises entre pays. A contrario, le TTIP cherche explicitement à aller au-delà des frontières pour s’attaquer à l’espace politique souverain des États, en visant les barrières « non douanières » qui empêchent les entreprises multinationales d’engranger autant de profits qu’elles le pourraient à travers le commerce et l’investissement. Les responsables des États-Unis et de l’UE ont confirmé à maintes reprises que leur priorité, à travers le TTIP, est de supprimer ces « barrières » que sont les lois et les régulations. Un exercice censé libérer des millions de dollars de profits pour leurs amis dans les milieux économiques.

En réalité, ces « barrières » incluent certaines des normes sociales et environnementales qui nous sont les plus chères. Parmi les lois et régulations que les lobbyistes du monde des affaires aimeraient voir supprimées ou allégées par le TTIP, on trouve les celles sur la sécurité alimentaire, le droit du travail, les garde-fous financiers, le contrôle des substances chimiques toxiques ou encore les interdictions européennes relatives aux organismes génétiquement modifiés. Si l’on y ajoute le désir des négociateurs d’octroyer des pouvoirs sans précédent aux entreprises multinationales en matière de poursuite des États souverains devant des tribunaux d’arbitrage privés, le décor est en place pour une attaque frontale contre la démocratie de part et d’autre de l’Atlantique.

Une large alliance de mouvements

Grâce à cette prise de conscience croissante de la menace que représente le TTIP, des militants de toute la Grande-Bretagne regroupent à présent leurs forces au sein d’un vaste mouvement d’opposition à cet accord. À War on Want, nous sommes sollicités tous les jours pour fournir des intervenants et de la documentation à des groupes locaux de tout le pays, qui veulent en savoir plus sur le TTIP et ses dangers. La brochure sur le TTIP que nous avons produite avec la Fondation Rosa Luxemburg (désormais disponible en sept langues européennes [1]) s’est trouvée si rapidement épuisée que nous avons déjà été obligés de la faire réimprimer. Malgré le peu d’intérêt affiché par les médias dominants, c’est une question qui monte rapidement à l’ordre du jour politique national.

Ce mouvement regroupe des militants de tous horizons. Des groupes de plaidoyer anti-capitaliste comme War on Want, qui luttent depuis longtemps contre les dangers des accords de libre-échange, ont uni leurs forces avec le World Development Movement, les Amis de la terre et d’autres organisations de la société civile pour alerter l’opinion publique sur la menace que représente le TTIP. Des collectifs anti-gaz de schiste, des activistes du mouvement Occupy, des militants de la souveraineté alimentaire et des membres de l’Assemblée populaire contre l’austérité se sont tous joints à la résistance. Les mouvements locaux qui se battent pour défendre le précieux Service national de santé de la Grande Bretagne (National Health Service, NHS) sont particulièrement mobilisés, car ils voient dans le TTIP, à juste titre, un risque de privatisation irréversible de ce service.

Des syndicats engagés

Le mouvement syndical britannique est également très mobilisé. UNISON, le syndicat du secteur public qui représente 1,3 million de travailleurs, est un des leaders de la campagne contre le TTIP, et a publié sa propre brochure détaillant les raisons de son opposition. Les syndicats d’enseignants contribuent eux aussi à la résistance - aussi bien l’Union nationale des enseignants (National Union of Teachers, NUT) que le Syndicat des universités et des facultés (University and College Union, UCU) lequel a adopté une motion condamnant le TTIP lors de sa conférence annuelle en mai dernier. Le Syndicat des services publics et commerciaux (Public and Commercial Services Union, PCS), qui représente les fonctionnaires, s’est lui aussi joint au mouvement.

Ce ne sont pas uniquement les syndicats des travailleurs du secteur public qui ont pris publiquement position contre le TTIP. Le troisième plus grand syndicat du Royaume-Uni, le GMB, représente plus de 600 000 travailleurs, la plupart dans l’industrie. Le GMB a également rejoint la campagne contre le TTIP, et son secrétaire général a co-signé une lettre avec d’autres leaders syndicaux demandant la suspension du TTIP. Des appels parallèles à cesser les négociations sur le TTIP ont émané de fédérations syndicales dans des pays tels que l’Allemagne, la France et l’Espagne, représentant des millions de travailleurs européens au total.

« Nous sommes prêts pour la bataille »

La menace du TTIP touche tous les secteurs de la société. C’est précisément pourquoi nous finirons par vaincre. Lorsque les pays de l’OCDE ont tenté de donner les mêmes pouvoirs aux entreprises multinationales à travers l’Accord multilatéral sur les investissements, un mouvement international a pris son essor pour combattre cet accord, et a obtenu son abandon. L’UE a ensuite essayé d’atteindre le même objectif en élargissant le mandat des négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour y inclure les investissements, les achats publics et les politiques de concurrence, dans le cadre du cycle de Doha de négociations commerciales internationales, lancé en 2001. À nouveau, ces thèmes ont été abandonnés, et l’OMC n’a jamais réussi à restaurer sa crédibilité perdue suite à cet échec humiliant.

Notre victoire contre le TTIP sera le fruit d’une riposte concertée et unitaire. Cette riposte est en train de se construire en Grande-Bretagne, comme dans les autres pays européens et aux États-Unis. Avec la Fondation Rosa Luxemburg, UNISON, le World Development Movement et d’autres, War on Want organise des conférences à travers tout le pays dans le cadre de la campagne « No TTIP » du 8 au 10 juillet, qui culminera dans une première journée nationale d’action le 12 juillet. Suite au succès de nos interpellations des candidats aux élections européennes sur le TTIP, nous nous préparons à contacter tous les nouveaux députés européens du Royaume-Uni et à leur demander de se joindre au mouvement contre le TTIP. Nous préparons également les élections nationales de 2015 en Grande Bretagne ; nous espérons faire du TTIP un sujet clé pour tous les candidats qui rechercheraient nos votes.

Nous avons beaucoup de travail à accomplir si nous voulons transformer cet accord de libre-échange Europe-États-Unis en une bataille politique clé. Mais le mouvement anti-TTIP, ici en Grande Bretagne, ne manque pas d’énergie ni d’engagement, et nous sommes prêts pour la bataille.

John Hilary (War on Want) [2]

Traduction : Lora Verheecke

La version originale de cette tribune est à retrouver en anglais ici.

Photos : Une / Twitter
© Stop TTIP MCR

Lire sur le même sujet :
 TTIP/Tafta vu d’Allemagne, par Pia Eberhardt du CEO ;
 TTIP/Tafta vu des États-Unis, par Ilana Solomon du Sierra Club ;
 TTIP/Tafta vu de France, par Amélie Canonne de l’association Aitec ;
 TTIP/Tafta vu des Pays-Bas, par Hilde Van der Pas du Transnational Institute.
 TTIP/Tafta vu d’Italie, par Alberto Zoratti et Monica Di Sisto.

 Et notre enquête, Accord Europe - États-Unis : que nous réserve la plus grande zone de libre-échange du monde ?

Plus d’informations sur la campagne anti-TTIP en Grande-Bretagne en cliquant ici et . Une page facebook dédiée à la journée nationale d’actions du 12 juillet est à découvrir ici.

Notes

[1Ici en français.

[2John Hilary est Directeur exécutif de War on Want et l’auteur de la brochure Le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Une charte dérégulatrice, une offensive contre l’emploi, la fin de la démocratie (disponible sur ce lien).